Introduction

Ne me quitte pas… ce n’est pas seulement la complainte de Jacques Brel, mais aussi celle de nombreux responsables de formation qui ont du mal à remplir leurs salles, ou qui se lassent de voir les statistiques de leur LMS désespérément plates. Et si la solution au fameux « no show » venait du jeu ? Non pas en injectant par-ci par-là quelques mascottes maladroites et peu utiles, ou en plantant un décor futuriste hors de propos. Mais plutôt analysant et reproduisant ce qui rend un jeu passionnant, motivant et addictif sans tomber dans des travers puérils.
Découvrons ensemble dans cette mini série les apports de la gamification en formation et comment la mettre en œuvre.

Episode 1 – Gamifier la formation de quoi parle-t-on?

A.  Halte aux idées reçues

Avant d’aborder les principes de la gamification, tordons le cou à quelques idées reçues.
La Gamification (ou ludification pour ceux que l’anglais irrite) N’EST PAS synonyme de :

  • jouer
  • s’amuser
  • infantiliser
  • détourner l’attention
  • ne pas être sérieux
  • nécessairement liée aux Serious Games
  •  une simple distribution de points ou de badges

Il s’agit ici de s’appuyer sur les ressorts du jeu.

B.  Tous sensibles au jeu

Pourquoi se poser la question d ’utiliser les ressorts du jeu en formation ?
De fait parceque tout le monde est naturellement réceptif aux mécaniques de jeu.
La gamification n’est en effet pas réservée aux seuls joueurs, aux gamers.

En bon mammifère que nous sommes, le jeu est génétiquement notre moteur pour apprendre.
Le jeu synonyme d’éveil et de découverte depuis la toute petite enfance est une capacité naturelle qu’il nous suffit de réveiller dans nos méthodes de formation.
Les sujets les plus arides et les plus abstraits peuvent être traités sous forme de jeu. Un bon exemple est celui développé aujourd’hui pour apprendre à coder même aux plus jeunes.
Jouer, c’est se lancer des défis, s’entraîner à résoudre des énigmes, utiliser ses aptitudes naturelles et ses connaissances pour réussir des challenges, trouver des solutions à des problèmes, appliquer des règles, s’adapter / réagir à des situations qui varient, à de nouvelles conditions de l’environnement … en résumé il s’agit tout simplement … d’apprendre.

C. La gamification pour redonner le goût du plaisir d’apprendre

La gamification n’a pas pour objectif de supprimer ou de diminuer l’effort consacré à l’apprentissage, mais bien de faire en sorte qu’il soit volontaire et renforcé par une motivation personnelle intrinsèque et non pas par des obligations ou des contraintes

L’effort est toujours présent, car il est au cœur de l’apprentissage, mais les mécaniques de jeu permettent de diminuer les résistances à l’effort voir même de l’encourager et l’amplifier.
La gamification repose sur 2 grands principes :

  • la boucle d’engagement (sur un temps court) et
  • des mécaniques gamifiées (composants + actions) conditionnant des comportements (sur un temps long).

La boucle d’engagement (motivation, action, feedback) entretient les petits succès et les récompenses qui maintiennent la motivation, et les mécaniques génèrent les comportements souhaités : apprendre, progresser, s’évaluer, …

L’engagement se définit par la volonté de consacrer à la fois du temps et de l’attention à une tâche. L’engagement est un des facteurs de réussite les plus importants d’une formation.

Des apprenants qui vous consacrent du temps mais peu de ressources cognitives pour comprendre votre message n’apprennent pas : c’est là la limite des formations obligatoires.

Pour entretenir cette boucle de l’engagement, les feedbacks intermédiaires doivent être très fréquents (une boucle dure quelques minutes). Les quiz et autres moyens d’auto-évaluation doivent faire partie intégrante de l’apprentissage afin de créer un aller-retour entre l’évaluation et l’apprentissage.

Episode 2 – Les ressorts du jeu

Se former en jouant ? Est-ce bien sérieux ?

La gamification s’appuie sur les leviers du jeu en utilisant des mécaniques ludiques et émotionnelles, dans un univers qui néanmoins différe de celui du jeu.
Gamifier une formation, ce n’est pas la transformer en jeu, mais intégrer dans la formation des ressorts ludiques plus ou moins complexes et évolués pour renforcer le plaisir et la motivation des apprenants.

