La période de confinement bouleverse notre façon de communiquer et de maintenir des liens sociaux. Elle engendre la nécessité de repenser nos habitudes de sociabilité, et d’en créer de nouvelles formes. Les systèmes de visioconférence sont massivement utilisés. Ce qui est efficace pour le travail l’est-il autant pour la sociabilité personnelle ? Comment réinventer nos formes d’interactions pour leur permettre de rester riches et épanouissantes ?
Socialiser en ligne
La communication à distance est massivement soutenue par les technologies de l’information et de la communication, dans les champs professionnels et personnels. Les solutions techniques prolifèrent, engendrant des usages nouveaux de communication, voire de nouvelles formes de langage. Par exemple, les limites des SMS ont contraint à la construction de formes écrites courtes, qui ont fait émerger non seulement une orthographe abréviative spécifique, mais aussi de nouvelles plates-formes de réseaux sociaux numériques qui ont sanctuarisé ces formes courtes, comme Twitter. Autre exemple, le manque de métacommunication de l’écrit, c’est-à-dire la communication sur la communication elle-même, qui ajoute de la nuance et soutient l’intercompréhension, a fait émerger des dispositifs de plus en plus sophistiqués, comme les émoticônes et GIF animés.
La visioconférence permet-elle la sociabilité informelle ?
Les outils de visioconférence ont été développés pour mener des réunions de travail. Dans certains cas, ils permettent même d’améliorer la qualité de la collaboration, en comparaison à des situations de co-présence (présence physique au même endroit) car ils forcent une structuration des échanges. Être devant un écran dans un créneau temporel déterminé peut ajouter en concentration et en efficacité, et les collaborateurs sont poussés à « aller à l’essentiel » en se dégageant de l’informel. Tant pis si on perd un peu en sociabilité, dans l’avant et l’après la réunion, ou dans le café qui clôturerait sinon les échanges. Mais dès lors qu’on s’adresse à notre sociabilité « de tous les jours », c’est précisément l’informel qui compte. Le café qu’on partage a bien plus d’importance que la tâche qu’on réalise.
La sociabilité du quotidien demande de la créativité
En somme, la visioconférence permet de réaliser des tâches dans des collectifs structurés, au prix d’une gestion formelle et explicite du contexte et des interactions. Mais elle supporte mal la sociabilité du quotidien, qui repose sur l’immersion du groupe dans un contexte commun, sur la fluidité des échanges (nécessaire notamment pour l’humour), et sur le plaisir d’être ensemble sans réaliser de tâche, mais simplement pour être ensemble.
Première stratégie : créer du contexte partagé
Au temps réellement partagé, on rajoute un espace supposément partagé. Les apéros en visioconférence en sont un exemple emblématique : s’installer dans un fauteuil, trinquer ensemble face à sa webcam, partager des petits fours, c’est recréer des habitudes qui nous plongent dans une forme de référentiel commun : chacun sait ce qu’il a à faire lors d’un apéro. Autre exemple : certains dispositifs de réunion distants permettent de détourer l’interlocuteur et d’y apposer un fond. Initialement conçus pour respecter l’intimité, c’est aussi l’occasion de recréer du contexte partagé. Mettre un même fond permet à tous de se sentir « au même endroit ».
Deuxième stratégie : recréer des tâches
La visioconférence est particulièrement appropriée pour réaliser des tâches, dès lors pourquoi pas fixer un but à nos moments de sociabilité, là où il n’y en avait pas nécessairement auparavant ? Faire garder les enfants à distance par exemple. Pour ceux qui ont des enfants, un coup de main est le bienvenu, et mobiliser les grands-parents ou autres adultes le temps d’une histoire ou de la réalisation de devoirs est bénéfique à tous points de vue : ménager des moments tampons pour les parents et maintenir le lien entre enfants et grands-parents. Le lien passe désormais par la tâche qui donne une raison d’être et un but à ce lien.
Troisième stratégie : changer les formats même de la communication
Il s’agit par exemple d’accompagner la visioconférence par d’autres médias (images, vidéos, musique) pour enrichir le message et se focaliser sur le contenu. Il peut aussi s’agir de transformer la communication, dans sa forme comme dans son contenu, pour pallier aux difficultés de la technique : ainsi, s’il n’est plus possible de proposer des énoncés longs lors de nos conversations, à cause de la qualité du réseau, on peut échanger par le biais de phrases courtes, de l’humour percutant, et par là même se ménager des moments plus légers, où on ne s’appesantit pas sur le virus et le ressenti de la situation actuelle. Autre exemple, mobiliser les possibilités offertes par nombre d’outils pour se « déguiser » virtuellement, supportant des formes de métacommunication bien utiles lorsqu’on partage un contexte minimal et que nos comportements non verbaux sont somme toute peu visibles.
Quelles leçons en tirer
Bien sûr, nous ne sommes pas tous égaux face au confinement, notamment face à l’accès aux outils numériques. Et ces outils ne garantissent pas toujours le respect de notre vie privé, loin s’en faut. Mais ils constituent, dans la période actuelle, de précieuses ressources pour notre vie sociale, pour peu que nous soyons en mesure d’en inventer les formes.