1.
La distance : une notion plurielle

2.
Interactivité : un dialogue Homme-Machine

3.
Interactions : organiser la circulation des signes de la présence dans le parcours

4.
Pour tenir la distance…

Il y a 30 ans, le e-learning des débuts entendait amener l’apprenant à s’affranchir de la dimension spatio-temporelle qui préside à la formation en présentiel. Amener le savoir et la connaissance jusqu’à l’apprenant, telle était la promesse. Se former partout tout le temps, sans contrainte de déplacement ni d’horaires figés pour un apprentissage tout au long de la vie.

Très vite cette distance, que les dispositifs de e-learning imaginaient comme une source de liberté, s’est muée en absence, réduisant à néant les efforts des pédagogues pour maintenir un engagement de l’apprenant dans ses apprentissages. Les taux d’abandon sur les parcours ont posé les limites de l’auto-formation. La mise en place d’interactions sociales mais également d’interactivité techno-pédagogique visant à rendre l’apprenant actif au travers d’échanges apprenant-tuteur/formateur, apprenant-apprenant et apprenant-machine devenait incontournable.
Interactivité et interactions sont des termes souvent considérés comme synonymes. De façon plus précise, le terme d’’interactivité décrit les relations de l’apprenant avec son environnement digital de formation et le terme d’interaction définit les relations humaines et sociales dans le dispositif. L’interactivité constitue donc un levier technologique d’engagement de l‘apprenant lorsque l’interaction recouvre les différentes fonctions tutorales et l’apprentissage entre pairs.

Comment articuler interactivité et interactions sociales pour éviter que la distance spatio-temporelle ne conduise à une distance technologique, relationnelle et cognitive trop importante pour l’apprenant et in fine à l’isolement et à la démotivation ?

1.
La distance : une notion plurielle

L’expression « formation à distance » traduit historiquement la distance spatio-temporelle oubliant sans doute que cette notion de distance est plurielle et ce depuis les début de l’enseignement par correspondance à la fin du XIXe siècle. Entre la formation par correspondance et le digital learning, la prise de conscience, la révolution Internet et les travaux de recherche sur les notions de distance ont permis d’enrichir les dispositifs, de différents leviers de médiatisation et de médiation propres à favoriser le sentiment de présence, à briser l’isolement de l’apprenant et à favoriser sa motivation et ses apprentissages.

Geneviève Jacquinot, chercheuse française en Sciences de l’éducation, définissait 4 types de distances supplémentaires en dehors des distances spatiales et temporelles :

  • la distance technologique qui, en l’absence de maîtrise des outils par l’apprenant, peut devenir un facteur anxiogène et frustrant si le temps consacré à l’apprentissage est freiné par des délais de réglages techniques ou d’appréhension fonctionnelle de l’environnement ;
  • la distance pédagogique (parfois qualifiée de distance cognitive) qui renvoie à la compréhension réciproque entre le formateur/pédagogue et l’apprenant et à la capacité d’assimilation par l’apprenant des connaissances délivrées en ligne ;
  • la distance socio-culturelle qui peut être un facteur d’exclusion si le parcours est construit sur des valeurs et des références culturelles très éloignées du terreau culturel originel de l’apprenant ;
  • la distance socio-économique qui détermine l’adéquation entre les moyens financiers de l’apprenant et l’accessibilité de la modalité digitale (moyens d’acquérir les outils technologiques nécessaires au suivi de la formation).

L’efficience d’un dispositif digital learning serait donc conditionnée par l’adoption des bonnes distances et la mise en place de ressorts favorisant l’impression de présence à distance. Cette présence, corollaire des différentes distances définies peut ainsi être temporelle (via des dispositifs de communications synchrones), techno-pédagogique (via une scénarisation la plus adaptable à chaque profil d’apprenant et une interface ergonomique et intuitive) mais également sociale et cognitive par le biais des échanges à distance entre les différents acteurs de l’apprentissage (qu’il s’agisse des formateurs/tuteurs, du learning community manager ou des apprenants). Aujourd’hui, l’isolement de l’apprenant à distance se caractérise moins par l’absence d’intervenants que par un déficit qualitatif dans la relation à l’autre.

Le digital learning peut ainsi combiner 4 types de relations :

  • les 2 premières peuvent être qualifiés d’interactives car elles favorisent l’échange entre l’apprenant et le contenu (interactivité pédagogique) et entre l’apprenant et la plateforme (UX design) ;
  • les 2 autres relèvent de l’interaction car elles initient et maintiennent sur la durée du parcours les échanges entre pairs et les échanges avec les tuteurs.