A. Jouer est-ce bien raisonnable ?

On peut bien entendu toujours se poser la question du sérieux d’utiliser le jeu au travail.
Le psychiatre Stuart Brown, nous apporte la réponse. Il est un grand défenseur du jeu au travail, car selon lui, jouer n’est absolument pas incompatible avec le travail, bien au contraire, il peut transformer des tâches ingrates ou peu attirantes en activité plaisantes.

Les jeux ont beaucoup de vertus, comme booster la mémoire, dynamiser une formation blended, renforcer l’engagement. Le jeu au travail est décidément un sujet qui n’est plus tabou.

Rendre ludique (ludifier ou gamifier) une activité repose sur des règles strictes et précises, cela ne s’improvise pas, et ne se réduit pas à ajouter quelques images bling-bling, quelques badges, un effet visuel ou sonore.
L’objectif n’est pas de rendre l’activité “drôle”, les talents de comique sont peu utiles pour ludifier une activité pédagogique. Il faut appliquer avec méthode les mécaniques de jeu.
Ralph Koster – auteur d’une théorie du fun, propose 4 catégories d’amusement : le Easy fun, le People fun, le Serious fun et le Hard fun, chacune avec des niveaux d’engagement croissants.

B. Le fun et la formation

Pour nous centrer sur la formation nous citerons les principaux leviers sur lesquels la gamification va pouvoir s’appuyer :

  • collectionner (des badges, des statuts, des récompenses…)
  • gagner des points (de progression, de niveau, de performance…)
  • intégrer un mécanisme de rétroaction (les feedbacks et la boucle d’engagement)
  • encourager les échanges entre joueurs (commentaires, question/réponse, challenge…)
  • réussir des missions (énigmes, achèvement, réussite…)

Jon Radoff éminent spécialiste du jeu présente dans son blog 43 éléments qui apportent du fun, non seulement dans les jeux, mais aussi dans d’autres domaines où l’on utilise la gamification.

Parmi ces éléments on peut en citer un certain nombre que l’on pourra utiliser dans nos scénarios de formation:

  • trouver un trésor,
  • être un héros, un méchant ou un sage, un rebelle ou un magicien
  • gagner des cadeaux, les échanger,
  • résoudre des énigmes,
  • relever des défis
  • obtenir des signes de réussite,
  • entrer en compétition…

C. Simuler et expérimenter

Quand on aborde ces leviers précédents on peut légitimement évoquer les serious-game qui vont pour la plupart s’appuyer sur ces ressorts de la ludification. Très longtemps considérés comme le graal du e-learning, ils ont trouvé leur place et ont prouvé leur réelle efficacité principalement au travers de la simulation et de l’expérimentation.

C’est certainement à cause de Pulse! de BreakAway Games, un simulateur d’hôpital au réalisme fascinant, ce serious game le plus cher jamais créé (10 millions de dollars) a donné une image luxueuse et élitiste au serious game.

Heureusement, la tendance est à la démocratisation. Le développement devient accessible et des sociétés comme Serious Factory ont notamment développé un outil auteur qui permet de développer rapidement et à bas coûts ce type de solution.

Les serious games qui peuvent être utilisés seul ou à plusieurs, en présentiel ou à distance, proposent et se nourrissent des meilleurs innovations pédagogiques et techniques.

Rappelons-nous simplement qu’une formation gamifiée n’est pas un serious-game et inversement.
En effet, comme nous l’avons vu gamifier une formation n’est pas obligatoirement transposer la formation dans un univers ludique immersif. Et proposer un environnement de simulation dans une formation ne fait pas de celle-ci un serious-game.

Episode 3 – Règles du jeu pour gamifier vos formations

Nous l’avons vu, l’objectif de la gamification n’est pas tant de nous faire jouer que de provoquer chez l’apprenant l’envie de se former. La gamification emprunte aux jeux leurs bonnes recettes, et s’appuie sur des mécanismes naturels et puissants qui provoquent de l’engagement (le but recherché par les auteurs des formations) et du plaisir pour les apprenants (le but recherché par tous). Abracadabra comment s’y prendre ?

A. Créez des expériences pour les apprenants

Penser que la gamification consiste à distribuer des points, des badges ou proposer un classement serait une erreur. Ces points sont l’aboutissement d‘expériences. Et ce sont bien ces expériences qui constituent la gamification, pas leurs conséquences.
Pour créer ces fameuses expériences, il faut s’intéresser aux utilisateurs, à leurs profils, leurs besoins, leurs motivations, leurs contextes d’apprentissage. Ensuite, les éléments de la formation seront utilisés comme composants qui seront associés à des actions pour créer des mécaniques. Les fameuses portions du trivial pursuit sont un bon exemple : les questions sont des composants, y répondre une action, et une portion la récompense d’une bonne réponse. L’objectif du joueur n’est plus de répondre aux questions, mais de réunir le premier l’ensemble des portions. La gamification consiste donc à transformer la difficulté d’une question et l’effort nécessaire pour y répondre en mécanique visant à atteindre un objectif récompensé.

