Le texte de cette contribution a pour origine un entretien réalisé par Skype le 22 août 2019 (50 minutes). Il a été rédigé par D. Peraya et relu par V. Luengo. Nous avons décidé d’un commun accord de conserver certaines caractéristiques du langage oral initial.
D. P. : Si nous commencions par ce qui divise les chercheurs : la posture épistémologique et les approches inductive et déductive…
V.L : Je rappellerai tout d’abord que l’on a souvent tendance à penser ou à affirmer que les Learning Analytics consistent en des procédures d’analyse statistique. Mais en réalité cette définition est incomplète, car on utilise aussi des procédures informatiques (algorithmiques), notamment dans la recherche de patterns, de comportements ou plus généralement de récurrences de phénomènes. Cela dit, je voudrais revenir sur la question épistémologique, sur celle de l’approche scientifique, qui touche au choix d’un modèle d’analyse soit inductif soit déductif. Tout d’abord, les LA ne se limitent pas à une approche explicative. Pour ma part, mes travaux s’appuient sur les propositions de Gartner qui distingue quatre types d’analyse des LA, quatre approches de difficulté croissante : descriptive (What happened ?) ; diagnostique (Why did happen ?) ; prédictive (What will happen ?) ; prescriptive (How can we make it happen ?) (Davenport, Harris et Morris, 2010 ; Van Harmelen et Workman, 2012). Dans les deux premiers cas, la méthode déductive est tout à fait pertinente et son usage classique. Cette approche est d’ailleurs bien antérieure à l’émergence de LA et à son succès actuel.
D. P. : Venons-en aux données dont la nature est souvent mise en cause.
V.L. : Je préciserais encore qu’il existe une différence importante entre Data Mining et Learning Analytics. Les équipes, les approches ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas, il s’agit plus de produire des connaissances sur les méthodes et algorithmes permettant de produire des connaissances à partir des données tandis que dans le second il s’agirait d’une approche plutôt explicative permettant la prise de décision. Le Data Mining, et c’est là tout son intérêt, permet d’identifier des phénomènes que l’on n’avait jamais pu observer auparavant et que les théories permettent ensuite d’expliquer et de comprendre. J’ai vécu une telle situation à l’occasion de mes travaux antérieurs en médecine (Toussaint, Luengo et Jambon, 2017). Nous avions construit un modèle didactique extrêmement pointu qui décrivait les connaissances et leurs modalités d’évaluation (Luengo, Vadcard, Tonetti et Dubois, 2011). L’analyse des données a fait apparaître des phénomènes, par exemple des erreurs de comportements, que nous n’avions pas anticipés et donc qui n’avaient pas été pris en compte dans la modélisation initiale et que nous ne pouvions donc pas expliquer. Avec le temps, en multipliant les analyses, à travers des processus itératifs, il a été progressivement possible de les expliquer (Toussaint et al., op. cit.).
D.P. : Pour conclure, pourquoi ces scénarios d’utilisation des LA vous passionnent-ils ?
V.L. : En dehors de toute visée prospective, ces scénarios m’intéressent dans mes enseignements de master en sciences de l’éducation avec des étudiants qui enseignent déjà. Je peux ainsi leur faire prendre conscience du potentiel des LA et ils peuvent imaginer des utilisations pertinentes dans leur propre contexte. Ce sont donc des instruments de formation. À la question de savoir quel est le meilleur scénario à l’horizon 2025, je suis bien incapable de répondre du point de vue scientifique. Qui pourrait d’ailleurs le dire… Mais je suis très intéressée à voir si nous sommes capables de mettre en œuvre ce premier scénario, nous avons les connaissances, les algorithmes, mais en aurons-nous la capacité ?
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Repéré depuis https://journals.openedition.org/dms/4096