Petit guide vous donnera les points clés sur l’usage de la gamification, les questions qu’elle soulève, ses méthodes et ses avantages pour votre activité en ligne.
On parle de plus en plus de #gamification (ou ludification) en communication et en stratégie webmarketing. La technique est déjà ancienne, elle accède à une forme de reconnaissance dans les pays anglo-saxons depuis 2011, en intégrant le dictionnaire Oxford.
La gamification, c’est l’incorporation de mécanismes issus du jeu dans des éléments qui ne sont pas ludiques à la base. C’est ajouter du jeu dans un contexte qui n’est pas un jeu pour résoudre des problèmes ou améliorer une offre internet.
Ces techniques trouvent des débouchés dans des situations d’apprentissage et de travail (serious games). Une autre source d’utilisation est constatée sur des sites web et des réseaux sociaux où elle permet de stimuler l’engagement.
Having fun is ok , really ?!
Dans certains secteurs, il existe de nombreuses oppositions à l’idée de gamifier une expérience utilisateur, un processus de recrutement ou d’#apprentissage. Le jeu n’aurait pas sa place dans un business sérieux. Dans cette posture, il y aurait un temps pour tout, mais pas pour tout en même temps. N’est-il donc pas possible de s’amuser plus souvent ?
Le psychiatre Stuart Brown, qui défend l’importance du jeu dans l’apprentissage, a ainsi déclaré au cours d’une conférence TED que « le jeu n’est pas la contradiction du travail », l’un peu motiver l’autre en stimulant une activité de production, les deux ne sont pas exclusifs et il est possible de s’amuser en exécutant des tâches.
Le fun, nous dit Ralph Koster – auteur d’une théorie du fun, c’est maîtriser mentalement un problème. C’est aussi être surpris par un schéma que l’on ne connait pas. Pour s’y intéresser, il ne faut pas comprendre trop vite ce même schéma.
Il y a 4 types de fun selon la web designer Nicole Lazzaro :
- le EASY FUN vient de la curiosité avec un engagement minimal , il peut se résumer au fait de scroller et permet de rendre un site visible.
- le PEOPLE FUN vient du partage, avec un peu plus d’engagement. Il trouve sa place sur les réseaux sociaux et les communautés collaboratives.
- le SERIOUS FUN propose de jouer à quelque chose qui a du sens. L’impact peut être environnemental, social, culturel ou même sanitaire.
- le HARD FUN est un engagement plus poussé qui vient de la maîtrise, il repose sur la notion de challenge et ne s’adresse pas à tous les publics.
But(s) de l’organisation : le plus si affinité.
Alors, fun ou pas fun ? Pourquoi laisser à la tradition le soin de trancher cette épineuse question qui est surtout à appréhender sous l’angle d’une stratégie organisationnelle. Jeroen van Bree a défendu l’idée que le jeu doit trouver sa justification sur trois niveaux : personnel, organisationnel et sociétal.
Le niveau personnel semble évident : le jeu, à travers l’expérience utilisateur, doit créer une relation avec le site média. La question sociétale importe dans certains jeux, mais pas toujours. Au contraire, l’approche organisationnelle est indépassable et revient à se demander pourquoi recourir à la gamification.
On voit bien que l’organisationnel se situe entre le personnel et le sociétal : la fonction même de lacommunication est d’établir des passerelles entre ces différents niveaux. Les objectifs du jeu d’un point de vue organisationnel doivent alors chercher un compromis gagnant-gagnant entre tous les acteurs impliqués.
Les objectifs sont multiples et cumulables pour un dispositif online : créer du trafic, personnaliser le rapport à la marque, démontrer un ensemble de valeurs, renforcer l’engagement et l’expérience de l’utilisateur, récolter des données via un formulaire ou faire parler du site.
Les tactiques de gamification sont liées à la notion d’engagement pour créer un lien fort entre la marque et sa communauté. Le but est d’inciter l’audience à épouser les objectifs stratégiques de l’organisation. On ne fait pas jouer que pour la beauté du geste, on sait cependant que le jeu est un moyen pour les objectifs de l’audience et du site de se rencontrer.
Si vous ne savez toujours pas comment la gamification peut transformer votre activité, regardez cette présentation de Kevin Werbach et Dan Hunter, auteurs américains de l’ouvrage « For the win ».
Pourquoi introduire la gamification dans votre rapport à l’audience ? En répondant à ces trois questions formulées par le designer et chercheur Dustin DiTommaso, on sait généralement si la gamification est une bonne alternative à des choix plus classiques :
- Quelle est la raison pour gamifier un produit ou un service ?
- Comment cela va t’il se traduire en terme de bénéfices pour l’utilisateur ?
