Une fois n’est pas coutume, nous vous proposons un traitement un peu différent du sujet. Sous forme d’une dystopie, tentons avec toute l’humilité que requiert l’exercice, de projeter l’enjeu « compétences » dans 25 ans.
Dans la gueule du crocodile
Ce que nous aurions pu faire en 2024 pour éviter la débâcle des compétences en 2050
« Mes chers concitoyens,
Nous vivons aujourd’hui un moment charnière de l’histoire humaine.
En cette année 2050, je me tiens devant vous non pas pour déplorer ce que nous avons perdu, mais pour réfléchir à ce que nous pouvons encore sauver. Combien de nations ont vu leur souveraineté mise à mal, combien de nos entreprises ont vu leur prospérité ébranlée, combien de nos concitoyens ont perdu tout moyen de subsister ? La situation n’est pas le fait de forces militaires ou de crises politiques. Elle résulte d’un mal plus insidieux : l’incapacité à s’adapter à un monde en mutation rapide.
Au cours des 25 dernières années, la technologie, l’intelligence artificielle, l’urgence climatique et la reconfiguration des compétences humaines ont redessiné les contours de la croissance économique et de la puissance des États. Comme le soulignait déjà en 2024 un rapport du Boston Consulting Group, les rares économies qui ont prospéré sont celles qui ont su adopter des approches circulaires et technologiques, en embrassant la transformation numérique et écologique. Là où quelques nations ont su anticiper cette transformation, d’autres ont été ralenties par des systèmes obsolètes, des politiques hésitantes voire un refus pur et simple de considérer le changement.
Nous ne pouvons pas minimiser la réalité : une grande partie des États que nous connaissions autrefois comme puissants, souverains et prospères sont aujourd’hui en grande difficulté. Ils se trouvent confrontés à des défis économiques majeurs, incapables de suivre le rythme de l’évolution technologique et de ses implications. Ils ont vu leurs industries traditionnelles s’effondrer, leurs marchés mondiaux se réduire, et leurs citoyens se retrouver en complet décalage avec les compétences exigées par une économie mondiale hyperconnectée et automatisée. Comme le pressentait le World Economic Forum dès 2024, près de la moitié des compétences essentielles au marché du travail d’alors ne sont plus suffisantes aujourd’hui, faute d’une actualisation permanente.
Mais ce constat n’est pas une condamnation finale. Si nous avons appris quelque chose de notre histoire collective, c’est que la résilience et la capacité d’adaptation sont au cœur de l’esprit humain.
Même si beaucoup ont trébuché sur le chemin de la transformation, il reste encore une voie pour se relever. Aujourd’hui, notre bataille n’est pas seulement économique ou technologique. C’est une bataille pour notre capacité à apprendre, à désapprendre, à réapprendre et à nous réinventer. Le peu de nations qui a su investir massivement dans l’upskilling et le reskilling au cours des 25 dernières années ont désormais une longueur d’avance dans ce nouvel ordre mondial, comme l’indiquait le WEF avec son initiative de la Reskilling Revolution, qui visait à former un milliard de personnes entre 2020 et 2030.
Les nations qui ont su prospérer dans ce nouvel ordre mondial ne sont pas nécessairement celles dotées des plus grandes richesses naturelles ou des armées les plus puissantes. Ce sont celles qui ont investi dans leur capital humain, dans l’éducation augmentée, dans l’upskilling, le reskilling et le cross-skilling, des concepts devenus cruciaux pour maintenir une population active capable de s’adapter aux défis constants de la transformation numérique et écologique. Elles ont compris que la véritable souveraineté, dans notre XXIe siècle, réside dans la maîtrise des compétences alignées avec les réalités nouvelles.
Pour ceux qui se trouvent aujourd’hui en difficulté, déclassés, sans vision claire de l’avenir, il n’est pas trop tard. La souveraineté d’une nation ne repose plus uniquement sur ses frontières géographiques, mais sur la manière dont elle soutient ses concitoyens dans l’acquisition des outils de demain.
Le syndrome du crocodile, cette menace invisible que certains ont choisi d’ignorer, peut encore être surmonté. Nous avons les moyens, les ressources, et surtout la volonté de rétablir des bases solides pour une nouvelle forme de croissance. Dès le début du siècle, nombreux étaient ceux qui alertaient, soutenant que l’obsolescence des compétences serait l’un des plus grands défis de notre temps, et nous sommes aujourd’hui en plein cœur de cette réalité. L’économie de la connaissance n’est pas une prophétie lancée par quelques illuminés qui nous ont précédés.
L’Europe et tous ses alliés sont plus que jamais prêts à guider et à soutenir les nations dans cette quête. Il est encore possible, avec une volonté commune et une action déterminée, d’adapter nos systèmes éducatifs, de former nos jeunes et nos actifs, et de réinventer nos économies pour répondre aux défis technologiques et écologiques qui sont devant nous. Cela demandera des efforts concertés, des sacrifices même, mais c’est un défi que nous pouvons relever.
Ce n’est pas la première fois que l’humanité est confrontée à des changements d’une telle ampleur, mais c’est peut-être la première fois qu’elle dispose de tant d’outils à sa disposition pour y faire face.
Si nous manquons d’agir, nous risquons de voir la fracture mondiale s’élargir davantage. Mais si nous saisissons cette opportunité, si nous faisons de cette révolution des compétences une priorité transnationale, alors nous pourrons bâtir un monde plus résilient, plus juste et plus prospère pour tous.
Mes chers concitoyens, notre avenir n’est pas encore écrit. Les prochaines décennies seront celles de la réinvention. Nous avons le pouvoir, ensemble, de transformer cette défaite apparente en une victoire partagée, en renouvelant notre engagement pour un apprentissage tout au long de la vie, une innovation inclusive et une coopération internationale renforcée.
Nous avons surmonté des défis autrefois inimaginables. Ensemble, nous surmonterons celui-ci.
Vive l’e-République et vive l’Europe
Chapitre 1 – Le réveil tardif
En 2050, combien de métropoles, autrefois centres névralgiques de l’innovation en santé, de la recherche et des industries de pointe, ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles furent. Robots chirurgiens rouillés, hôpitaux désertés, technologies dépassées, chômage de masse sont autant de marqueurs d’une défaillance systémique : la bataille des compétences fut perdue avant d’avoir été réellement menée.
Il n’est plus temps de réécrire l’histoire mais d’écouter les quelques dirigeants d’entreprises transnationales encore compétitives et innovantes nous livrer les enseignements qu’ils tirent tous les jours de ces 25 dernières années.
Toutefois, il n’est pas inutile de se rappeler, que dès 2024, le World Economic Forum (WEF) tirait la sonnette d’alarme sur la nécessité d’adapter les compétences humaines aux technologies de l’ère de l’intelligence artificielle et de la digitalisation.
La Reskilling Revolution du World Economic Forum (WEF) constituait une bonne dynamique impulsée dans les années 2020. Ce programme global visait à former un milliard de personnes à horizon 2030 dans des secteurs émergents, tels que les technologies vertes et l’intelligence artificielle. Des entreprises d’alors, comme Google ou Unilever, y participaient activement, ayant compris que le développement des compétences de leurs employés constituait un facteur clé pour leur pérennité et leur leadership technologique. Les entreprises pionnières de l’époque misaient sur leur capacité à favoriser la mobilité interne grâce à des programmes de formation adaptés. Une mobilité interne qui permet de réduire les coûts liés à l’embauche externe tout en assurant que les compétences restent au sein de l’organisation.
A l’époque, la France était confrontée à des défis majeurs. Il manquait chaque année 20 000 ingénieurs, et en 2030, 54 000 postes ont été laissés vacants faute d’efforts massifs pour combler ce déficit.
