Un des nombreux paradoxes de l’Education Nouvelle tient au fait qu’elle est, très largement, demeurée marginale dans les pratiques tout en réussissant à imposer la plupart de ses « lieux communs » dans les discours éducatifs. Certes, son caractère marginal a été, et reste systématiquement revendiqué par ses promoteurs qui craignent que l’institutionnalisation de ses propositions leur ôte leur caractère « subversif », engendre leur dévoiement et, à terme, provoque leur dilution dans une « pédagogie traditionnelle ordinaire » tout juste « modernisée » pour créer l’illusion.Malentendu n°1 : « Un élève n’apprend que s’il est motivé »… Célestin Freinet, après tant d’autres, n’a cessé de le répéter : « On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif ». Mais Freinet, pour autant, ne sous-estimait pas la différence entre un cheval et un élève. Il savait que tout cheval à qui l’on ne donne pas à boire finit toujours par avoir soif, tandis qu’il est fort rare qu’un élève privé de mathématiques vienne réclamer à ses éducateurs le théorème de Thalès ! C’est la raison pour laquelle Freinet insistait tant sur la nécessité de « donner soif à l’élève » et de ne pas se contenter d’un attentisme bienveillant (comme on peut le trouver, par exemple, dans certaines affirmations de Neil sur ses pratiques à Summerhill). Et, ainsi, Freinet lui-même pointe-t-il, mais sans toujours la formaliser suffisamment, la distinction fondamentale entre la « motivation » qui ne s’appuierait que sur des intérêts préexistants et la « mobilisation », que l’adulte s’efforce de susciter, par laquelle il permet l’émergence d’intérêts nouveaux et favorise l’engagement de l’élève dans des apprentissages pour lesquels il n’était pas spontanément motivé…Les 7 malentendus…
C’est de cette inventivité dont fait preuve Pestalozzi qui, dès 1799, élabore une « Méthode » pour « donner des mains à Rousseau » : il y articule expérience et connaissance en demandant au maître de veiller à ce que chaque geste de l’enfant soit porté par l’exigence de perfection. C’est cette inventivité qu’on trouve aussi bien chez Makarenko, le bolchévique, que chez Jean Bosco, le fondateur des Salésiens : « L’enfant est malade, soignez le milieu. Il ne veut pas apprendre, créez des situations où il soit obligé de le faire. » C’est cette inventivité qu’on voit à l’œuvre chez Maria Montessori ou Célestin Freinet, comme chez tous les acteurs de l’Éducation Nouvelle. Les uns et les autres tentent de mettre en œuvre la maxime de Jean-Jacques : « Jeune instituteur, je vous prêche un art difficile, c’est de tout faire en ne faisant rien. » Entreprise infiniment risquée – et qui, par essence, prête le flanc aux critiques de tous les dogmatismes – mais seule voie possible pour une #éducation à la démocratie qui ne renonce ni à la transmission d’un monde commun ni à la formation de la liberté.
Philippe Meirieu