B. Utilisez des quêtes et des défis pour maintenir l’engagement

Transformer un objectif en challenge est un des meilleurs principes de la Gamification.
L’important n’est pas d’aboutir à un résultat, mais le chemin parcouru jusqu’à ce résultat. Finir une formation, réussir un Quiz est certes valorisant mais ne génère pas en soi la plus grande des motivations.
Par contre, compléter l’ensemble d’un tableau, découvrir toutes les astuces, progresser dans une échelle de niveaux, débloquer des étapes, …sont des challenges motivants.
L’essentiel n’est pas dans la conception de ces défis ou challenges, mais dans le bon calibrage de leurs difficultés à mesure de la progression afin qu’ils ne soient ni trop simples ni trop complexes pour rester dans une zone appelée “flow” où réussir est possible et ce avec un certain niveau d’effort.

C. Ne perdez pas de vue les objectifs pédagogiques

Attention à ne pas vous prendre au jeu de la gamification.
La gamification n’est qu’un moyen supplémentaire d’atteindre vos objectifs pédagogiques. Le jeu ne doit en aucun car prendre le dessus.

Comme pour toute formation, les objectifs pédagogiques doivent être clairement énoncés, compréhensibles, et doivent rester le fil conducteur de la formation.

Or gamifier une formation ajoute en effet un objectif supplémentaire à celui de l’acquisition de connaissances ou de compétences : l’objectif propre au jeu.
Il doit totalement s’articuler avec l’objectif pédagogique. Si la définition d’un objectif pédagogique constitue une évidence pour le formateur, le second doit être intuitif, clair et atteignable. L’apprenant doit en saisir les ressorts et en identifier la mécanique de réussite sans qu’il lui soit nécessaire de lire une règle du jeu longue et fastidieuse.
En quelques lignes, en une courte vidéo, en un écran, l’apprenant doit avoir compris. La simplicité est donc de mise.

Pour autant si l’objectif et les règles du jeu doivent être clairement définie et présentés dès le début, il est recommandé de conserver quelques éléments de surprise. L’imprévu peut relancer la dynamique de jeu et accrocher l’apprenant à certains moments clés.

Certaines actions de l’apprenant peuvent par exemple déclencher l’attribution d’une récompense surprise. Les récompenses récurrentes sont pour leur part programmées en fonction des actions de l’apprenant, de son assiduité et/ou de ses réussites. Une récompense est généralement attribuée après un certain nombre d’actions ou de points gagnés, après le passage au niveau supérieur…

D. Récompensez chaque effort, la progression et les résultats

Chaque effort significatif produit par les participants doit être reconnu et valorisé. Sous forme de points, de badges, de bonus, de progression, de nouveaux contenus ou fonctionnalités.

Les formes de récompenses sont très nombreuses.

Elles doivent être fréquentes, variées, et surtout utiles ! Rien ne sert d’accumuler 10.000 points ou 100 badges s’ils n’ont pas d’utilité ou de sens. Il est important de les rattacher à la progression des apprenants, et aux objectifs pédagogiques.

E. Et surtout, construisez, racontez, et appuyez-vous sur une histoire

La dernière, mais pas la moindre des techniques de gamification est la narration. Il est important que l’ensemble des moyens utilisés pour gamifier s’unissent autour d’une histoire. Elle doit être scénarisée, construite et cohérente. Elle doit elle aussi avoir une progression, et doit permettre de renforcer la motivation non seulement à progresser dans la formation, mais aussi dans celle de connaître la suite de l’histoire.

Episode 4 – Engagement de l’apprenant : quand il se prend au jeu

A.  Quand la formation a le flow :

Se former, quel que soit le niveau de motivation initiale reste toujours un effort. Il faut donc être vigilant à ce que la gamification n’apporte pas une “angoisse” supplémentaire à cet effort qui pourrait décourager.
Il faut donc veiller à rester dans une zone où les challenges restent plaisants et motivants, l’effort à fournir semble soutenable, et la réussite atteignable.
C’est ce qu’on appelle être en état de “flow”, un état de concentration équilibré et optimal. Les éditeurs de jeux vidéo maîtrisent parfaitement ce concept de flow. Ils visent le maintien du joueur dans cet état par la bonne adéquation entre le niveau de compétence de la cible et le niveau des épreuves.