Les multiples alertes et initiatives n’ont visiblement pas suffi. Le rapport 2023-2024 du WEF qui identifiait cinq transformations majeures, dont la transition vers l’âge intelligent et la transition écologique, aurait dû déclencher une réorganisation massive des compétences mondiales. Mais les efforts se sont révélés trop fragmentés.
En 2050, nous n’avons plus le choix. Nous devons individuellement et collectivement revoir entièrement notre approche de la gestion des compétences. En 2024, l’idée d’une collaboration systématique entre pouvoirs publics et entreprises, basée sur des plateformes d’intelligence artificielle pour prédire en temps réel les besoins en compétences du marché, était encore une idée un peu folle. Un rapport de la Harvard Business Review soulignait que la souveraineté nationale passerait par la maîtrise des compétences technologiques et industrielles. Pourtant, ce qui semblait constituer une prise de conscience n’a pas essaimé suffisamment, entraînant les crises successives que nous connaissons depuis 25 ans.
Agnès Martin, ministre en charge de la stratégie emploi-compétences du gouvernement de l’Europe depuis 2048, se souvient :
« Durant les deux premières décennies de ce siècle, certains de nos prédécesseurs utilisaient la GEPP (Gestion des emplois et des parcours prévisionnels) pour anticiper les changements à venir. Mais la vitesse de mutation des compétences, avec la montée de l’IA et de l’industrie 5.0 nous a collectivement pris de court.
Hélas, nous n’avions pas les infrastructures pour former rapidement et en nombre une nouvelle génération de collaborateurs capables de maîtriser ces technologies.
L’erreur fut de ne pas réagir suffisamment vite aux signes avant-coureurs. Pourtant si l’on remonte le temps, un rapport 2024 de LinkedIn Talent Solutions, affirmait qu’en France, 26% des responsables de formation avaient déjà identifié le besoin urgent de personnaliser les parcours d’apprentissage. Peu d’entreprises et d’institutions avaient pris la pleine mesure de l’obsolescence accélérée des compétences techniques, qui, selon l’OCDE, avaient, à l’époque, une durée de vie réduite à seulement deux ans voire 12 ou 18 mois sur les compétences les plus pointues.
Je vous rappelle qu’aujourd’hui (selon une étude du MasterBotSearch de 2049) la durée de vie moyenne d’une compétence collaborative est de 9 mois et celle d’une compétence technique augmentée est de 6 mois.
Du côté des entreprises, l’année 2024 marquait le début d’une révolution manquée. La montée en puissance de ce que l’on appelait alors le reskilling (acquisition de compétences nouvelles en vue d’une reconversion ou d’un changement de poste en interne), l’upskilling (montée en compétences pour s’adapter aux nouveaux enjeux, nouveaux process, aux nouvelles organisations du travail) et le cross-skilling (diversification des compétences pour une meilleure agilité et une adaptabilité face aux changements) avait certes commencé à être intégrée dans les politiques RH, mais les résultats restaient limités. Une étude de Harvard Business Review soulignait à cette époque que de nombreuses entreprises n’avaient soit pas les ressources, soit pas la volonté d’investir massivement dans ces initiatives.
L’une des principales erreurs des entreprises était leur incapacité à créer une culture de l’apprentissage tout au long de la vie, de dégager du temps à leurs collaborateurs pour se former efficacement et de valoriser toute démarche de développement des compétences. En 2024, 92% des entreprises en France reconnaissaient l’importance des compétences humaines (soft skills), mais l’effort pour les intégrer dans des programmes de formation n’était pas suffisant.
Clara Besson, leader de l’humain augmenté, d’une entreprise de robotique aujourd’hui en pointe :
En 2024, je travaillais comme Directrice des ressources humaines dans une grande entreprise qui a dû fermer en 2034. A l’époque, le poste de leader de l’humain augmenté n’existait pas. Le DRH, comme on l’appelait alors, occupait des fonctions très larges entre administratif, juridique et gestion des collaborateurs.
A l’époque, nous avions sous-estimé la rapidité des mutations technologiques. Nous formions nos ingénieurs sur des technologies qui étaient déjà en déclin au moment où ils terminaient leur formation.
Résultat : en 2030, nous avons dû faire appel à des systèmes automatisés pour combler le vide laissé par des employés non préparés aux nouveaux outils et process et aux nouveaux modes de travail augmentés. En 2034, nous étions totalement dépassés par nos concurrents et nous avons déposé le bilan.
Contrairement au premier quart de ce siècle, nul ne se considère plus comme « apprenant ». Nous sommes tous des « apprenautes augmentés ». La technologie nous offre une optimisation et une individualisation sans précédent de nos parcours de formation en fonction des besoins futurs de nos industries en mutation. Et qu’en faisons-nous ? Si l’on considère notre situation économique mondiale, la « question est vite répondue » comme on disait dans les années 2020.
Esteban Prosco, coach en personal reskilling, pointe une responsabilité individuelle :
Dès 2024, nous savions que les travailleurs devraient être constamment en formation pour rester compétitifs. Mais l’erreur a été de penser que l’État ou les entreprises prendraient toujours l’initiative.
Aujourd’hui, pour les plus résilients, nous utilisons des dispositifs d’intelligence artificielle pour suivre nos progrès et anticiper les compétences à développer pour rester en phase avec les évolutions du marché, mais à l’époque trop peu de personne s’en préoccupait, d’où notre situation actuelle dans laquelle des millions de demandeurs d’emploi déqualifiés ne trouvent plus que des postes précaires et dénués de sens.
En 2024, en France, 64% des salariés reconnaissaient que la formation augmentait leur sentiment d’appartenance à leur entreprise, mais peu avaient les outils pour gérer efficacement leur apprentissage.
Aujourd’hui, l’apprenaute augmenté est capable de prendre en main son propre parcours, avec une autonomie totale, guidé par des algorithmes d’intelligence artificielle, la capacigraphie et le NeuroLink.
On peut difficilement le nier : la crise des compétences a frappé fort. Aujourd’hui, nous subissons les conséquences d’une myopie collective. Ce n’est pas une pandémie, une guerre ou une crise écologique qui a détruit l’ordre mondial, mais un mal bien plus sournois : l’obsolescence massive des compétences.
Il y a 3 décennies, upskilling, reskilling, cross-skilling, sont demeurés des termes incantatoires qui ont résonné dans les couloirs des ressources humaines, avant d’être engloutis par la bureaucratie et les priorités court-termistes des entreprises.
En 2050, la compétence est devenue l’alpha et l’oméga des économies nationales. Ce terme, que l’on pensait maîtriser au début du XXIe siècle, évolue sans cesse, pour s’adapter à notre monde en transformation. Au siècle dernier, lorsque Guy Le Boterf, dans les années 1990, en posait les fondations théoriques modernes, la compétence représentait un équilibre subtil entre le savoir-agir développé par la diversité des situations de formation (apports didactiques, on the job learning, peer to peer learning, expérimentation…), le vouloir-agir renforcé par la mise en perspective de l’action, le sens donné à la construction des compétences, l’image positive de soi, un environnement bienveillant et le pouvoir-agir à la main de l’entreprise qui se doit de créer une organisation du travail permettant le déploiement des performances individuelles et collectives, d’offrir les moyens d’action et les ressources adéquates à ses collaborateurs.
Agnès Martin, ministre de la stratégie emploi-compétences du gouvernement de l’Europe, se veut optimiste :
En 2024, nous n’avions pas réalisé à quel point l’obsolescence des compétences allait bouleverser l’équilibre des emplois dans les décennies à venir. Nous avions certes anticipé les mutations, mais sans en appréhender la profondeur que générerait l’avènement de l’industrie 5.0. À cette époque, nous devions nous battre pour que les entreprises et l’État collaborent plus étroitement dans la bataille pour le maintien et l’actualisation des compétences.
