Quelle
HISTOIRE !

1.
Parce qu’une PETITE HISTOIRE vaut mieux qu’un LONG DISCOURS

2.
La CIBLE, l’OBJECTIF et les LEVIERS

3.
Le HÉROS, la QUÊTE et LA MÉTHODE

4.
Le DÉNOUEMENT

5.
L’ART et la MANIÈRE

6.
EXPÉRIENCE APPRENANTE : le CONTE est bon

Pythagore

Pythagore | penseur grec

Quelle HISTOIRE !

Dimanche, 18H. Cette heure qui cristallise les tensions familiales autour des devoirs. Le week-end touche à sa fin. Plane le spectre du lundi. Et voici que surgit l’agitateur du moment : Pythagore ! À ses trousses, l’enfant procrastinateur acculé par l’horloge. Il crie et se défend : Pythagore, il n’y comprend rien. Mais bien sûr qu’il a appris la leçon. Et face à mon doigt accusateur et ma mine excédée, il se met à débiter comme un perroquet le fameux théorème : a² + b² = c².

Qu’il est loin mon Pythagore… J’entreprends de traduire l’obscure équation : la somme des carrés de l’hypoténuse est égale à la somme des carrés des deux autres côtés. Mais l’enfant connaît la chanson. Son professeur l’entonne à chaque cours depuis trois jours. L’enfant demande toujours « Pourquoi ? » et je me demande à présent « Comment ? ». Comment donner du sens ? La leçon ne m’apprend rien de plus. Alors je visionne des dizaines de séquences pythagoriciennes sur Internet. Et tout à coup, voici qu’on me prend par la main. Je me trouve plongée dans l’Égypte ancienne. Je ne savais même pas que Pythagore avait quitté son île natale de Samos pour s’installer sur la terre des Pharaons. Face à nous les pyramides. Autour de nous, des architectes manient la corde à nœuds. 13 nœuds me font-ils remarquer. Et la démonstration commence… La corde, pliée aux nœuds 4, 8 et 13 devient équerre. Corde et pavés en main, voici que je construis mon équation. Le théorème de Pythagore prend vie et je reprends espoir. Que la lumière soit…

De retour de mon voyage pédagogique, je raconte. Ma rencontre avec Pythagore, ses questions devant les pyramides, les architectes et leur corde à nœuds. Et de l’observation, l’avènement de son théorème éponyme. L’enfant boit mes paroles. Il va chercher quelques Legos et une corde. Le théorème devient son théorème et Pythagore son bras armé de bâtisseur.

Vivement Thalès !

« Les personnages et situations de ce récit étant totalement réels, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être fortuite. »

1.
Parce qu’une PETITE HISTOIRE
vaut mieux qu’un LONG DISCOURS

Tel est donc le storytelling, l’art de faire passer un message au travers d’une histoire. Cette capacité millénaire que possède l’Humanité à raconter et à se raconter, sous des formes aussi variées que l’écrit, l’oral, l’image est magistralement résumée par Roland Barthes en 1966, dans son « Introduction à l’analyse structurale des récits » :

2barthes

Revisiter Lascaux

De tout temps, raconter des histoires a été un moyen de transmettre et d’instruire les générations suivantes avant même de chercher à divertir.

3lascaux

Le récit puise dans l’inconscient collectif de l’humain pour transmettre une information par des scènes imagées et des émotions. Solliciter l’imaginaire de chacun, susciter des émotions, provoquer l’identification, autant de leviers pour renforcer l’attention, la mémorisation et mobiliser les capacités cognitives de l’apprenant. Les neurosciences cognitives ont démontré que le cerveau est plus réceptif aux messages véhiculés par une histoire.

Doit-on pour autant remiser le cours plus académique dans les archives de l’éducation ? Surtout pas ! Le storytelling doit s’articuler avec l’exposé didactique et avec les pédagogies active et participative pour enrichir la séquence de formation et l’expérience de l’apprenant.

Le récit oral ou écrit n’est, entre outre, pas la seule forme de storytelling, comme le fait remarquer Roland Barthes. Les vidéos, les saynètes, les infographies constituent des formats alternatifs adaptés selon la cible et l’objectif pédagogique visés.

