La disparition de l’école publique est proprement impensable pour beaucoup. Des intérêts économiques et politiques œuvrent pourtant à une marchandisation généralisée du système éducatif, et la crise sanitaire leur offre un véritable levier pour accélérer ce processus.

Dans Le Point daté du 29 mai 2020, l’« experte en EdTech » (terme qui désigne les industriels du numérique éducatif) Marie-Christine Levet bénéficie d’un long entretien*. Le discours est rôdé et semble par moments relever du bon sens. Elle souligne ainsi que l’épreuve du confinement fut un choc pour le système éducatif, que les GAFAM ont tiré parti de la situation ou encore que « le rôle du prof reste clé, on l’a vu pendant la période de confinement ». Dans le même temps pourtant, elle multiplie les outrances (« une télé-scolaire des années 1960 » et le CNED comme « outil qui date de Vichy »). Elle plaide surtout pour une forme de partenariat public-privé entre l’Éducation nationale et les start-up innovantes, en précisant  : « Si l’État avait su faire du numérique éducatif, il l’aurait fait depuis longtemps […]. L’innovation se développe le plus souvent dans des petites structures agiles avec moins de carcans, sinon Accor aurait inventé Airbnb et la SNCF, Blablacar… ».
Les éléments de langage sont révélateurs. Ce sont ceux de la start-up nation, ceux du patronat à la recherche d’un nouveau souffle et d’une nouvelle image. C’est que Marie-Christine Levet n’est pas seulement experte de la EdTech, elle en est un soutien tout à la fois idéologique et financier, une lobbyiste. Nous avions tenté de le démontrer dans une contribution à l’ouvrage collectif Critiques de l’école numérique, aux éditions de l’Echappée, paru en 2019. Avec l’accord de notre éditeur, nous en publions ici les extraits évoquant M.-C Levet et son fonds d’investissement, Educapital.

Le fardeau de la EdTech

Avec Educapital, c’est donc l’école de demain qui est déjà là, balayant la vieille Éducation nationale, restée figée dans le noir et blanc de la III e République ! Ce discours ne fait que remixer le marketing de la EdTech, mais il a le mérite d’en condenser la rhétorique lancinante. Leur conclusion s’impose alors, implacable : la EdTech veut bien se charger de ce fardeau, mais elle devra obtenir des gages. Elle ne veut plus se contenter de fournir des services à l’institution et aux établissements scolaires, mais prescrire les bonnes pratiques et décider dans le champ éducatif, devenu un immense marché. Il faut pour cela lui ouvrir sans réserve les portes de l’éducation, lui apporter les financements publics nécessaires, lui donner sa juste part dans la gouvernance éducative et la défense du bien commun. Duperie qui consiste à dénoncer le coût de l’éducation publique tout en demandant de l’argent pour le privé3. Et qui consiste aussi à dépolitiser le discours, à neutraliser toute critique, tout en défendant des choix politiques. Le discours est grossier, mais il a trouvé des oreilles bien attentives, sinon parfaitement complices. […]

Le Ministère de la EdTech nationale

Loin d’être hostile au numérique, Jean-Michel Blanquer est donc un fervent soutien de la Tech, au moins en tant qu’elle est porteuse de croissance et de disruption des services publics, ce qu’il a su démontrer à de nombreuses reprises. La gestionnaire de portefeuilles Marie-Christine Levet s’en est félicitée ouvertement : « On a inauguré Educapital dans une ancienne école reconvertie en incubateur, en la présence à la fois de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation et de Mounir Mahjoubi et je pense que c’était un très très [sic] bon signe d’avoir un ministre de l’Éducation venu ouvrir un fonds pour investir dans le secteur de l’éducation4. » Présent, le ministre ne s’est pas contenté d’une simple figuration, mais a tenu à faire un discours de soutien à cette initiative des marchands d’éducation. Il est venu « féliciter » Educapital pour son projet « formidable », en espérant que « d’autres fonds EdTech français puissants verront le jour dans les temps à venir ».

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Repéré depuis https://blogs.mediapart.fr/christophe-cailleaux/blog/310520/educapital-la-pandemie-au-secours-des-marchands-deducation

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