Les militants de la décroissance seraient peut-être étonnés de découvrir qu’ils sont à la pointe des innovations en proposant de faire baisser la consommation d’énergie fossile et en luttant contre l’hyperconsommation. Cette affirmation paradoxale tient au fait que le terme innovation a été « essentialisé » : il serait réservé aux nouveautés technologiques dans les entreprises associées à des intérêts privés. Dans le même temps, ceux qui critiquent la consommation défendent le bien commun qui, implicitement, ne relèverait donc pas du domaine des innovations.
En réalité, dans le champ des recherches qualitatives en sciences humaines, l’innovation a un sens bien plus large : elle traite des jeux d’acteurs collectifs en faveur ou en défaveur d’un changement. Celui-ci peut porter sur la création d’un serious game ou d’une start-up en France, d’une nouvelle boisson moins sucrée en Chine ; mais aussi sur l’obsolescence des études dans les services marketing ou l’usage de l’anthropologie dans un processus d’innovation en entreprise ; la réception d’une nouvelle technologie médicale ou de fenêtres roumaines en France, ou encore sur les paradoxes de la consommation responsable qui pousse à consommer, pour reprendre les recherches présentées dans notre livre Sur la réception des innovations (PUF, 2023).
Ces enquêtes montrent que les processus d’innovations suivent un itinéraire qui n’est pas linéaire. Les innovations sont la résultante d’ajustements permanents invisibles pour les approches de type statistique. En outre, l’innovation est toujours la résultante d’un ou plusieurs effets déclencheurs comme les crises climatiques, sanitaires, économiques, militaires, logistiques ou sociales. Ces crises produisent de la conflictualité encastrée dans toute une série de contraintes matérielles, sociales et symboliques qui organisent le jeu des acteurs collectifs.