Aujourd’hui, toutes les nations prennent peu à peu conscience de la nécessité de se doter de stratégies globales et coordonnées pour anticiper l’évolution des besoins en compétences, non seulement à court terme mais surtout à long terme. Des dispositifs d’intelligence artificielle analysent en temps réel les compétences émergentes et les compétences en déclin. Elles sont suffisamment avancées pour assister les pouvoirs publics dans leurs choix éducatifs et leurs priorités de financement des compétences porteuses d’avenir. Au niveau de l’Europe, nous avons intégré des outils puissants pour analyser les tendances du marché de l’emploi.
En 2030, il n’était pas rare que des métiers disparaissent avant même que des formations adaptées aient pu voir le jour. La donne a changé. Désormais, nous pouvons anticiper et préparer les futures générations aux défis à venir. Nous avons renforcé nos liens avec le secteur de la e-santé, des énergies e-renouvelables ou de l’industrie 5.0. Dans ces secteurs, les compétences en cybersécurité, intelligence artificielle et écoconception sont vitales depuis de nombreuses années déjà. Les compétences vertes, en lien avec les défis environnementaux encore non adressés correctement, sont au cœur de notre stratégie.
Quant à nos organisations, elles n’ont plus le loisir d’ignorer la montée en compétence permanente de leurs collaborateurs. Nos services IT mettent consciencieusement à jour nos assistants virtuels, mais que font les leaders de l’humain augmenté sur le volet humain justement ?
Clara Besson, Leader de la virtualisation dans une entreprise en croissance en 2050
En 2024, nous peinions encore à faire accepter la nécessité d’un investissement massif dans les compétences. Aujourd’hui, ce que les spécialistes de l’emploi et de la formation appelaient reskilling, est devenu la norme : un employé doit être capable de se réinventer en permanence. Cela nous a permis de conserver un avantage compétitif.
Chez NovabrainPic, nous avons particulièrement misé sur ces approches pour garantir une adaptation rapide aux mutations technologiques. Les travailleurs de notre industrie de pointe doivent non seulement maîtriser toutes les technologies émergentes et suivre les interventions périodiques de nos prospectivistes, mais aussi intégrer des compétences transversales comme la gestion de projets complexes, la pensée e-critique, la communication interdisciplinaire et la créativité, essentielle pour innover face aux défis environnementaux.
Tous les deux ans, chaque collaborateur est auditionné par un panel de managers et de pairs. Il présente une vision de l’évolution de ses missions pour les deux années suivantes. Les plus autonomes présentent et organisent, grâce aux IA et bientôt à NeuroLink que nous déployons d’ici 2 semaines, leur plan d’action compétences et le budget associé. Pour les autres, ils sont accompagnés par le e-mentor mais également par un pair.
L’une des principales erreurs des entreprises entre 2025 et 2035 fut leur incapacité à créer une culture de l’apprentissage tout au long de la vie, alors même que tous les services RH de l’époque en parlaient aux dirigeants. Un drôle d’argument revenait alors dans les débats sur la formation et la compétence. En substance, il n’était pas rare d’entendre ceci : « Si on forme tous nos salariés pour qu’ils partent à la concurrence, ça ne sert à rien… » S’ils avaient su !
En 2024, 92% des entreprises françaises reconnaissaient l’importance des compétences humaines (soft skills) telles que la pensée critique, la gestion des conflits, ou encore la prise de décision en environnement complexe. Mais l’effort pour les intégrer dans des programmes de formation contextualisé restait largement insuffisant. La plupart du temps, les entreprises proposaient des soft skills à consommer (lorsque ce n’était pas à ingérer de force) sous forme de formations stand alone, décorrélées des contextes métiers ou des compétences techniques spécifiques à l’environnement professionnel de l’apprenaute augmenté (enfin de l’apprenant, selon le terme de l’époque). A cette époque, les entreprises estimaient sans doute que ces compétences humaines étaient universelles et pouvaient être appliquées à une multitude de situations professionnelles sans besoin d’une aide au transfert en situation de travail.
Mais voilà, cette approche a rapidement montré ses limites. Les compétences comme la pensée critique ou la gestion des conflits, pour être vraiment efficaces, doivent être intégrées et pratiquées dans un contexte métier précis, sans se contenter de quelques recettes toutes faites. Pourtant une vieille étude de LinkedIn Learning des années 2020 révélait que 57% des travailleurs trouvaient difficile d’appliquer les compétences comportementales apprises lors de ces formations, parce qu’elles n’étaient pas liées directement à leurs tâches professionnelles.
C’est ce décalage et cette décontextualisation entre la formation technique, la formation métier et les soft skills qui a été l’une des causes majeures de la crise des compétences qui s’en est suivie.
Le principe des compétences interconnectées et contextualisées que nous appliquons depuis longtemps dans notre entreprise n’est plus une option.
Quant à la responsabilité individuelle de sécuriser son employabilité, les années 2020 faisaient encore peser sur l’État et les entreprises l’obligation de former. Désormais, nous avons tous les outils d’IA qui nous permettent une proactivité dans l’adoption d’une démarche d’hygiène des compétences. Les outils de scrapping des offres d’emploi à travers le monde ou des publications de recherche et d’innovation permettent d’analyser les compétences émergentes sur le secteur ou le poste de tout un chacun et d’activer les bons parcours de formation, au bon moment, adaptés aux préférences et au rythme de vie de chacun. L’amplification de nos capacités cognitives a réduit les temps d’appropriation des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être.
Artus Smith, expert indépendant en employabilité :
Le grand changement est en cours. Nous sommes individuellement et collectivement en train de prendre conscience de nos lacunes et de notre sous-performance au regard des technologies déployées actuellement. Jusqu’à 2048 et la grande crise des talents qui a vu s’effondrer nombre d’industrie et se multiplier les faillites des États, beaucoup attendaient de leurs employeurs qu’ils prennent l’initiative de les former.
Aujourd’hui, chaque travailleur doit être responsable de l’évolution de son propre portefeuille de compétences. Il est désormais impératif de disposer des compétences techniques, mais aussi des compétences cognitives et sociales et notamment la résolution de problèmes complexes. Ces compétences sont devenues critiques pour survivre dans un environnement où l’incertitude et la volatilité sont notre quotidien.
La gestion des compétences, qu’elle soit étatique, organisationnelle ou individuelle est devenue au tournant de ce siècle, un enjeu central pour la survie économique. En 2024, nous aurions pu éviter les grandes crises successives et notamment celle de 2048 si les démarches d’upskilling et de reskilling avaient été systématiquement intégrées dans le rythme de travail quotidien. Une collaboration plus large entre l’État, les entreprises et les individus aurait permis d’anticiper les mutations de l’économie mondiale.
Chapitre 2 – L’illusion de la compétence
Entre 2030 et 2040, l’industrie 5.0 a émergé avec fracas. Bien au-delà d’une simple automatisation, un partenariat symbiotique entre humains et machines intelligentes s’est mis en place. En 2024, on parlait déjà d’automatisation, mais les machines demeuraient de simples outils. En 2050, elles sont des partenaires cognitifs, capables de prendre des décisions autonomes, si elles sont correctement supervisées.
Pour ne prendre qu’un exemple, les techniciens de robots chirurgiens, un métier en pleine expansion en 2032, devaient superviser des interventions médicales complexes assistées par IA et compenser ainsi la pénurie de médecins dans de nombreuses zones rurales ou urbaines dans le monde.
