Avant les vacances, une réflexion sur l’ « Education nouvelle », qui apparaît dès le début du 20ème siècle, se structure en 1921 au Congrès de Calais et fait encore parler d’elle aujourd’hui… par beaucoup de ceux qui ne la connaissent guère.
Un des nombreux paradoxes de l’Education Nouvelle tient au fait qu’elle est, très largement, demeurée marginale dans les pratiques tout en réussissant à imposer la plupart de ses « lieux communs » dans les discours éducatifs. Certes, son caractère marginal a été, et reste systématiquement revendiqué par ses promoteurs qui craignent que l’institutionnalisation de ses propositions leur ôte leur caractère « subversif », engendre leur dévoiement et, à terme, provoque leur dilution dans une « pédagogie traditionnelle ordinaire » tout juste « modernisée » pour créer l’illusion.
Malentendu n°1 : « Un élève n’apprend que s’il est motivé »… Célestin Freinet, après tant d’autres, n’a cessé de le répéter : « On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif ». Mais Freinet, pour autant, ne sous-estimait pas la différence entre un cheval et un élève. Il savait que tout cheval à qui l’on ne donne pas à boire finit toujours par avoir soif, tandis qu’il est fort rare qu’un élève privé de mathématiques vienne réclamer à ses éducateurs le théorème de Thalès ! C’est la raison pour laquelle Freinet insistait tant sur la nécessité de « donner soif à l’élève » et de ne pas se contenter d’un attentisme bienveillant (comme on peut le trouver, par exemple, dans certaines affirmations de Neil sur ses pratiques à Summerhill). Et, ainsi, Freinet lui-même pointe-t-il, mais sans toujours la formaliser suffisamment, la distinction fondamentale entre la « motivation » qui ne s’appuierait que sur des intérêts préexistants et la « mobilisation », que l’adulte s’efforce de susciter, par laquelle il permet l’émergence d’intérêts nouveaux et favorise l’engagement de l’élève dans des apprentissages pour lesquels il n’était pas spontanément motivé…

Les 7 malentendus…

C’est de cette inventivité dont fait preuve Pestalozzi qui, dès 1799, élabore une « Méthode » pour « donner des mains à Rousseau » : il y articule expérience et connaissance en demandant au maître de veiller à ce que chaque geste de l’enfant soit porté par l’exigence de perfection. C’est cette inventivité qu’on trouve aussi bien chez Makarenko, le bolchévique, que chez Jean Bosco, le fondateur des Salésiens : « L’enfant est malade, soignez le milieu. Il ne veut pas apprendre, créez des situations où il soit obligé de le faire. » C’est cette inventivité qu’on voit à l’œuvre chez Maria Montessori ou Célestin Freinet, comme chez tous les acteurs de l’Éducation Nouvelle. Les uns et les autres tentent de mettre en œuvre la maxime de Jean-Jacques : « Jeune instituteur, je vous prêche un art difficile, c’est de tout faire en ne faisant rien. » Entreprise infiniment risquée – et qui, par essence, prête le flanc aux critiques de tous les dogmatismes – mais seule voie possible pour une #éducation à la démocratie qui ne renonce ni à la transmission d’un monde commun ni à la formation de la liberté.

Philippe Meirieu

Partagez cet article