Solidarité, empathie, résilience… Dans ces périodes troubles, les “compétences douces” sont plus que jamais nécessaires. Mais leur définition scientifique pose encore question, ainsi que leur mode d’apprentissage et d’évaluation. Débat.
Management : Le terme de soft-skills est mis à toutes les sauces. De quoi parle-t-on au juste ?
Michel Barabel : Ce terme “branché” est en effet fourre-tout, on confond résilience et capacité à communiquer, empathie et capacité d’écoute… Il y a très peu de travaux scientifiques sur le sujet. Cécile Jarleton, doctorante en psychosociologie du travail, explique très bien l’amalgame entre trois concepts distincts : un, les traits de personnalité innés et stables dans le temps tels qu’extraversion/introversion, ouverture d’esprit, curiosité… ; deux, les états émotionnels tels que bonne humeur, satisfaction, abattement, enthousiasme et, trois, les compétences qu’on peut acquérir, consolider et actionner et à tout moment, tels l’art oratoire, la créativité, l’agilité. Je rappelle aussi la définition du sociologue Guy Le Boterf, pour qui la compétence est l’activation de plusieurs savoirs, théoriques, techniques, comportementaux, dans un contexte donné permettant à un individu d’atteindre des résultats ou une performance.
Maurice Thévenet : J’y ajouterai les valeurs, ce qu’on appelait les “vertus” autrefois, courage, loyauté, solidarité, engagement etc. En outre, les soft skills découlent de la capacité à se mobiliser, à apprendre, à se connaitre soi-même, à s’accepter, à se questionner et à assumer des relations positives avec son entourage. La coopération consiste par exemple à savoir travailler avec les autres, à interagir avec des chefs, des collègues, des pairs qu’on n’a pas choisis, et ce sur la longue durée. Par ailleurs, selon moi la curiosité est une soft-skill, car elle se traduit concrètement par la capacité à chercher l’information et à confronter les avis.
Les compétences techniques “dures” passeraient donc au second rang ?
Michel Barabel : Je n’observe rien de tel. Pour moi, les soft skills subliment les hard skills, elles permettent de mieux les exploiter. Tel l’avocat très pointu sur la jurisprudence mais qui doit aussi être capable de faire un numéro de charme pour convaincre. En outre, les soft skills restent l’apanage de l’espèce humaine et sont donc le meilleur rempart contre le risque de domination de l’intelligence artificielle et des robots. La vérité est dans l’ambidextrie, la faculté à combiner compétences dures et douces.
Maurice Thévenet : Les hard skills primaient à l’époque du plein emploi et des “soft jobs”, tranquilles et durables. En 2020, les soft skills prennent le pas dans une époque de “hard jobs”, plus précaires, polymorphes et stressants. C’est aussi une façon de faire passer la pilule… Tous les problèmes de performance et de bien-être se résoudraient dans des soft skills appropriées qui seraient innées ou qu’il suffirait d’acquérir, sans idée d’effort. A la différence des hards skills, dont l’acquis n’est pas toujours garanti.
Peut-on enseigner ces compétences “douces” ?
Maurice Thévenet : On peut les apprendre avec le temps et les travailler, mais cela reste du ressort de l’individu. Et non, on ne peut pas les enseigner comme une matière en soi, même si les écoles de gestion donnent, depuis cinquante ans, des clés à leurs étudiants sur la manière de les développer. Passer les gens à la moulinette de cours de communication formatés ou de séminaires comportementaux relève d’une approche mécaniste, voire magique, des choses. On apprend bien quand on en ressent le besoin, et donc souvent après s’être frotté au terrain.
—————
Repéré depuis https://www.capital.fr/votre-carriere/les-soft-skills-cest-quoi-exactement-1371832