Jamais la fête n’a été autant sollicitée en formation. Les formations deviennent ludiques, joviales, joyeuses, des aventures à vivre… les mots ne manquent plus pour fêter la fête en formation, la littérature en a même fait un concept la learning expérience, la promesse de vivre un moment de fête apprenante. Que faut-il en penser ? Philippe Muray parlait non seulement du fait que dans nos sociétés, l’homme était un homo festivus, mais en plus qu’il aimait fêter la fête, un homo festivus festivus. Le sapiens et le festivus font bon ménage. La fête devient une valeur essentielle à nos sociétés et forcement, la formation n’échappe pas à ce phénomène. Comment la formation devient festive ? Et ce phénomène est-il une mode ou une tendance qui va durablement transformer la formation ? Que faut-il en penser ?
Pourquoi faut-il faire la fête ?
La fête en formation est une histoire ancienne. Déjà, Platon dans Philèbe, considérait que l’homme qui ne fait que la fête était une « éponge » à plaisir, une « méduse » émotionnelle, sans le recul de la raison point de fête. Le travail de formation est celui de se mettre en distance de ses émotions pour déterminer le Bien, guider ses choix par la pensée raisonnable. Alors que Théophraste se porte en faux, si l’homme festif doit être une éponge, mais une éponge heureuse, où est le problème ? Le problème de la fête est celui de la maîtrise, ou de l’autonomie, de l’apprenant. On considère l’apprenant comme un être avec une intimité, et que le travail d’apprendre est celui de développer son « maître intérieur », René Descartes renforcera ce paradigme dominant avec la création de l’apprenant comme un homme « dans la forteresse de ses pensées ». Le problème de la raison est pour reprendre le beau titre de Bruno Bettelheim, la forteresse est vide. Et c’est le paradigme de la formation rationnalisante qui est interrogé.
3, La nouvelle posture de l’apprenant
Il existe plusieurs façons d’aborder cette situation, nous pouvons partir de la controverse entre deux contemporains Guy Debord et Jean Baudrillard. Dans les deux cas, il s’agit de parler de « La société du spectacle » (1967). Guy Debord considère que le spectacle, comme la fête, n’est pas fait pour amuser, muser, errer sans but, mais à l’instar du poète Juvénal si l’on donne du pain et des jeux aux peuples pour le nourrir et le divertir, l’Empereur peut piloter le peuple. En pédagogie, il s’agit d’amuser de capter l’attention de l’apprenant pour le manipuler et le faire progresser. Certains parlent même de pédagogie du détour, un spectacle, un effet waouh, pour ouvrir les capacités de l’apprenant. La fête permet d’apprendre « à l’insu de son plein gré ». Et c’est là le problème qu’avait noté Aldous Huxley (Le meilleur des mondes, 1931) la fête est comme le Soma, une drogue sociale qui permet de se désinhiber, et au final permet à d’autres de piloter les apprentissages.