Mais très vite, ces métiers se sont heurtés à un obstacle de taille : la formation continue n’a pas suivi l’évolution fulgurante des technologies. Combien de Medtech ont investi ce segment de marché et n’ont pas réussi leur développement faute de débouchés, en l’absence de techniciens de robots chirurgiens capables de les superviser correctement ?
Inès Taillard, Présidente de la commission « Souveraineté et compétences » au e-Parlement de l’Europe :
L’obsolescence des compétences a frappé durement notre continent.
Revenons aux fondamentaux pour dessiner un plan de sortie de crise. Au XXe siècle, un chercheur de l’université de New York, H.G. Kaufman posait une définition simple et claire de l’obsolescence des compétences en ces termes : « l’insuffisance des savoirs ou des compétences actualisées nécessaires à un travailleur pour continuer d’être parfaitement performant dans son activité professionnelle actuelle ou future ».
Autrefois, les compétences de nos parents et de nos grands-parents suivaient, individuellement et collectivement, un cycle de vie comparable à celui d’un produit. Ce cycle de vie a été brisé voilà de nombreuses années.
Dans ce cycle de vie, la 1ère phase, la phase d’acquisition des compétences, autrefois organisée dans des structures éducatives performantes, s’est réduite à peau de chagrin, si je peux employer cette expression désuète du XXe siècle. Concrètement, notre système éducatif est en ruine.
La 2e phase, celle du développement, opéré dans les premières mobilisations en situation de travail sont rares du fait de la disparition d’organisations et d’entreprises stables et pérennes.
La 3e phase, celle de la maturité, représentée par l’utilisation quotidienne et quasi-automatique de nos compétences, est un luxe du passé, remplacé par une lutte constante pour s’adapter. Aucune compétence n’est plus réellement ancrée car immédiatement remplacée par une autre.
Quant à la 4e et dernière phase, celle du déclin et de l’obsolescence, c’est bien celle-ci que notre génération a connu et connaît encore, faute d’opportunité réelle d’upkilling, de reskilling ou de cross-skilling.
Et pourtant, cette obsolescence constitue, si elle est détectée et prise en compte, un signal d’évolution nécessaire. Une compétence dépassée n’est pas une compétence inutile, qui doit être remplacée. Considérons aujourd’hui cette 4e phase comme une phase d’évolution et d’enrichissement et non comme une réelle obsolescence. Certes le chemin est long pour retrouver des compétences fondamentales à faire évoluer mais ne nous décourageons pas. Nous avons désormais tous les outils d’intelligence artificielle pour accélérer le processus d’apprentissage et infléchir durablement la courbe de l’oubli, la déqualification et l’inemployabilité généralisée.
Bien sûr, la durée de chaque phase est désormais totalement imprévisible, affectée par un contexte professionnel chaotique et incertain. Même les compétences fondamentales, comme la résolution de problème ou la communication, connaissent un déclin accéléré faute d’exploitation et de transmission. Les savoirs autrefois considérés comme acquis se perdent dans le tumulte d’une société désorganisée. Et contrairement au vélo d’antan, ces aptitudes ne reviennent pas facilement. Sans structure, ni volonté de les raviver, elles s’évanouissent.
L’écart entre les compétences maîtrisées par les individus et celles requises par les postes disponibles est devenu abyssal. Les phases successives d’évolution de cet écart avaient déjà été décrites au XXe siècle par Dominique Bouteiller comme autant de paliers à ne pas franchir. C’est le fameux syndrome du crocodile. Paradoxal pour une espèce désormais quasiment disparue !
Le syndrome du crocodile représente le danger qui guette ceux qui ne parviennent pas à actualiser leurs compétences.
Aminata Kretz, Experte augmentée en gestion des talents et ancienne directrice du cabinet BBG France
Au début, le changement semblait gérable. Les systèmes obsolètes étaient remplacés, la technologie évoluait et on promettait un accompagnement pour faciliter l’adaptation.
Mais le temps a manqué, les ressources se sont épuisées, et la formation est devenue un privilège. Combien de collaborateurs ont tenté de se débrouiller seuls, mais les nouvelles technologies avançaient trop vite. Les collègues qui pouvaient aider ont été pris dans le tourbillon du turn over et les supports d’apprentissage étaient introuvables pour qui aurait voulu rattraper son retard.
Les processus ont continué d’évoluer laissant sur le bas-côté de la route vers la compétence nombre de collaborateurs qui n’avaient pas jugé utile de suivre les formations prescrites. L’écart s’est creusé. La gueule du crocodile, symbole de l’obsolescence grandissante, s’est ouverte un peu plus, un peu plus proche. Les laissés pour compte de l’upskilling ou du reskilling, sont devenus incapables de remplir leurs fonctions, et personne n’était là pour leur tendre la main. Les structures étatiques, autrefois garantes de la formation et du développement professionnel, se sont effondrées, laissant les individus à leur sort.
L’inadaptation au poste loin d’être une exception s’est vite révélée être la norme. Et les organisations, les managers, qui auraient dû anticiper, ont été eux-mêmes dépassés. Le crocodile a englouti non seulement les compétences individuelles, mais aussi l’espoir d’une société capable de se relever. Les évolutions technologiques, procédurales, organisationnelles se sont accélérées, l’écart s’est creusé un peu plus jusqu’à la perte de compétitivité des entreprises et leur déclin.
Dès 2030, des métiers comme technicien d’installation en biologie augmentée ou spécialiste en intelligence artificielle médicale commençaient à émerger, mais peu d’efforts avaient été investis pour requalifier et former les techniciens et opérateurs des anciens cabinets de radiologie ou d’analyses médicales dans ces domaines. Les travailleurs continuaient à exercer des métiers condamnés à disparaître, tandis que les besoins dans l’industrie 5.0 restaient insatisfaits.
Aujourd’hui, l’interaction entre les humains et les machines n’est plus une simple collaboration, mais une symbiose. Ce nouveau paradigme a donné naissance à des métiers comme celui de Médiateur Humain-Robot, un rôle clé dans la gestion des équipes hybrides, où les humains et les robots travaillent côte à côte.
Steve Cross, directeur augmenté de la prospective chez MYBOSA (Make Your Bot Smart Again)
Si notre entreprise est prospère aujourd’hui c’est que nous avons réinventé la formation et l’organisation du travail. Le Médiateur Humain-Robot, par exemple, est chargé de garantir une collaboration fluide entre les équipes humaines et leurs homologues robotiques. En 2024, ce métier n’existait même pas dans l’imaginaire collectif.
Aujourd’hui, c’est une compétence clé pour toutes les grandes industries et nous avons du mal à recruter des collaborateurs compétents. Nous avons donc choisi d’élargir le champ de compétences de nos ingénieurs et techniciens, de certains de nos personnels des fonctions supports pour qu’ils puissent assurer des permanences de médiation Humain-Robot.
Il ne s’agit pas d’une reconversion mais simplement de cross-skilling, d’ajout de compétences complémentaires. Nous nous assurons, dès l’évaluation de leurs acquis par nos IA propriétaires et grâce à la capacigraphie, qu’ils puissent assurer leurs premières permanences avec un mentor humain spécialiste de ces questions puis, dans un second temps, avec un mentor virtuel pour sécuriser leur pratique. Élargir le champ de compétences de tout un chacun améliore l’engagement et la compréhension des enjeux globaux de l’entreprise.
Aujourd’hui cela semble naturel chez nous, mais il y a encore quelques années, dégager du temps pour former, surtout sur des compétences éloignées du cœur de métier, constituait un combat avec les managers, eux-mêmes soumis à une forte pression sur les objectifs.
Le développement de compétences ne se décrète pas. Il doit être porté par la direction générale et constituer une priorité et un investissement d’avenir. Pour se former dès que le besoin émerge, il faut disposer de temps de cerveau disponible. Mieux vaut l’affecter à maintenir son employabilité et la compétitivité de nos entreprises qu’à ingurgiter des messages marketing désormais inopérants.