De Lascaux à la communication de marque

Le storytelling est aujourd’hui largement utilisé dans nombre de secteurs :

  • en marketing pour amener le consommateur à adhérer aux valeurs de la marque ;
  • en management pour fédérer les équipes autour de valeurs d’entreprise et d’une stratégie « corporate » ;
  • dans l’armée pour légitimer les actions ;
  • et en politique pour convaincre le citoyen de la nécessité d’une politique donnée.

Utilisé en focus sur les points clés d’une séquence, il a toute sa place en formation pour retenir l’attention, dédramatiser la complexité d’un savoir et in fine donner confiance à l’apprenant. Son point fort : l’émotion !

Mais pour obtenir l’effet d’engagement escompté, le récit doit respecter quelques règles fondamentales de construction. Chaque étape de la construction du récit doit générer une émotion.

En la matière, le marketing et les stratégies de communication des marques ont beaucoup apporté à la démarche.

2.
La CIBLE,
l’OBJECTIF
et les LEVIERS

Une histoire efficace est celle qui s’adresse à un public identifié. Définir sa cible est donc la première étape avant de se lancer.

Quel est le profil des apprenants ? Managers d’une même entreprise partageant des valeurs ou un vécu professionnel ? Groupe de professionnels exerçant la même activité dans des entreprises différentes qui sont liés par des problématiques communes ?

Pour une analogie marketing, Coca Cola construit son storytelling de Noël à destination de la famille (parents et enfants) en créant un univers de partage et de convivialité.

4roue-des-emotionsUne fois la cible définie, la définition de l’objectif (développer un sentiment d’appartenance, acquérir un savoir-faire, maîtriser les caractéristiques d’un nouveau produit…) permet d’identifier l’émotion sur laquelle bâtir son histoire (fierté, joie, envie, désir…). L’émotion et l’affect en général que l’on qualifie de cognition chaude (par opposition à la cognition froide et rationnelle) impactent fortement le raisonnement.

La palette des émotions est large. Elle a notamment été formalisée en 1980 par le psychologue américain Robert Plutchik, dans une roue des émotions. Il y décrit les associations d’émotions et leurs résultats in fine sur le récepteur.

Lorsque la cible et l’objectif sont clairement identifiés, il est plus simple de choisir un levier narratif : histoire réelle (expérience, témoignage…) ou fiction, voire un mix des deux. Modifier quelques éléments d’une histoire vraie peut apporter un focus sur un point crucial tant que le résultat ne fausse pas la réalité. Dans une histoire vraie, la crédibilité du message doit être préservée pour obtenir l’adhésion de l’apprenant.

Dans tous les cas, l’histoire devra reposer sur un personnage central (le héros), confronté à une problématique (la quête), qui va dérouler un plan d’action (la méthode) pour parvenir à une leçon à retenir qu’il s’agisse par exemple de la résolution du problème ou du constat d’une absence de solution…

3.
Le HÉROS,
la QUÊTE
et LA MÉTHODE

Le storytelling en marketing est grand consommateur de héros. Il s’appuie souvent sur les archétypes de Jung, adapté à chaque objectif de communication propre.

Pour la petite histoire

En 1907, Carl Jung, psychologue suisse s’inspire des mythes grecs et des philosophes antiques pour élaborer sa théorie des archétypes. Selon lui, l’humain utilise une représentation existante a priori, sorte d’inconscient collectif commun à l’ensemble des cultures, qui structure sa psyché et catégorise l’imaginaire collectif. Ces archétypes représenteraient ce qui subsiste de primitif dans l’Homme moderne.

Si elles sont communes, ces représentations psychiques n’en demeurent pas moins protéiformes selon les cultures, d’où le refus de Jung de les personnifier. Ce sont comme des boîtes vides qui se remplissent par le vécu et la culture de chacun. Il en définit tout de même quelques types primaires porteurs des émotions universelles : le Soi, la part féminine de l’humain et sa part masculine, la mère, le père…

Les archétypes du storytelling

5appleLe marketing a largement repris les archétypes, en les personnifiant. On dénombre traditionnellement 12 archétypes de héros en communication. Du héros à l’ange-gardien, du rebelle à l’explorateur, du sage au magicien, chacun d’eux incarne des valeurs que les marques souhaitent utiliser en fonction du profil de consommateurs qu’elles souhaitent toucher.

