Alors que les injonctions à mettre en œuvre l’enseignement explicite en classe sont de plus en plus insistantes – par exemple dans le projet de formation des enseignants du CSEN -, il semble nécessaire de faire le point sur les interrogations que soulève cette méthode.
Pourquoi l’enseignement explicite à l’américaine, l’evidence based et les données probantes sont problématiques pour la pédagogie ? Pour plusieurs raisons.
D’abord, d’un point de vue épistémologique. Les tenants de ces théories excluent toute autre approche scientifique que la leur et s’approprient ainsi ce que serait la science, souvent de manière particulièrement condescendante d’ailleurs. Contestant le principe essentiel de toute démarche scientifique, la réfutabilité des résultats, ils avancent des « preuves scientifiques indiscutables ».
Ces sélections théoriques mettent de côté notamment tous les travaux essentiels en sociologie de l’éducation, en particulier tous ceux ayant montré l’importance de lever les implicites dans les consignes auprès des publics les plus éloignés de la culture scolaire. Ce sont justement ces résultats de recherches qui ont conduit aux attentions de l’explicitation des attendus sociocognitifs, travaux qui ne correspondent pas du tout aux logiques pédagogiques de l’enseignement explicite.
ON SAIT SURTOUT CE QUI NE MARCHE PAS
Enfin, d’un point de vue pédagogique. De nombreux chercheurs de par le monde effectuent de manière scientifique des recherches publiées dans des revues qualifiantes et reconnues par les autorités scientifiques. Depuis que la visée d’enseignements démocratisants est apparue (avec les travaux de Pierre Bourdieu principalement), ces recherches ont surtout montré ce qui ne fonctionnait pas (comme les groupes de niveau ou le redoublement).
ÉVIDENCE OU PSEUDOSCIENCE ?
Il existe de nombreux travaux scientifiques en épistémologie qui critiquent de manière étayée les pratiques de l’evidence based (Stéphanie Demers, Sylvain Wagnon et Sihame Chkair, Charles-Antoine Bachand, et d’autres), certains allant même jusqu’à qualifier l’evidence based comme relevant d’une pseudoscience.
Lorsque l’on parvient à dépasser les soubassements politiques masqués par ces approches, ainsi que l’arrogance dont certains de leurs défenseurs font montre, il est cependant possible d’esquisser d’éventuels intérêts à considérer pleinement et lucidement les résultats issus de ces travaux.
En premier lieu en termes de complémentarité. Si les recherches en éducation qualitatives et compréhensives permettent un accès à des réalités fines, s’appuyer sur les orientations générales fournies par les travaux en evidence based aide à ne pas chercher à l’aveugle. Autrement dit, pour tenter de trouver des réponses à des problématiques pédagogiques, par exemple celles autour de la prise en compte de la diversité des élèves, utiliser comme hypothèses certains résultats issus d’expérimentations ou de méta-analyse fait gagner beaucoup de temps et conduit à des avancées certaines.
En second lieu en termes d’intervention pédagogique. En matière d’acte d’apprendre, nous avons pu relever quatre processus intellectuels à l’œuvre : l’attention, la compréhension, la mémorisation et le transfert. Les résultats apportés par l’evidence based concernent majoritairement les processus de mémorisation (parce que cela touche des opérations automatisables). Ils sont particulièrement intéressants à prendre en compte pour les joindre à ceux sur les trois autres processus.
Ainsi associés, ces travaux permettront à l’ensemble des acteurs pédagogiques de disposer d’appuis solides pour penser les questions éducatives et scolaires, sans s’enfermer dans des perspectives dogmatiques et dans une seule démarche scientifique. Nous pourrions alors cesser d’entretenir des antagonismes stériles pour mettre en commun les forces en présence et construire collectivement une école en mesure de répondre aux défis d’une démocratisation des progrès individuels des élèves.
enseignant chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry Montpellier 3, laboratoire Lirdef