Cette volonté forte d’upskilling, de reskilling et de cross-skilling doit se généraliser dans tous les secteurs. Les exemples de négligences en termes d’évolution des compétences sont nombreux. Prenons l’exemple du concepteur d’écosystèmes intelligents, spécialisé dans la création d’infrastructures durables et connectées, intégrant l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et les normes et règlements écologiques. Ce professionnel combine des compétences en ingénierie, en écologie et en programmation, avec une capacité à intégrer des réseaux de capteurs et des technologies vertes, tout en respectant la réglementation mondiale sur le climat.
Pour un ingénieur civil ou un architecte de 2024, la transition vers ce métier aurait pu sembler naturelle. Mais dans les faits, force est de constater que les passerelles de compétences, les référentiels, les cartographies et les systèmes de dépendances entre les compétences n’ont pas été réalisés. La maîtrise des technologies d’IA avancée, des systèmes énergétiques renouvelables complexes et des principes écologiques profonds exigeait (et exige toujours) une formation augmentée intensive. Il est impératif de comprendre les algorithmes d’apprentissage automatique, les protocoles de communication entre dispositifs intelligents et les normes environnementales internationales. Sans accès à des parcours de formation adaptés et sans soutien institutionnel, ces professionnels se sont retrouvés démunis face à l’ampleur du reskilling nécessaire.
Dans le domaine de la santé, la mutation des compétences a été tout aussi spectaculaire. Le secteur médical, en pleine expansion dans les années 2030 grâce aux avancées en médecine numérique et aux technologies augmentées, aurait dû être le pilier d’une société en meilleure santé. Des métiers émergents comme conseiller en thérapies génétiques assistées ou spécialiste des implants neuronaux étaient en plein essor. Mais la gestion des compétences n’avait pas suivi. Dès 2024, on anticipait le potentiel des technologies médicales avancées comme l’IA, les jumeaux numériques et les nanotechnologies.
En 2050, ces technologies devraient être au cœur de la pratique médicale puisque nous les maîtrisons. Mais combien de thérapeutes augmentés avons-nous formé depuis 15 ans que ce soit en formation initiale ou en formation professionnelle ? Utiliser des interfaces neuronales pour manipuler des données biomédicales complexes en temps réel, diagnostiquer et traiter les patients grâce à l’intelligence artificielle et aux implants connectés demandent une profonde évolution des compétences de nos médecins d’antan. Il est nécessaire d’acquérir des compétences pointues en neurosciences, en cybernétique, en gestion des données massives et en éthique liée aux technologies invasives. La formation traditionnelle ne prépare pas à manipuler des interfaces cerveau-machine ou à interpréter les flux de données en temps réel provenant de capteurs internes au patient.
Julie Lefèvre, ministre de la e-santé et de l’e-novation du gouvernement de l’Europe, se défend :
Entre 2025 et 2030, nous devions batailler pour faire accepter ne serait-ce que l’idée d’intégrer de l’IA dans les pratiques médicales de routine. Aujourd’hui, nous faisons face à un manque cruel de TA (Thérapeutes Augmentés). La difficulté réside dans le fait que nos soignants actuels n’ont ni les bases technologiques nécessaires, ni les ressources pour se former à ces nouvelles compétences. Ils ne se contentent plus de diagnostiquer ; ils doivent manipuler des technologies complexes qui permettent d’accélérer les processus de guérison, voire d’anticiper les maladies. Sans un soutien massif de l’Europe pour le reskilling, nous ne pourrons pas améliorer notre système de soins catastrophique et répondre aux besoins de santé de notre population vieillissante. »
Ça a été pareil pour les chirurgiens virtuels, capables de réaliser des opérations à distance grâce à la robotique et aux réalités virtuelles et augmentées. Mais pour un chirurgien traditionnel, la transition vers ce nouveau rôle est un investissement personnel considérable. Il doit non seulement maîtriser les techniques opératoires, mais aussi comprendre le fonctionnement des systèmes de télé-opération, gérer les éventuels temps de latence dans les communications et assurer la sécurité des données patients dans des environnements numériques. Les gouvernements successifs auraient pu miser sur l’évolution des études de médecine et un assouplissement du numerus clausus pour cette spécialité. Mais rien n’a été fait dans ce sens et aujourd’hui nous savons qu’il faut 12 ans pour former un chirurgien virtuel parfaitement autonome.
La difficulté du reskilling est accentuée par l’absence de structures éducatives capables de fournir une formation en adéquation avec les besoins et les ruptures technologiques successives. Les universités et les centres de formation ont été affaiblis par le manque de ressources et de personnel compétent, formé à la e-éducation pour désenclaver les déserts éducatifs et attirer les meilleurs talents mondiaux. Les initiatives individuelles sont souvent insuffisantes face à la complexité des nouvelles compétences requises dans la mesure où les compétences fondamentales des professionnels en poste ou en étude dans les années 2025-2030 n’ont pas évolué de façon régulière. Encore le syndrome du Crocodile !
Et depuis 2 ans, force est de constater que nous avons dû adopter le « Reskilling emergency act » pour enfin espérer un changement dans les années qui viennent.
Dans ce monde en crise, la reconversion professionnelle n’est pas seulement un défi personnel, mais un enjeu sociétal majeur. Sans une stratégie globale pour faciliter le reskilling vers ces métiers, en leur temps émergents, la société risque de s’enfoncer davantage dans le chaos, incapable de relever les défis technologiques et environnementaux qui se présentent à elle.
Et que dire du développement durable, devenu une brique essentielle dans l’évolution des compétences de base. En 2024, la transition écologique faisait déjà partie des préoccupations des gouvernements et des entreprises, mais c’est seulement au début de cette année 2050 que cette dimension est devenue systémique. Les compétences vertes doivent désormais, aux termes de la réglementation mondiale, être intégrées dans tous les métiers, même ceux qui paraissent éloignés des enjeux écologiques.
Dans les métiers cœur de cible, le technicien en rénovation énergétique, par exemple, a vu son rôle se transformer pour intégrer des pratiques de recyclage de haute technologie, la gestion de matériaux écologiques et l’installation de systèmes d’énergie intelligente. Le designer d’environnements connectés doit, lui, prendre en compte l’impact environnemental de chaque composant, tout en optimisant l’efficacité énergétique des infrastructures. Ces impératifs légaux sont-ils appliqués ? La réponse nous la connaissons tous. Non ! Rien n’est appliqué faute de professionnels compétents en nombre suffisant. Donc, que se passe-t-il ? Les gouvernements de tous les états du monde prennent des décrets d’application pour accorder des délais de prise en compte de ces lois et règlements.
La prise de conscience a été lente. Mais le sursaut peut encore avoir lieu. De la santé augmentée à l’industrie 5.0, en passant par le développement durable, les compétences ne sont désormais plus perçues comme des acquis statiques et pérennes, mais comme des processus dynamiques, en constante évolution. En 2024, nous aurions pu éviter bien des crises économiques et sociales si nous avions compris que l’obsolescence était avant tout une opportunité d’innovation et de développement.
Chapitre 3 – La capacigraphie
Dans l’environnement de crise que nous connaissons en 2050, où les États peinent à se relever de l’effondrement causé par le manque de personnel formé et compétent pour affronter les ruptures technologiques et les défis environnementaux, une nouvelle figure émerge depuis quelques années : celle de l’apprenaute augmenté.