2.
Interactivité : un dialogue Homme-Machine

La conception de la plateforme doit intégrer un premier niveau d’orientation de l’apprenant et éviter les freins techniques. Il s’agit d’une présence fonctionnelle dans le dialogue environnement/apprenant. L’interactivité repose également sur la construction d’une véritable présence pédagogique  assurée par l’ingénierie pédagogique et la personnalisation des parcours.

Une présence fonctionnelle

Si l’UX design est désormais placé sur le devant de la scène, c’est que l’ergonomie des plateformes et leur utilisabilité jouent un rôle sur l’engagement de l’apprenant et sa capacité à mobiliser toutes ses ressources cognitive sur les apprentissages et non sur la compréhension des fonctionnalités qui lui sont offertes. D’un point du vue fonctionnel, le parcours de l’apprenant dans son environnement de formation en ligne doit être balisé. Des conseils d’utilisation des fonctionnalités doivent être fournis à l’apprenant afin qu’il puisse appréhender l’utilité et l’objectif de chacune. Des feedbacks automatiques peuvent guider efficacement l’apprenant lors de ses actions sur l’environnement.

La plateforme devrait en outre s’adapter au niveau de compétence technique de l’apprenant. Un concept de « modèle d’accès progressif » (MAP) a été développé par Marlène Villanova-Oliver, docteur en informatique. Ce modèle vise à mettre en place un niveau d’information contextualisé au profil de l’utilisateur. Adapté aux plateformes de formation, ce modèle pourrait conduire chaque utilisateur à bénéficier de conseils et d’informations variables en fonction de son besoin : la première navigation devrait fournir les informations essentielles à la navigation et à l’identification des fonctionnalités et de leurs objectifs. Puis, au fil du temps et une fois intégrées les fonctionnalités essentielles, chaque apprenant devrait pouvoir disposer d’informations complémentaires ou désactiver les conseils et informations de base dont il n’a plus besoin.
Ainsi un « tuto » peut-il être proposé à la première connexion pour faire le tour des fonctionnalités de l’interface et assurer un démarrage rapide sans écueil technique qui participe à la démotivation de l’apprenant. Ce « tuto » doit pouvoir être désactivé dès le deuxième accès. Lors de la découverte de nouvelles activités pédagogiques, l’apprenant pourrait accéder à des informations fonctionnelles supplémentaires pour les réaliser sans aucun frein technique.

La lisibilité et la cohérence de la charte graphique renforcent également le sentiment de sécurité et le repérage. Les polices doivent être adaptées à l’écran (éviter les polices à empâtement, par exemple). Les couleurs doivent être signifiantes et associées à des fonctionnalités ou à des actions de l’apprenant. Traditionnellement le vert est utilisé pour signifier la réussite ou la complétude au contraire du rouge utilisé pour signaler une erreur par exemple.

Une présence pédagogique

La pédagogie peut constituer un deuxième niveau de présence dans le parcours de formation. La présence pédagogique peut être définie comme la scénarisation du parcours et l’articulation des ressources pédagogiques (asynchrones ou synchrones). Elle est de la responsabilité de l’équipe pédagogique. Chaque apprenant doit pouvoir identifier clairement les attentes du formateur au travers des activités pédagogiques que ce dernier a imaginé.

L’ingénierie pédagogique et la structuration des parcours de formation doivent ainsi pouvoir assurer une présence pédagogique implicite propre à rassurer l’apprenant, à créer du sens et à favoriser la métacognition lui permettant de conscientiser ses apprentissages.

Dès le départ, l’apprenant doit savoir si le parcours est contraint ou libre. Autrement dit, l’apprenant doit identifier les étapes qu’il lui faudra franchir pour progresser dans le parcours :

  • pourra-t-il accéder aux ressources librement et dans l’ordre qu’il souhaite ?
  • pourra-t-il s’exonérer de certaines activités en fonction de son niveau (défini par un test de positionnement, par exemple) et de ses résultats aux évaluations pour un parcours personnalisé ?

La liberté dans le parcours peut se révéler un atout pour conserver l’engagement de l’apprenant et le responsabiliser face à sa progression. La personnalisation de la formation (adaptive learning) est source d’efficacité dans l’acquisition des connaissances et compétences. Les contenus courts et les formats diversifiés (vidéo, audio, texte, images enrichies…) favorisent le rythme et l’impression de progression rapide dans le parcours.

La construction du parcours doit favoriser la métacognition et la détection par l’apprenant de ses propres mécanismes d’apprentissage. Pour ce faire, chaque activité doit être associée à un objectif précis. Son utilité et son importance dans les apprentissages doivent être expliquées afin que l’apprenant puisse attribuer une valeur à chaque élément pédagogique du parcours. Les consignes doivent être explicites et détaillées.

