Sylvain Connac : Mes travaux de recherche me conduisent régulièrement à interroger des enfants qui travaillent au sein de classes où la coopération est une organisation ordinaire. L’une des questions rituelles que je leur pose est celle-ci : ” est-ce que tu ne ressens pas de la honte à aller demander de l’aide à des camarades ?” La réponse est souvent la même, similaire à celle qu’Alexia, 8 ans m’a donnée : ” Non, pas du tout. Ca fait pas la honte parce qu’en fait il y a pas que nous qui demande de l’aide, il y en a plein d’autres. ça fait pas la honte. C’est juste que tu comprends pas l’exercice. ça peut arriver des fois.”

Plusieurs pistes pédagogiques se cachent derrière la manifestation de cette confiance, que nous estimons construite et méritant un entretien vigilant.

Un espace hors-menace

C’est à Jacques Lévine que nous empruntons cette expression. Elle désigne ce que d’autres désignent comme un cadre contenant, qui se traduit par une matrice de lois dont l’adulte-enseignant est le garant. Ces lois ne sont pas négociées avec les élèves. Elles sont apportées par les adultes qui les expliquent. Sans elles, la démocratie ne peut exister au sein d’un groupe, parce que, justement, leur but est d’assurer chacun de son égal droit à l’expression et au respect. Ces lois gagnent à ne pas être nombreuses puisqu’elles ne concernent que les règles relatives à la sécurité. Par exemple, à l’instar des travaux de Bruno Robbes :

  • On ne se tape pas, on discute : chacun a le droit au respect de son corps
  • On ne se moque pas, les erreurs ne sont pas des fautes : chacun a le droit de se tromper ou d’avoir un avis différent
  • On ne prend pas les affaires d’un autre sans son autorisation: chacun a un droit de propriété
  • On est en classe pour travailler et apprendre : si on ne comprend pas, on demande de l’aide, si on sait, on aide
  • L’enseignant ne travaille pas que pour certains, il doit rester accessible pour tous.

Une autonomie objectivée

Autoriser des élèves à exercer leur liberté à travers des moments d’autonomie est également une occasion de développer chez eux ce sentiment de confiance. Mais avec la condition de ne pas être trop loin, pour éviter que notre retrait momentanée ne se traduise par une délégation de notre pouvoir auprès des élèves les plus en recherche de l’affirmation d’eux-mêmes (ce qui pourrait avoir des effets de désordre, contraire à ce dont un espace d’apprentissages a besoin).

A travers un cadre contenant, de l’autonomie encadrée et des évaluations pour les apprentissages, la confiance s’installe grâce au principe de réciprocité : dans un groupe, personne ne fait la loi et tout le monde en a besoin, personne ne dispose d’une liberté infinie et tout le monde en profite pour exister, personne ne sait tout, personne ne sait rien, on s’enrichit en transmettant ce que l’on sait. L’enseignant a ainsi pour rôle d’introduire et de garantir le respect des règles de sécurité, d’enrichir au mieux les espaces d’autonomie pour qu’ils profitent à chacun, de transmettre du savoir sans être le seul à pouvoir le faire. Il transforme ainsi la classe en une communauté apprenante où chacun fait de son mieux, qui pour enseigner, qui pour apprendre, sachant que nul ne pourra dispenser l’autre de ses responsabilités.

 

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