- Vont-ils apprécier ce dispositif ?
On peut aussi par précaution revenir à une vision plus stratégique :
- Quels sont les objectifs de votre site / application ?
- Comment amener les utilisateurs à rencontrer les objectifs de votre site ?
- Quelles actions concrètes voulez vous faire prendre aux utilisateurs ?
Récompenses et Engagement : la loi de la carotte.
Avec Foursquare et une variété d’autres check-ins sociaux, les récompenses et les badges sont devenus à la mode, un excellent moyen de communiquer avec ou entre utilisateurs et de les récompenser pour l’utilisation du service.
Tout le monde cherche une reconnaissance. La démarche repose sur une inclination naturelle à se comparer et permet de matérialiser ce qui est aujourd’hui considéré comme un Graal en relation utilisateurs : l’engagement.
La création de badges, points ou classements permet de se repérer dans son parcours (vidéos vues, articles lus, progression) et illustre la maîtrise progressive du site, cela peut être le seul code emprunté à l’univers du jeu.
Les « cadeaux » sont depuis toujours une motivation pour participer à différents jeux concours. Si certains jeux utilisent des gains tangibles comme l’argent ou les cartes cadeau, on peut aussi considérer les badges, les statuts privilégiés et les actions qu’ils peuvent permettre sur un site comme des gains virtuels.
Avec néanmoins une limite : statuts et récompenses virtuelles n’ont de valeur que par rapport à la communautédans laquelle ils sont attribués. L’obtention d’un badge dans un site où l’engagement est faible s’avère inutile. Le but est de créer une boucle de motivation vertueuse dans la relation site / utilisateur.
« Une gamification intelligente nécessite une intégration profonde d’un programme de récompenses dans l’expérience utilisateur en constituant une communauté où les utilisateurs seront fiers de participer et, par conséquent, plus enclins à valoriser vos récompenses. »
Type de joueurs : la classification de Bartle.
Selon le professeur Richard Bartle, il existe 4 types de joueurs ayant des objectifs et un positionnement différents face au jeu :
- ACHIEVERS qui veulent finir le jeu, le maîtriser.
- EXPLORERS : qui veulent découvrir le jeu, attendent de la nouveauté.
- SOCIOLITES : qui veulent partager une expérience ludique.
- KILLERS : qui veulent être les meilleurs, triompher des autres joueurs.
Le jeu laisse rarement indifférent, mais il ne produit pas les mêmes comportements. Mark Twain a défini le jeu très largement comme « tout ce qu’on fait sans y être obligé ». On ne peut pas obliger quelqu’un à jouer mais on peut lui donner envie.
La première ambition doit être de cerner ses joueurs pour s’adapter à leurs objectifs. Le succès du dispositif repose sur l’envie de participer, elle-même animée par différentes motivations : la maîtrise, la curiosité, la communication ou la victoire.
Connaître ses joueurs pour les satisfaire.
Connaître vos utilisateurs peut vous donner de bonnes idées sur la façon d’inciter et d’orienter au mieux leurs activités, les aider à rester dans le jeu et les fidéliser.
Une étude sur la gamification menée par Stéphanie Hermann a constaté que le jeu doit être fait sur mesure pour correspondre avec sa cible. On comprend bien qu’il n’existe aucun format universel, mais qu’il faut travailler une affinité. Il n’est donc pas totalement inutile de repartir des caractéristiques démographiques de la population des joueurs et de votre public.
Dustin DiTommaso propose des questions pour déterminer le bon jeu pour vos utilisateurs :
- Qui sont vos utilisateurs? Quels sont leurs besoins et leurs objectifs?
- Ce qui les arrêterait : un manque de volonté (temps) ou de maîtrise (capacité) ?
- Quel est leur style de jeu (solo, concurrentiel, coopératif)?
- Quelle pratique des réseaux sociaux ont-ils ?
Pour simplifier, Dustin DiTommaso identifie 4 principaux leviers de motivation :
- La réalisation des objectifs VS la jouissance de l’expérience
- La structure et l’orientation VS la liberté d’explorer
- La domination des autres VS la connexion avec d’autres
- L’intérêt dans les actions VS l’intérêt social dans les actions
Une dernière approche concerne le degré d’engagement actuel de vos utilisateurs :
- Les utilisateurs sont des novices ? Que proposer pour les faire rester ?
- Les utilisateurs sont des réguliers ? Comment les engager plus ?
- Les utilisateurs sont des experts ? Comment les valoriser et les récompenser ?
Systèmes de gamification : prime à l’évocation.