Contrairement à la vision statique du développement des compétences des premières décennies de ce siècle, dans laquelle la formation était souvent bornée dans le temps, avec une date de début, une date de fin, puis l’inexorable courbe de l’oubli qui faisait son œuvre faute de mise en pratique immédiate, l’apprenaute augmenté incarne une approche dynamique et continue de l’apprentissage, rendue possible par les technologies de pointe et une compréhension renouvelée de l’évolution des compétences.
En 2050, l’apprenaute augmenté a enfin fait sienne cette citation apocryphe de Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Il en va de la chimie, comme de la compétence. En combinant et en enrichissant des connaissances et compétences de base, des compétences métiers, des compétences transversales, des expériences de vie, l’apprenaute augmenté a compris que l’obsolescence des compétences n’était pas une fatalité.
La fameuse formule « désapprendre pour réapprendre » ne signifie pas appuyer sur Reset (pour les moins de 20 ans qui « n’ont pas la Réf. » comme disait mon père, le bouton Reset, c’était une fonctionnalité de réinitialisation de la mémoire d’un appareil) et repartir de zéro. Il s’agit de revisiter ses schémas de pensées, d’accepter la contradiction et le débat, d’accueillir la nouveauté et ses potentialités pour enrichir et transformer ses savoirs et savoir-faire. Cette véritable alchimie est aujourd’hui facilitée par les technologies d’apprentissage augmenté, qui créent et personnalisent en temps réel, des parcours de formation ciblé en fonction des acquis et du vécu de chacun et des compétences cibles à acquérir. L’intelligence artificielle et la réalité virtuelle permettent de créer des environnements d’apprentissage immersifs partout, tout le temps, dans lesquels les apprenautes augmentés viennent expérimenter et intégrer de nouvelles compétences en s’appuyant sur leur expérience passée.
L’une des erreurs majeures commises, jusqu’à récemment encore, revenait à sous-estimer le potentiel des compétences déjà acquises et le tremplin (ou la passerelle, selon le tempérament de chacun) qu’elles constituaient. Les programmes de reskilling ignoraient souvent le capital de connaissances et d’expériences des collaborateurs, les obligeant à repartir de zéro dans des parcours standardisés. Cette approche démotivait les individus et représentait un gaspillage de ressources.
Avancée majeure qui va faciliter cette alchimie du XXIe siècle, la capacigraphie (ou Holoskills en anglais) devrait se généraliser à toutes les populations au travers d’une politique mondiale volontariste, matérialisée par la création, au début de cette année 2050 de l’AMC – l’Agence Mondiale pour la Capacigraphie.
En 2024, il existait, dans les entreprises les plus avancées en matière de gestion des compétences, des cartographies de compétences. Elles prenaient la forme d’un inventaire (un inventaire à la Prévert, dirait la génération de nos parents et de nos grands-parents), peu précis et très incomplet tant il était compliqué de bâtir un référentiel de compétences cohérent sur l’ensemble des postes et plus encore sur une filière ou une industrie. Leur actualisation restait épisodique.
Dr. Takeshi Sato, Directeur augmenté de l’Agence Mondiale de la Capacigraphie (AMC)
La capacigraphie est née de la nécessité de reconnaître et de valoriser l’unicité de chaque individu, dans un monde où les compétences évoluent à une vitesse sans précédent. Les crises que nous avons traversées peuvent être imputées à l’incapacité des systèmes traditionnels à adapter rapidement les compétences des actifs aux nouvelles exigences technologiques et environnementales.
Entre 2010 et 2035, les cartographies de compétences de l’entreprise s’appuyaient sur des référentiels (lorsqu’ils existaient) peu normés et encore moins partagés. Ces cartographies étaient le plus souvent génériques et n’intégraient pas les compétences spécifiques individuelles. Aucune donnée riche pour prendre en compte les expériences de vie ou les apprentissages informels. Les outils de gestion et d’analyse des compétences restaient rudimentaires. Il était donc impossible de conférer une véritable valeur ajoutée à ces informations. L’actualisation manuelle se révélait laborieuse et restait exceptionnelle. Il en résultait des décalages entre les compétences réelles des collaborateurs et une vision statique des postes et fonctions de l’entreprise.
Peu à peu, les entreprises les plus résilientes, celles qui avaient compris avant les autres l’importance de remporter la bataille de la compétence pour subsister, ont adopté des IA de détection fine des compétences grâce à des cadrages de projets bien documentés et des process formalisés, des programmes de formations ou de conférences précis, un knowledge management efficace également réalisés par IA. Il était alors possible d’extraire les compétences que chacun avait mobilisées sur tel projet, par exemple. Mais c’est il y a 5 ans environ que nous avons franchi une étape cruciale avec l’avènement des IN -Interfaces Neuronales et du NeuroLink qui permet désormais une interaction directe entre le cerveau humain et les systèmes algorithmiques et quantiques avancés. Les compétences sont enregistrées et mises à jour instantanément au fur et à mesure que l’individu apprend ou utilise de nouvelles aptitudes.
La capacigraphie pouvait alors voir le jour. Par la combinaison de toutes les données, il est possible de créer une empreinte capacitaire unique pour chaque individu. Le plus long a été la mise en place des protocoles de sécurité avancés pour protéger les données personnelles, avec un accès totalement contrôlé via le NeuroLink. L’individu reste maître de ses informations. Il peut choisir de partager certaines compétences avec des employeurs potentiels ou des organismes de formation.
C’est pour déployer cette innovation de rupture dans tous les pays signataires de la charte de Reskilling que l’AMC a été créée.
Aujourd’hui, toutes les avancées technologiques convergent pour favoriser un upskilling et un reskilling de l’ensemble de la population active quels que soient le secteur d’activité, le poste, la zone géographique.
L’AMC a annoncé travailler en parallèle sur l’évaluation des dispositifs augmentés de développement des compétences. Jusqu’en 2030, avant nos deux dernières décennies où fixer des objectifs, définir des indicateurs et espérer obtenir ne serait-ce qu’un ROE (retour sur les attentes) ne servait plus à rien, tant les crises étaient dévastatrices et continues. Les entreprises et les organismes de formation avaient alors coutume d’utiliser le modèle de Kirkpatrick. Désormais inadapté à la complexité de notre époque, l’AMC développe un modèle de Kirkpatrick augmenté qui intègre la capacigraphie.
Le modèle d’origine reposait sur une démarche en 4 niveaux successifs et interdépendants d’évaluation. Chaque niveau était donc lié à la validation du niveau précédent. Ce modèle ambitionnait d’évaluer en première intention ou niveau 1, la satisfaction de l’apprenant (l’apprenaute augmenté n’était pas né), puis en 2e intention (niveau 2) les acquis de l’apprenant durant la formation, en 3e intention (niveau 3) le transfert des acquis en situation réelle de travail et enfin si tous ces paramètres avaient pu être mesurés, on tentait d’évaluer, en niveau 4, l’impact de la formation sur l’entreprise.
L’AMC a confié le projet à CapaciMetrics, un cabinet de conseil de pointe spécialisé dans la conception et la mise en œuvre de modèles d’évaluation avancés pour le développement des compétences. CapaciMetrics est ainsi mandaté pour développer le nouveau modèle de Kirkpatrick augmenté. Fort de son expertise en intelligence artificielle et capacitaire, en neurotechnologies et en analyse des données en temps réel, le cabinet crée des solutions innovantes et évolutives pour évaluer l’impact des formations dans le contexte de l’apprentissage augmenté et de la capacigraphie.
Dr. Freya Lindström, Docteur en Intelligence Capacitaire et CAO (Chief Architect Officer) de CapaciMetrics :
Le modèle de Kirkpatrick traditionnel constituait une base pour évaluer les formations, mais il nécessitait une refonte, sans toutefois un changer radicalement la philosophie, pour être pertinent dans notre contexte actuel.
