Par Daniel Peraya

Au milieu du 19e siècle, I. Pitman invente la formation à distance, les cours par correspondance. Il peut compter sur de « nouvelles technologies de l’information et de la communication » : un papier de qualité et bon marché, le timbre poste et un service postal fiable. Depuis, la FAD s’est toujours appuyée sur les technologies – les médias de masse (radio et télévision), Internet, le Web social, les technologies mobiles et ubiquitaires actuelles –, qui ont été en même temps un des facteurs de son évolution (Henri, 2013). De là, à imaginer que tout est affaire de technologies, et qu’il suffirait de maîtriser les « outils techniques », il n’y a qu’un pas, trop vite franchi par de nombreux acteurs de terrain, ingénieurs pédagogiques, enseignants et chercheurs. Or, rien n’est moins vrai : le croire et le faire croire relèvent d’une approche simplificatrice qui nuit gravement à toute forme de formation à distance, d’autant plus quand c’est le fait de spécialistes. Une telle approche réduit en effet la complexité du processus d’enseignement et d’apprentissage à distance à la maîtrise de technologies – fonctionnements matériel et logiciel – et donc à celle de compétences strictement instrumentales. Cette conception technocentrée présuppose que la technologie peut résoudre tous les problèmes que rencontre l’éducation et que, par conséquent, la maîtrise de la technologie est la clé du succès.  Erreur !

Mais alors pourquoi cette croyance, souvent aveugle, dans ces « outils » et leur maîtrise ? De quelle conception ce terme est-il l’indicateur, le symptôme ? Quelles représentations véhicule-t-il ? Peut-on réfléchir l’objet technique en d’autres termes que celui d’outil ?

Depuis les travaux précurseurs de G. Simondon, les objets techniques ont fait l’objet de nombreuses approches visant à leur restituer leur dimension discursive, culturelle, sociale et anthropologique [2]. Dans le domaine des technologies éducatives et de la FAD, les objets techniques ont donné lieu à des modélisations particulièrement inspirantes [3]. Issues de disciplines différentes (sciences de l’information et la communication, sémiopragmatique, psychologie et ergonomie cognitives, sociologie des usages), elles convergent sur de nombreux points, dont celui-ci, essentiel : elles révèlent une posture épistémologique commune puisqu’elles visent à distinguer l’outil – l’objet empirique – de l’objet théorique [4] (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 2005), autrement dit, l’objet concret de l’objet de recherche (Davallon, 2004). La problématisation ainsi que la construction de l’objet théorique détachent ainsi l’objet technique de sa réalité empirique (statut de minorité) pour l’insérer dans un univers discursif, celui de la science et de la modélisation (statut de majorité). Ces approches ont largement contribué à la compréhension de la complexité de ce qu’est apprendre à distance et à l’élaboration de dispositifs plus réfléchis. Dans les années 1970, la mutation de la télévision, considérée d’abord comme un moyen de diffusion de l’information ensuite comme un dispositif d’énonciation – producteur de significations et de relations sociales –  me paraît significatif de ce passage de l’objet empirique à l’objet de recherche.

Vous relèverez le défi, j’en suis sûr.

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Repéré depuis https://www.lip-unifr.ch/2020/04/08/infox13-le-e-learning-cest-avant-tout-une-question-de-maitrise-doutils-techniques/

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