Introduction
L’art de la pédagogie c’est la répétition. Combien de fois avons-nous entendu cette maxime prononcée dans nos parcours de professionnels de la formation ? Bien souvent certainement. Si cette finalité semble bien compréhensible elle était jusqu’à aujourd’hui davantage le fruit de l’expérience et du bon sens que prouvée par une démarche scientifique dûment élaborée. Fort heureusement les neurosciences sont passées par là et nous amènent à mettre en œuvre la répétition de façon optimale. Voyons comment.
Episode 1 – Comment répéter ?
A. L’art de la répétition
Une formation dont le contenu est proposé en une fois (la majorité des formations à l’heure actuelle) ne constitue finalement qu’un simple amorçage de l’apprentissage. Le transformer en acquis durable nécessite d’y revenir à nombreuses reprises. La répétition est ainsi un des piliers de l’apprentissage, encore faut-il l’agencer de façon stratégique.
Le processus optimal de répétition est désormais étudié depuis un siècle. Ses modalités de mise en œuvre sont déterminantes pour la mémorisation.
De nombreux tests ont été effectués par les scientifiques et il en ressort que pour optimiser le temps consacré à la répétition deux critères interviennent :
- la forme de la répétition, c’est-à-dire le « comment »
- le séquençage dans le temps, c’est à dire le « quand »
B. Comment répéter
La forme de la répétition est donc le premier point clé de la réflexion sur le renforcement de la mémorisation.
- Est-il préférable de répéter à l’identique ou de varier ?
- Faut-il intercaler les sujets ou les traiter en bloc ?
- Faut-il relire ou partir d’une page blanche ?
- Taper sur un clavier ou écrire ? …
Ces différentes modalités ont été scientifiquement testées. Voici les réponses que les chercheurs nous livrent :
- Varier la répétition plutôt que de répéter à l’identique :
Dupliquer l’information sous des formes différentes augmente ses chances d’être mémorisée. La variété permet de relier de façon de plus en plus dense et complexe les informations nouvelles aux connaissances déjà acquises. Ce qui se traduit dans le cerveau par :- un plus grand nombre de réseaux neuronaux sollicités ce qui renforce la trame de la mémoire
- davantage de régions différentes pour stocker les informations ce qui produit autant d’indices de récupération potentiels
- Intercaler les sujets plutôt que de les traiter en bloc :
C’est ce que les anglo-saxons nomment « interleaving ». Il a été démontré que passer à un autre sujet et revenir un peu plus tard au premier consolide la mémoire à long terme. Et ce bien que l’interférence avec d’autres sujets contribue à perturber la mémorisation à court terme en début d’apprentissage. - Susciter l’effort de récupération plutôt que la faciliter :
Mémoriser durablement demande des efforts. Plus le processus actif de remémoration est intense plus la consolidation de la trace mnésique est forte. On peut faire l’hypothèse que c’est pour cela que les processus passifs de mémorisation testés à ce jour sont inopérants (comme par exemple apprendre un cours en l’écoutant un cours pendant son sommeil). - Ecrire à la main plutôt que taper sur le clavier. Ecrire, dessiner soi-même renforce la trace. La prise de note sous la forme de cartes mentales (mind-mapping) ou de schémas et dessins (sketchnotes) sera particulièrement efficace.
Episode 2 – Quand répéter
Nous avons vu qu’il est essentiel de réactiver très vite la trace initiale de l’apprentissage pour la consolider. Ensuite la répétition des sollicitations va permettre son inscription durable dans la mémoire.
Les chercheurs ont comparé différentes modalités de répétition :
- en bloc ou fractionnées
- espacées à différents intervalles
Il en ressort de grandes différences. Selon l’objectif que l’on vise le résultat varie :
A. Répéter en bloc ou fractionner ?
- Si l’objectif est de retenir l’apprentissage sur le long terme la répétition fractionnée dans le temps est bien plus efficace que la répétition en bloc.
- Si l’objectif est de retenir l’apprentissage uniquement sur le court terme, par exemple pour un examen ou un concours, c’est la répétition en bloc qui est la plus efficace. Dans ce cas le contenu insuffisamment consolidé sera ensuite rapidement oublié.
- Fractionné l’apprentissage permet de mémoriser davantage et plus longtemps. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette différence :
- Répéter de façon rapprochée devient vite ennuyeux (baisse de l’attention et de la motivation) sauf sous la pression d’un examen imminent
- Multiplier les sessions multiplie aussi les indices contextuels
- Se donner le temps d’oublier permet d’identifier plus facilement les éléments que l’on a le plus de difficulté à retenir et de les traiter efficacement.
B. Répéter de façon rythmée dans la durée
Différents espacements ont été testés pour la répétition fractionnée. Les résultats révèlent que pour être optimale la répétition doit intervenir à des moments précis. Ce n’est pas un schéma rigide. L’important est de suivre les deux grands principes qui s’en dégagent :
- répéter de façon très rapprochée au début :
Ceci est cohérent avec le fait que la trace mnésique est particulièrement fragile au début. En l’absence de consolidation rapide elle disparaît. - répéter par espacement croissant :
Il faut répéter avec des intervalles de plus en plus grands. Ceci est cohérent avec le fait que prendre le temps d’oublier oblige à fournir un effort de remémoration plus intense. On oublie très vite au début, puis de plus en plus lentement au fil de la consolidation. Nous avons vu que cette intensité accrue de l’effort consolide davantage la trace neuronale. C’est le rôle paradoxal de l’oubli dans la mémorisation.
Ceci est le principe de la répétition par espacement croissant. Le schéma ci-contre est déduit de ces travaux :
- immédiatement au décours de l’apprentissage (récapitulation active par l’apprenant à la fin de chaque « grain » d’apprentissage)
- dans les 24 heures
- 2 ou 3 jours d’affilée
- 1 semaine après
- 1 mois après
- 6 mois après, etc…
C. Pour conclure
L’efficacité de ces principes de répétition est désormais solidement établie depuis des années. Pourtant ils sont très peu utilisés en pratique.
Ce paradoxe peut notamment s ‘expliquer par notre réticence naturelle à l’effort. L’effort mental intense, au même titre que l’effort physique, fatigue rapidement. Notre réserve d’énergie, mentale comme physique, est limitée.
Le cerveau en consomme beaucoup. La nature, économe par essence, nous a doté d’un mode par défaut qui nous pousse au repos.
Ainsi une caractéristique incontournable du cerveau est qu’il favorise spontanément les pratiques les plus faciles et les plus gratifiantes à court terme. La loi du moindre effort et la recherche d’une récompense immédiate sont des réalités physiologiques.
Or il n’y a pas d’apprentissage sans effort. L’éducation et les efforts répétés nous permettent progressivement de surmonter cette pente naturelle. Nous avons grand besoin de soutien et d’encouragement pour y arriver. D’où l’importance cruciale de la motivation pour soutenir l’effort.
Alors, c’est bien mémoriser ou bien faut-il répéter ?