Interdites dans certaines grandes écoles mais conseillées par des communautés éducatives en ligne, les IA génératives ne laissent personne indifférent ! Que change leur arrivée dans le monde de la formation ou de l’enseignement, pour les différents acteurs ? Faut-il encourager leur usage, ou freiner leur expansion ? Leur développement a-t-il d’autres implications ? Dialogue avec Denis Cristol, auteur et chercheur en sciences de l’éducation, Secrétaire général de Sol France (Society for Organizational Learning).   

Par rapport aux termes et concepts, peut-on parler d’intelligence quand on évoque les IA – y compris les IA génératives ?

Le mot « intelligence » est effectivement exagéré. Pour moi, l’intelligence – au sens complet du terme – implique de rendre notre planète plus vivante. Si on se contente de résoudre des problèmes et d’avoir des capacités de décision – ce qui est l’acception traditionnelle de l’intelligence, voire de l’intelligence collective -, il manque une dimension. Si nous nous mettons à plusieurs pour inventer une arme d’une puissance encore jamais atteinte, qui tuera l’ensemble des habitants de la Terre, nous n’aurons pas fait preuve d’intelligence ! L’intelligence doit aussi être organique. Or le silice et le carbone, qui sont des composants indispensables à ces puissances de calcul [les IA / IA génératives, ndlr], n’ont rien d’organique. Les IA génératives n’ont pas de capacité de bifurcation ni de fécondité – puisqu’il s’agit de propriétés spécifiques du vivant. À ce stade, elles ne font que restituer des informations déjà enregistrées, des datas du passé.

De ce fait, leur interdiction par certains établissements de l’enseignement supérieur, m’apparaît désolante. Mobiliser son intelligence, c’est utiliser tous les cheminements permettant de faire avancer notre humanité et les interrogations qui nous animent. Y compris si cela passe par l’exploitation de données issues de puissances de calcul ! Une intelligence artificielle ne dispose pas de « savoir » : elle a des bases de données dans lesquelles elle va puiser pour répondre à des questions qui lui sont adressées.

Ce que vous dessinez participe d’un apprendre autrement : durant longtemps, nos sens n’ont pas été considérés comme des leviers d’apprentissage…

C’est vrai ! Et que l’on pense à nos sens ou au sens – dans la perspective de « signification » -, voilà des éléments distinctifs par rapport aux IA génératives. Celles-ci ne comprennent pas les mots qu’elles produisent, il ne faut pas l’oublier. Leur développement nous invite à repenser à la signification. D’où le fait que l’intelligence ne puisse être dissociée du vivant.

L’ontologie humaine se transforme par la friction avec d’autres façons de percevoir les choses. Cela va nous conduire à intégrer, dans nos formations, un « surplus » de sens. Sachant qu’en parallèle, l’irruption d’un questionnement généralisé dans le monde du travail, bouleverse les équilibres…

Pour conclure sur le développement des compétences et la formation, la médiation humaine sera toujours nécessaire. Et elle puisera sans doute davantage dans les sentiments, les affects, les émotions, tout en se « complétant » des apports prodigieux des IA génératives.

Pour poursuivre cette exploration, découvrez le nouvel ouvrage de Denis Cristol, Apprendre à l’ère de l’intelligence artificielle – Révolution, défis, opportunités, à paraître en janvier 2024 aux éditions Eyrolles.

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