B.  Les profils de joueurs

Pour rester dans cette zone de “flow”, il faut entretenir la motivation des apprenants, et dans le cas d’une formation gamifiée, récompenser chaque “participant” selon ses motivations personnelles.
Richard Bartle, grand spécialiste du jeu et de l’intelligence artificielle distingue 4 profils de joueurs :

  • L’ « Achiever » (collectionneur) : son objectif est de terminer le jeu ; d’en avoir fait le tour, de posséder l’ensemble des objets, personnages du jeu.
  • L’ « Explorer » (explorateur) : son objectif est la découverte de l’univers du jeu et de ses règles ; il cherche la nouveauté et l’étonnement.
  • Le « Socializer » (social) : il recherche avant tout les interactions avec les autres joueurs ; c’est un coopératif qui joue sur un mode multi-joueurs. Son objectif est le partage.
  • Le « Killer » (tueur) : son moteur est la compétition ; gagner est son objectif.

Si la cible d’apprenants est très homogène, il est plus facile, en fonction de l’objectif pédagogique, d’opter pour une mécanique particulière :

  • atteindre son objectif plutôt que se laisser transporter par l’expérience ;
  • contraindre le parcours plutôt que favoriser l’exploration aléatoire ;
  • renforcer les défis individuels plutôt que la collaboration dans la résolution des problèmes.

Si la cible est plus hétérogène, pour que chaque profil d’apprenant-joueur puisse se retrouver dans la dynamique de jeu, on peut mixer les procédés de gamification :

  • multiplier les sources de récompenses pour le collectionneur et placer des gratifications surprises à certaines étapes clés de l’apprentissage ;
  • utiliser le storytelling pour transporter l’explorateur dans un univers romancé et lui réserver des activités bonus qui pourront le surprendre ;
  • favoriser le travail collaboratif pour satisfaire le profil social ;
  • challenger le « tueur » par un classement et des défis face à ses pairs, valoriser ses succès par une visibilité de son profil sur l’application…

Attention, le seul but d’un jeu est de terminer la partie, en formation, il ne faut perdre de vue que l’objectif est d’acquérir du savoir, du savoir-faire ou du savoir-être.

C. La gamification au service du NeuroLearning

Si on considère la gamification du point de vue des Neurosciences nous comprenons mieux pourquoi les ressorts du jeu fonctionnent.

En effet les sens et les émotions sont particulièrement stimulés par le jeu, ce qui a pour effet de canaliser l’attention.
L’humeur positive apportée par la dynamique du jeu facilite l’apprentissage, accroit le plaisir d’apprendre ce qui à son tour renforce la motivation.
Du point de vue du Neurolearning ces trois dimensions combinées – émotions, attention, motivation – sont essentielles pour apprendre, on comprend donc mieux encore l’intérêt de s’appuyer sur les ressorts du jeu en formation.

Le cerveau humain comme celui des animaux est équipé d’un circuit de la récompense qui influence puissamment nos décisions et nos comportements.
Une récompense reçue par le cerveau au cours d’un apprentissage active des régions du cerveau qui libèrent de la dopamine (hormone dite du bonheur).
Les activités d’apprentissage qui augmentent la dopamine procurent du plaisir et favorisent la motivation. Les petits gains successifs à court terme sont beaucoup plus motivants qu’un gain plus important à long terme. Nous sommes prêts à fournir de sérieux efforts de réflexion quand nous faisons le lien entre l’effort immédiat et de bonnes chances de succès. Ces mécaniques expliquent  l’immense succès des jeux vidéo.

En conclusion…

Voilà nous arrivons au terme de cette découverte de la gamification en formation.
S’il n’existe pas de recette miracle pour se lancer, chaque élément utilisé pour gamifier une formation se conçoit et s’affine en fonction des apprenants, de leurs contextes, du sujet de la formation, des objectifs pédagogiques, des outils utilisés. Les contenus de la formation et les éléments de la gamification doivent composer un tout cohérent et pertinent. C’est le bon assemblage des ingrédients qui fera la réussite et n’oublions pas que le jeu est au service de la formation et non l’inverse.

Alors, comme diraient nos amis suisses, « ça joue … ou bien » ?

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