Les systèmes utilisant les techniques de gamification sur internet sont nombreux, allant le plus souvent de la simple évocation, à une dynamique plus intégrée qui plonge l’utilisateur dans une véritable expérience ludique. Voici quelques exemples d’application.
Foursquare—badges, rewards
En 2009, l’application géolocalisée Foursquare a popularisé la gamification en se construisant autour de la mécanique du jeu. On visite un lieu, on check-in, on gagne un badge, d’autres badges en revenant, le titre de “maire” comme régulier, ce qui procure des avantages et récompenses avec les partenaires. Fun.
Priceminister—virtual currency, badges
En 2012, le site a lancé le programme de fidélisation « super points » permettant, de convertir des achats passés en achats futurs. Les super points sont récupérés pour les achats, les avis et commentaires. Ils confèrent des statuts (regular, silver, gold, platinium), correspondant au niveau d’engagement.
Starbucks—leveling, rewards
Starbucks a placé des mécanismes de jeu dans son programme de fidélité populaire. En intégrant de multiples niveaux, des récompenses associées et des avantages par niveau, avec mesure de progression, les utilisateurs sont incités à s’engager en permanence dans la relation avec la marque.
LinkedIn—progress bar
Linkedin propose un petit exemple de gamification que les utilisateurs habituels auront remarqué. La barre de progression renseigne sur le niveau du profil et pousse naturellement à le compléter. Elle donne une représentation visuelle de l’investissement et repose sur une tendance naturelle à compléter.
Nike+ —achievements, badges, challenges, rewards, data
Nike a redéfini la course avec Nike+. Surfant sur la vague du quantified self et des objets connectés, le programme offre la possibilité de suivre sa progression, partager ses résultats, et de se mesurer à une communauté de coureurs dans le monde entier, data contre data, en fournissant de précieuses informations à la marque.
Xbox Live—achievements, leaderboards
Microsoft a touché une corde sensible chez les joueurs traditionnels en leur offrant le moyen de gagner des points à créditer sur leur gamerscore en accomplissant des tâches et des actions dans le jeu. Développant la loyauté, cette technique s’adresse à un public spécifique, mettant une importance particulière à prendre la tête du leaderbord (classement des joueurs).
Kodak Gallery —immersion, creativity
En 2008, Kodak a innové en lançant l’opération de marketing viral make me super. Le principe : se transformer en super héros décadent dans un clip animé en ne fournissant qu’une photo et son prénom. Le jeu, destiné à un public de socializer et de curieux a permis de faire parler de la marque.
« Il existe un mythe de la gamification, palpable dans de nombreux dispositifs qui ne cherchent pas à aller plus loin que le fameux badge de Foursquare. »
La gamification par delà le badge existe : le quantified self renforce et prolonge l’expérience dans le réel, le feedback montre le résultat des actions et incite à continuer, le flow engendre l’hyperfocalisation et la béatitude avec un challenge égal aux aptitudes.
Le game design : la magie de l’expérience.
Toute stratégie de gamification est redevable d’une bonne conception UX, c’est à dire de l’expérience utilisateur. Il faut pouvoir créer les conditions d’une immersion. L’environnement virtuel est la clé de l’engagement.
La gamification ne sert pas à faire de simples jeux, ni à vendre directement un produit. Il s’agit d’utiliser des mécaniques de jeu pour créer dans notre cerveau des stimuli similaires à ceux que nous ressentons au cours d’une expérience ludique, plutôt agréables donc.
Qu’est-ce qui peut inspirer un web designer dans le jeu ? Le graphisme, le système de scores, les challenges, les récompenses? Ce qu’il faut se demander, c’est comment ces éléments servent la mécanique de jeu, en se gardant de tout transposer mécaniquement.
Candy Crush, FarmVille et World of Warcraft ont des millions de joueurs chaque mois. Kristen Bourgault s’est demandée ce qui pousse tant de gens à s’engager régulièrement et profondément dans ces univers. Est-ce le besoin humain de jouer ? de maîtriser nos mondes? de se distraire ? Ou de se détendre ?
« Au sein d’un dispositif web engageant, les étapes du parcours d’achat s’enchainent naturellement : si l’information lui est transmise au bon moment et au bon endroit, l’utilisateur n’a plus de questions à se poser. »
Amy Jo Kim a identifié trois étapes dans le cycle du joueur : il est important selon le raffinement et la durée du dispositif de permettre l’évolution du jeu et des affects entre découverte (sympathie), apprentissage (incitation) et maîtrise (expression). En laissant la possibilité de s’exprimer aux utilisateurs les plus engagés, la durée du service et l’engagement sont infinis.
« Easy to understand but hard to master », voici le cœur même du game #design.