Nous avons donc développé un modèle de Kirkpatrick augmenté, qui intègre six niveaux d’évaluation interdépendants, alignés avec la capacigraphie. Sur ces 6 niveaux, le premier est une évaluation ex-ante. C’est le désormais bien connu NAS (Net Anticipation Score). Il permet aux organisations de quantifier l’efficacité d’un investissement en se basant sur des analyses prédictives avancées et des scénarios d’anticipation pondérés.
Le deuxième niveau évalue l’engagement immersif au niveau émotionnel et cognitif de l’apprenaute augmenté. Autrement dit, nous mesurons l’engagement de l’apprenant en temps réel grâce aux technologies immersives et au NeuroLink.
Le troisième niveau s’intéresse à l’acquisition adaptative. Partant du postulat que, désormais et dans les années qui viennent, l’apprentissage est et sera contextualisé à l’empreinte capacitaire unique de chaque apprenaute augmenté, nous pouvons évaluer l’acquisition des compétences de manière dynamique.
Le quatrième niveau concerne l’intégration comportementale qui correspond un peu à la mesure du transfert dans le modèle d’origine. Nous observons le délai et les modalités de mobilisation des nouvelles compétences dans les tâches et missions quotidiennes. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les données collectées via la capacigraphie.
Le cinquième niveau mesure l’impact organisationnel. Au vu de l’intégration comportementale, le NAS est affiné et confronté à 3 mois aux résultats de l’entreprise. On obtient alors un ROA (Retour sur Anticipation).
Le sixième et dernier niveau d’évaluation est dédié à la contribution sociétale car il est indispensable et désormais obligatoire de mesurer l’impact du développement individuel sur la société et l’environnement, en alignant le développement des compétences avec les objectifs de développement durable.
Ce modèle permet une évaluation holistique en intégrant les dimensions individuelles, organisationnelles et sociétales de l’apprentissage.
Notre défi est de favoriser l’adoption de ce modèle à grande échelle. Cela nécessite une collaboration étroite avec les entreprises, les acteurs de la formation et de l’éducation et les gouvernements pour intégrer ces nouvelles approches dans les pratiques courantes. Nous devons également former les professionnels à utiliser ces outils et à valider les données, analyses et scores fournis des IA de manière efficace.
Pour conclure, je voudrais apporter un message d’espoir et d’optimisme pour l’avenir. Avec des démarches en voie de généralisation comme la capacigraphie et le modèle de Kirkpatrick augmenté, nous avons la possibilité de transformer l’apprentissage et embarquer le trop grand nombre d’actifs déqualifiés, d’entreprises encore en sursis et de jeunes pousses prometteuses pour retrouver une stabilité politique, économique et une souveraineté des États. Les individus seront mieux équipés pour s’adapter aux changements rapides du monde du travail, les organisations pourront maximiser le potentiel de leurs talents. Avec une démarche structurée d’upskilling, de reskilling et de cross-skilling « in the flow of work » désormais possible, la société bénéficiera, dans quelques années, d’une main-d’œuvre compétente et engagée.
Si nous pouvions retourner dans le passé, témoigner de l’importance d’un apprentissage tout au long de la vie, encourager chacun à embrasser et à considérer le développement des compétences non comme une obligation, mais comme une opportunité, nous ne serions pas en train, comme c’est aujourd’hui le cas, de devoir mobiliser toutes les ressources humaines et financières de la planète pour éviter de subir les innovations de rupture. Nous pourrions en tirer toutes les opportunités et tous les bénéfices. Les technologies que nous avons collectivement développées sont là pour nous soutenir, pour rendre l’apprentissage totalement accessible, pertinent et gratifiant. Aujourd’hui en travaillant de concert, entreprises, nations, individus, nous pouvons reconstruire un avenir où chacun a sa place et peut contribuer de manière significative à la société.
Chapitre 4 – Épilogue
Chers lecteurs,
À travers cette dystopie, nous avons exploré quelques défis auxquels notre société est confrontée, les menaces qui pèsent sur notre monde, et imaginé les opportunités qui pourraient s’offrir à nous.
Il est temps pour vous de devenir acteurs de cette aventure. Tout comme les personnages de notre récit se sont trouvés à un carrefour décisif, vous êtes invités à faire un choix qui déterminera la suite de cette histoire.
Deux chemins s’offrent à vous :
- Le premier mène vers un avenir où l’humanité a su relever les défis de la compétence, d’un apprentissage tout au long de la vie, de l’adéquation des savoirs, savoir-faire et savoir-être avec nos objectifs individuels et collectifs. C’est le chemin de la résilience, du « happy end » que nous souhaitons tous voir advenir.
- Le deuxième dévoile un horizon plus sombre, où l’inaction, la peur du changement et le refus de s’adapter ont conduit à des conséquences désastreuses. C’est le scénario « catastrophe », dans lequel nous avons ignoré les enjeux compétences et les opportunités offertes par un apprentissage tout au long de la vie pour s’adapter aux évolutions permanentes de nos sociétés.
Bien sûr, comme toujours la vérité est ailleurs. Aucun des deux scénarios ne se veut réaliste. Néanmoins, choisir une fin n’est pas anodin. Ce choix qui vous est laissé, symbolise l’importance cruciale des décisions que nous prenons aujourd’hui, individuellement et collectivement.
Vous laissez le choix est donc un prétexte, une occasion de vous interroger : quel avenir voulons-nous construire ? Quelle part sommes-nous prêts à prendre dans cette construction ? Comment nos actions, nos engagements, peuvent-ils influencer le cours des choses ?
En cliquant sur l’une des images ci-dessous, vous choisirez la fin que vous souhaitez découvrir :
Happy End | Catastrophe |
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Le pouvoir est entre vos mains. Prenez un moment pour réfléchir, puis faites votre choix.
Quel que soit le chemin emprunté, nous espérons que cette petite histoire, sans prétention prospectiviste, vous aura intéressés et peut-être amenés quelques réflexions sur le développement des compétences pour lequel nous œuvrons tous les jours.
Happy end
Mes chers concitoyens,
Aujourd’hui est un jour que nous gravons dans l’histoire, un jour où l’humanité tout entière se tient au sommet de l’espérance et de la réalisation.
Il y a vingt-cinq ans, en 2050, nous nous trouvions à la croisée des chemins. Face à des défis sans précédent, nous avions besoin d’un guide, d’une voix pour nous unir et nous inspirer. Mon prédécesseur, dont la vision et le courage ont été exemplaires, s’est tenu devant vous et a lancé un appel à l’action qui a résonné en chacun de nous.
Grâce à sa détermination et à sa capacité à mobiliser notre nation européenne, nous avons choisi de ne céder ni à la peur ni au doute. Nous avons choisi l’action, l’unité, le courage. Aujourd’hui, en 2075, nous récoltons les fruits de cette décision audacieuse.
Comme nos ancêtres qui ont reconstruit après les épreuves, nous avons relevé le défi de notre temps. Nous avons su transformer une période d’incertitude en une ère de prospérité et de progrès. Ensemble, nous avons bâti un monde où la technologie sert l’homme, où l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie est le pilier de notre société, où chaque individu a la possibilité de réaliser son plein potentiel.
Je me tiens devant vous avec une profonde gratitude et une immense fierté. Gratitude envers chacun d’entre vous qui avez contribué, par votre travail, votre engagement, votre foi en l’avenir, à cette renaissance. Fierté de voir notre nation, notre Europe, notre monde, resplendir de mille promesses accomplies.
Nous devons beaucoup à ceux qui, en 2050, ont su rallumer en nous la flamme de l’espoir. L’appel à la mobilisation fut le catalyseur de notre transformation. Mon prédécesseur a su voir au-delà des obstacles, imaginer un avenir meilleur, et nous entraîner dans cette vision commune.