Enfin, la présence pédagogique se rapproche de la présence cognitive qui se matérialise dans les rapports du formateur/tuteur avec les apprenants au niveau des savoirs et savoir-faire à acquérir. Cette présence, synchrone ou asynchrone est portée par les outils de communication pédagogique on line : classes virtuelles, chat, forums… Au delà des outils, on quitte le domaine de l’interactivité pour entrer dans celui de l’interaction.

3.
Interactions : organiser la circulation des signes de la présence dans le parcours

Si l’on considère les éléments d’interactivité comme des « signaux faibles » (car conçus de façon standard, sur le mode « action (de l’apprenant)/réaction (de l’environnement) » et en dehors d’une communication « mammifère » entre les différents acteurs, les interactions en digital learning constituent des « signaux forts » de la présence à distance car tournés vers une relation directe entre les différents acteurs et à double sens (dialogue et échanges multidirectionnels entre pairs ou avec l’équipe tutorale).

Les interactions permettent de favoriser deux types de présence : la présence cognitive et la présence sociale. Ces deux types de présence supportent la présence pédagogique et la présence fonctionnelle.
Elles supposent la mise en place d’une équipe tutorale à même de sécuriser pédagogiquement le parcours de l’apprenant, d’assurer une animation et une médiation dans la communauté apprenante, de combatte le déficit socio-affectif de l’apprenant, généralement constaté en formation à distance.

Présence cognitive : favoriser le conflit socio-cognitif

Créer une présence cognitive permet de favoriser la co-construction des connaissances et compétences entre pairs. La présence cognitive découle de la collaboration entre apprenants pour résoudre une problématique. Elle induit un conflit socio-cognitif par la confrontation des points de vue, la déconstruction des schémas de pensées pour en reconstruire de nouveaux ou les adapter et progresser vers la mise en lumière d’une solution. Il s’agit donc de créer et de mobiliser une véritable communauté apprenante à distance au travers d’outils de social-learning, d’espaces de travail collaboratifs via des outils de communication asynchrones et de gestion de projet (Trello, chat, forums…) . Cette communauté doit être encadrée et animée par des tuteurs pour soutenir l’appropriation des connaissances et leur partage en vue d’aboutir à un résultat. La mise à disposition d’outils de communication n’est pas gage d’échanges entre apprenants, une médiation humaine est souvent nécessaire pour impulser une dynamique collective et entretenir les relations à distance au sein de la communauté apprenante.

Opter pour une communication asynchrone entre apprenants dans une optique de résolution de problème apporte la temporalité nécessaire à chacun pour engager une véritable réflexion sur les apports de ses pairs, pour les confronter à ses propres connaissances et propositions et pour réordonnancer ses acquis avec les nouveautés apportées par la communauté apprenante. Elle permet en outre de prendre le temps de formaliser ses propositions, ses recherches pour nourrir la réflexion collective.

Outre la collaboration entre pairs, cette présence cognitive est soutenue, au niveau individuel, par un tutorat organisationnel, par un tuteur/formateur pour une remédiation en cas d’erreur le cas échant.

Présence sociale : rompre le déficit socio-affectif

L’environnement socio-affectif dans lequel l’apprenant est amené à évoluer au cours de son parcours de formation est fondamental. Si « l’Homme est un animal social », l’apprenant ne déroge pas à la règle.
La présence sociale est source de confiance dans ses compétences et dans celle du groupe. Elle représente la capacité de l’apprenant à s’identifier au groupe, à reconnaître les autres apprenants comme ses pairs et à investir un champ de relations interpersonnelles. Elle renforce la dynamique d’apprentissage en brisant l’isolement que peut induire la distance. Elle concoure à la construction de nouveaux savoirs et savoir-faire individuels.

Un environnement socio-affectif serein facilite la reconstruction des savoirs par l’apprenant. Il soutient le conflit socio-cognitif par une bienveillance et une confiance dans le groupe. Durkheim parlait d’une absence d’un « autrui semblable que nous reconnaissons et qui nous reconnaît » plus que de l’absence de l’autre pour qualifier l’isolement et la solitude. Il est donc fondamental d’initier les relations entre pairs, d’inviter chaque apprenant à se présenter au groupe et à reconnaître le groupe comme une communauté d’appartenance sociale.

Cette présence sociale se matérialise par une démarche d’animation de la communauté et de médiation entre les apprenants réalisée par un ou des tuteur(s). Créer du lien social nécessite, en dehors des échanges au fil de l’eau, un séquencement des échanges à des moments clés de la formation (lancement, bilan périodique, clôture), comme une ritualisation de la communication entre pairs.