Pour Gabe Zichermann : « une bonne conception de gamification cherche à comprendre, puis à aligner, les objectifs de l’organisation avec la motivation du joueur, pour ensuite déplacer le joueur à travers un voyage de maîtrise du jeu. Ce voyage nécessite des éléments tels que le désir, l’incitation, le défi, le récompense et les commentaires pour créer l’engagement « .
Le « social goal » : on joue mieux à plusieurs.
La dimension sociale est omniprésente et indispensable en gamification. Socialiser, partager et recommander sur le web devient le plus important, ce qui remet un peu en cause la classification Bartle des types de joueurs. Cela mérite de s’y attarder. La gamification est sociale ou elle n’est pas.
Il existe plus de 40 millions de joueurs sociaux actifs (1h par semaine) aux États-Unis. Les applications de jeu sont les plus prisées avec 235 millions de joueurs sur Facebook en 2012. Ces chiffres sont à revoir à la hausse pour 2014 avec le développement du smartphone et de l’internet mobile.
Les communautés de joueurs forment également une force vive sur le réseau, elles-mêmes productrices de valeurs et de contenus. La communauté de joueurs de World of Warcraft a crée le second Wiki en taille derrière Wikipedia.
L’une des raisons de cet engouement, c’est la recherche d’une interaction (la fameuse rétroaction). Les relations sur les réseaux sociaux donnent un cadre humain au jeu en dépassant l’affrontement homme-machine. L’engouement est palpable chez les femmes dont la relation au jeu est plus axée sur la communication.
Ces réseaux permettent une émulation autour des scores et des mécanismes de coopération entre joueurs. C’est l’opportunité de se comparer à ses amis. La résolution des problèmes qui fait tout le sel du jeu semble également plus facile à plusieurs par la coopération engendrée sur les réseaux.
Enfin, le social rend possible la viralité et stimule l’enrôlement grâce aux logiques de recommandation. Un service de gamification non exportable sur les réseaux n’a aucune chance de recruter.
Évaluer le succès d’une stratégie : les FunAnalytics.
La gamification aborde le fun de manière très sérieuse. Introduire de la gamification n’est pas sans coûts, même si les prix continuent de baisser. Il en coûtait de 50 000 à 300 000 euros il y a quelques années, cela donne à réfléchir sur l’envie de jouer le jeu. La nécessité d’évaluer le succès de cette stratégie a accompagné son développement.
Il a fallu trouver des façons de quantifier le résultat en développant notamment des outils de mesure coté back-office, un peu à la manière des analytics. L’essor de la data-visualisation accompagne aussi un nouvel engouement pour ces jeux, en offrant la possibilité de sonder et de connaître les utilisateurs.
L’analyse doit permettre de suivre la participation de l’utilisateur, de mieux connaître cet utilisateur, ses activités quotidiennes et sa réussite, d’abord pour améliorer le jeu (et l’engagement) et finalement pour savoir si le jeu a une incidence positive sur la relation du consommateur à la marque.
Mise en perspective : Stop ou encore ?
Comment expliquer cette formidable expansion du jeu hors de ses frontières naturelles ? La raison est en partie culturelle : nous sommes entrés dans une société de loisirs, où l’équilibre travail-loisirs tend à s’harmoniser. L’accès à internet permet à l’individu de numériser sa vie et ses relations et de les emporter avec lui, n’importe où et n’importe quand.
Autre symbole de l’hybridation entre le jeu et la technologie, le jeu vidéo a conquis le titre « d’industrie culturelle » en dépassant dans les chiffres le cinéma. Les jeux vidéo ont nettement évolué avec une immersion constante chez les pré-adolescents et régulière chez bon nombre d’adultes. On notera l’importance du jeu dans la dimension imaginaire, le jeu participe à la construction de l’identité.
Les jeux vidéo, nous dit Donald Winnicott, réorganisent la réalité au profit d’activités symboliques. Souvent décriés, iIs livrent une « pédagogie informelle de la pensée scientifique », en même temps qu’ils bouleversent nos systèmes cognitifs. La gamification pousse un peu plus loin le jeu pour l‘expérience qu’il procure et les possibilités d’engagement qu’il offre.
Est-ce que la gamification peut tout changer ? Attention de ne pas en faire un poncif! Il existe déjà une église de la gamification menée par Gabe Zichermann. Elle a aussi son lot de storytelling : c’est, par exemple, l’histoire deJane McGonigal qui a développé en 2012, après une commotion cérébrale, le jeu en ligne Superbetter pour organiser sa guérison. Cette idéaliste est aussi à l’origine du jeu Evoke qui propose de solutionner des problèmes majeurs comme le réchauffement climatique et la faim dans le monde.