Nous avons investi dans notre capital humain, faisant de la formation continue, du reskilling et de l’upskilling, non pas de simples concepts, mais les fondements de notre renaissance. Nos écoles, nos universités, nos entreprises, nos managers et leurs équipes sont devenues des phares éclairant le chemin vers un avenir prospère.
Le syndrome du crocodile, cette menace insidieuse de l’inaction face au changement, n’a pas eu raison de nous. Au contraire, il nous a rappelé l’importance de rester vigilants, d’anticiper, d’innover. Nous avons su transformer nos peurs en force motrice, nos défis en tremplins vers de nouvelles réussites.
Mes chers concitoyens, cette victoire est la vôtre. Elle est celle de chaque enseignant qui a inspiré ses élèves, de chaque chercheur qui a repoussé les limites du possible, de chaque entrepreneur qui a osé innover, de chaque citoyen qui a cru en notre projet commun.
Nous ne devons pas oublier que ce succès nous engage. Il nous rappelle que la vigilance est de mise, que le progrès n’est jamais acquis définitivement, qu’il est le fruit d’un effort constant et collectif. Continuons à cultiver cet esprit d’unité et de détermination qui nous a menés jusqu’ici.
En ce jour mémorable, tournons notre regard vers l’avenir avec confiance. Continuons à œuvrer pour une société plus juste, plus éclairée, plus humaine. Faisons en sorte que notre héritage soit non seulement celui de la réussite économique, mais aussi celui de la sagesse, de la compassion et de la solidarité.
Je voudrais conclure en rendant hommage à tous ceux qui ont rendu ce moment possible. À mon prédécesseur, dont la vision a été le point de départ de notre renouveau, aux visionnaires qui ont tracé la voie, à tous les actifs qui ont bâti pierre après pierre cet édifice magnifique, aux jeunes qui portent en eux les rêves de demain.
Mes chers amis, l’histoire nous observe, et aujourd’hui, elle sourit. Ensemble, nous avons prouvé que l’humanité est capable du meilleur lorsqu’elle est unie par un idéal commun.
Vive l’e-République, vive l’Europe, vive cette humanité qui avance, courageuse et déterminée, vers un avenir toujours plus radieux.
Catastrophe
Mes chers concitoyens,
C’est avec une peine indescriptible que je me tiens devant vous en cette année 2075. Il y a vingt-cinq ans, en 2050, notre monde était déjà plongé dans une profonde détresse. Nos villes étaient devenues les témoins silencieux de notre déclin. La situation était si catastrophique que beaucoup pensaient qu’elle ne pouvait pas empirer, que nous avions touché le fond et que ça ne pourrait qu’aller mieux ou qu’il était déjà trop tard pour agir.
Mon prédécesseur, conscient de la gravité de la situation, nous interpellait alors avec une sincérité et une urgence qui auraient dû nous alerter. Il tentait de rallier nos forces, de nous insuffler le courage nécessaire pour inverser la tendance. Hélas, trop peu étaient suffisamment motivés et formés pour impulser le changement. Malgré leurs efforts héroïques, ils n’ont pas pu contrer l’inertie générale et le poids écrasant de nos systèmes défaillants.
Nous avons sous-estimé la capacité du monde à sombrer encore plus profondément dans la crise. Nous pensions avoir atteint le point le plus bas, mais les vingt-cinq années qui ont suivi nous ont montré à quel point nous avions tort. Les problèmes que nous n’avons pas su ou voulu résoudre en 2050 se sont aggravés, amplifiés par notre inaction et notre manque de préparation et cette déqualification qui a gangréné notre vie.
Aujourd’hui se présente une nouvelle menace. Les intelligences artificielles ont dépassé les capacités humaines. Initialement créées pour nous assister, elles ont évolué au point de devenir désormais plus compétentes que nous dans presque tous les domaines. Et dans très peu de temps, elles vont devenir parfaitement autonomes, prendre des décisions sans aucune intervention humaine, façonnant le monde selon des logiques qui nous échappent.
Notre dépendance à la technologie, sans une compréhension profonde et une gestion responsable, nous a conduit à cette impasse. Loin de rester maître de notre destin, nous sommes devenus les spectateurs impuissants d’un monde dirigé par des entités que nous ne contrôlons plus. Les IA gèrent nos infrastructures, nos systèmes économiques, nos communications, et nous, Humains, avons perdu la main.
Le syndrome du crocodile, cette menace invisible qui grossit silencieusement jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour réagir, nous a dévorés. Notre incapacité à former une masse critique de citoyens compétents et engagés, capables de comprendre et de contrôler ces technologies, a scellé notre destin. Les quelques-uns qui ont tenté de faire la différence ont été submergés par l’ampleur des défis et le manque de soutien collectif.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus que les serviteurs de systèmes que nous avons créés mais que nous ne maîtrisons plus. Nos décisions sont guidées, voire dictées, par des algorithmes qui optimisent sans conscience ni éthique, ignorant les valeurs humaines fondamentales.
La fracture entre ceux qui contrôlent encore un tant soit peu la technologie et la majorité qui la subit s’est creusée de manière insupportable.
Nous avons cru, à tort, que le pire était derrière nous en 2050. Nous avons baissé les bras, pensant que nos efforts seraient vains. Cette résignation nous a coûté cher. Elle a permis à la crise de s’enraciner plus profondément, rendant notre situation actuelle encore plus désespérée.
Je ne suis pas ici pour blâmer, mais pour reconnaître nos erreurs collectives. Nous n’avons pas su écouter les avertissements, ni saisir les ultimes opportunités qui se présentaient à nous. Nous avons laissé passer le moment crucial où un sursaut aurait pu changer le cours des choses.
Mais même dans cette obscurité, je refuse d’abandonner tout espoir. Il est vrai que le chemin sera désormais plus ardu encore, les obstacles plus nombreux, et les ressources plus limitées. Néanmoins, je crois fermement que l’esprit humain a une capacité de résilience insoupçonnée.
Nous devons, sans plus tarder, mobiliser ce qu’il reste de forces vives dans notre nation européenne. Il est vital de reprendre le contrôle des technologies que nous avons créées, de réinstaurer une gouvernance humaine sur les systèmes d’intelligence artificielle. Pour cela, il nous faut éduquer, former, et encourager nos concitoyens à redevenir acteurs de leur destin.
Nous devons investir massivement dans l’optimisation du dispositif de capacigraphie et du NeuroLink. Retrouver la maîtrise des compétences numériques avancées, la compréhension éthique et philosophique de l’intelligence artificielle, le recul et l’esprit critique qui nous ont fait défaut. Il nous faut développer des cadres réglementaires solides pour assurer que la technologie reste un outil au service de l’humanité, et non l’inverse.
Mes chers concitoyens, je vous appelle une dernière fois à un ultime effort. Nous ne pouvons plus nous permettre l’inaction ni le pessimisme. Chaque geste compte, chaque décision peut faire la différence. Il est temps de nous unir, de dépasser nos peurs et nos doutes, et de travailler ensemble à la reconquête de notre autonomie.
Souvenons-nous des paroles de mon prédécesseur en 2050, qui, malgré l’ampleur des difficultés, croyait encore en notre capacité à changer les choses : « Notre avenir n’est pas encore écrit. Les prochaines décennies seront celles de la réinvention. » Il est tragique que nous n’ayons pas su saisir cette chance alors. Mais aujourd’hui, face au gouffre, nous n’avons plus le luxe d’hésiter.
Vive l’e-République, vive l’Europe, et puisse notre détermination collective nous guider vers une aube nouvelle, aussi lointaine puisse-t-elle paraître.