Tutorat : le jeu des 7 familles

Les interactions qu’elles soient sociales ou cognitives nécessitent l’intervention d’une figure médiatrice et bienveillante qui va guider l’apprenant dans sa démarche individuelle dans une dynamique collective : le tuteur.

Les débuts de la fonction tutorale ont consisté à nommer un sachant, figure tutélaire chargée de faire face à toutes les problématiques rencontrées par les apprenants. A la fois coach, expert, pédagogue, spécialiste technique, le tuteur était l’homme orchestre de la formation. En résultait souvent une cacophonie pour l’apprenant qui préférait la solitude et finissait par renoncer faute d’être entendu.

Les nombreuses études sur la fonction tutorale ont mis en évidence un besoin d’ingénierie et de scénarisation de l’accompagnement tutoral au même titre que l’ingénierie pédagogique et l’enchaînement des activités et ressources pédagogiques dans le parcours. A chaque type de problématique correspond un profil de tuteur (un même tuteur peut cependant regrouper plusieurs champs de compétences). Le besoin d’accompagnement technique (qui devrait être résiduel si la plateforme est ergonomique et intuitive) est très différent du besoin de soutien pédagogique. De même le besoin d’intégration dans la communauté apprenante est-il spécifique par rapport à la nécessité d’obtenir un appui organisationnel ou motivationnel. Le tuteur doit donc disposer des compétences particulières au rôle qu’il va devoir assumer dans le parcours de formation.

En 2003, Brigitte Denis, docteur en Sciences de l’éducation, distinguait 7 familles de fonctions tutorales :

  • le lancement et l’accueil apprenant : établir le contact avec les apprenants et s’assurer de la bonne compréhension du dispositif et de ses objectifs, rappeler le déroulement du parcours et les dates clés ;
  • l’accompagnement technique : résoudre les problèmes techniques simples rencontrés par l’apprenant ou orienter la demande vers un technicien ; guider dans le choix des outils de communication en fonction des activités réalisées ou de la progression dans le parcours ;
  • l’accompagnement disciplinaire : enrichir la formation de ressources complémentaires selon les besoins exprimés par l’apprenant ou par la communauté apprenante ; répondre aux questions relatives au contenus ; inviter à partager les ressources au sein de la communauté ;
  • l’accompagnement méthodologique et affectif : aider l’apprenant à organiser ses temps de formation au regard de ses contraintes et de ses temps disponibles ; apporter des éléments de méthodologie. Mais également organiser la communication entre pairs et apporter un soutien socio-affectif par la prise de contact dans des moments de décrochage de l’apprenant ;
  • l’autorégulation et la métacognition : échanger avec l’apprenant sur sa progression, l’inciter à formaliser son processus d’apprentissage et les freins rencontrés ;
  • l’évaluation : rappeler les objectifs et les modalités de l’évaluation, proposer des feedback réguliers à l’apprenant sur son activité d’apprentissage, l’inviter à auto-évaluer sa démarche d’apprentissage et sa progression ;
  • la personne-ressource : conseiller l’apprenant sur le choix des contenus dans le parcours, remonter au concepteur pédagogique des éléments permettant d’ajuster les contenus ou le dispositifs de façon générale.
    Difficile, compte tenu de la diversité des missions possibles d’envisager un tuteur unique ou un profil unique pour couvrir de façon efficace l’intégralité des cas d’usage.

En 2013, Jacques Rodet, spécialiste de la fonction tutorale à distance, imaginait une cartographie des interventions tutorales qu’il synthétisait dans cette matrice :


La fonction tutorale se positionne ainsi au cœur de l’engagement de l’apprenant à distance. Ses multiples dimensions permettent de réduire les distances socio-affectives, technologiques, pédagogiques et cognitives. L’interactivité présente dans l’environnement formatif doit fournir toutes les fonctionnalités synchrones ou asynchrones nécessaires à l’intervention des tuteurs, que cette intervention soit à l’initiative de l’apprenant ou du tuteur lui-même.

4.
Pour tenir la distance…

Interactivité et interactions se combinent et se complètent pour produire un sentiment de présence en formation à distance et susciter l’engagement de l’apprenant sur la durée. Leur articulation doit être imaginée avant le lancement de la formation et ajuster au besoin après le lancement pour assurer un sentiment de présence nécessaire à l’apprenant sans pour autant risquer sa sur-sollicitation.

Les distances spatiales et temporelles peuvent quant à elles se révéler bénéfiques pour laisser à l’apprenant le temps de réfléchir, d’apprendre à son rythme, de revenir autant que nécessaire sur certaines notions.

Un peu de distance pour prendre du recul sur ses apprentissages…