Ainsi Apple assoit-elle sa communication sur une figure de magicien, dans une logique de disruption et d’innovation quand Virgin exploite le thème de l’explorateur et Disney celui de l’innocent.

En formation, le héros ne doit pas évincer le savoir ou l’expérience présentée. Il est au service de l’apprentissage pour valoriser le témoignage ou le savoir à transmettre. Comme dans toute histoire, il est primordial de définir les personnages et notamment le héros, leur caractère et leur mode d’intervention dans l’histoire. Sans oublier le méchant, explicite ou simplement suggéré, il vient magnifier la quête et légitimer l’existence et le statut du héros.

Dans le petit drame pythagoricien qui nous a servi d’introduction, le héros est clairement « Monsieur ou Madame tout le monde ». Et le méchant me direz-vous ? C’est le professeur qui n’a pas su donner du sens et dont il va falloir combler les manques. Il n’est ici que suggéré.

Qui dit héros dit quête…

Le héros évolue dans un contexte qu’il faut présenter à l’apprenant pour le faire entrer dans l’histoire en lui détaillant les données de départ. Le héros est confronté à une problématique. Laquelle ? Le récit doit raconter l’objectif dans le contexte défini. C’est donc bien dans une quête que se lance le héros. En formation, la quête est souvent collective (développer l’offre de la société pour s’adapter aux évolutions du marché, par exemple). Elle se trouve confrontée au désir du héros (performer dans son nouveau poste, par exemple). Parvenir à rassembler la quête et le désir individuel permet d’obtenir une histoire particulièrement engageante émotionnellement pour l’apprenant.

Si l’on reprend une fois encore nos aventures pythagoriciennes, l’objectif affiché consiste à donner du sens à une abstraction, dans un contexte d’urgence.

…Qui dit quête dit méthode

Face au problème exposé dans son contexte, le héros élabore un plan d’action : sa méthode de résolution de problème. C’est le cœur de l’histoire. Tous les événements, comme les étapes d’une démonstration, vont s’enchaîner. Leurs conséquences doivent apparaître à l’apprenant comme une voix possible de résolution du problème ou au contraire une solution inopérante, dans un mode Action/Réaction ou Essai/Erreur/Correction.

Revenons à Pythagore. Pour faire face à l’incompréhension et donner du sens (l’objectif), le héros (Monsieur/Madame tout le monde) explore le Net, échoue à maintes reprises avant de trouver ce qu’il cherche : une explication pédagogiquement porteuse de sens qui va l’aider. Ce moment de la découverte est le point d’orgue de l’histoire. Là où le récit bascule vers le dénouement.

4.
Le DÉNOUEMENT

L’histoire touche à sa fin. Le héros est allé au bout de sa quête. Il s’agit de répondre à l’objectif et de présenter les résultats de la méthode mise en œuvre ou, selon les cas, l’impossibilité de trouver une solution. Non, la happy end n’est pas toujours la réponse ! En revanche, le message final doit être positif.

Pour en finir avec nos déboires pythagoriciens, le héros a rempli sa mission et trouvé comment donner du sens. Il finit sur l’explication des conséquences de la réussite de sa quête : l’enfant s’appropriant le savoir

5.
L’ART et la MANIÈRE

analogieC’est bien cette mécanique complète et structurée de construction du récit qui distingue le storytelling de la simple analogie et de la métaphore. Analogies et métaphores peuvent être utilisés en storytelling pour imaginer le scénario. Ces ressorts sont d’ailleurs souvent utilisés en formation.

Toutefois, sans les règles de construction et les principes narratifs que nous venons d’exposer, ils restent la simple illustration d’un propos, un outil au service du storytelling. A ne pas confondre donc…

6.
EXPÉRIENCE APPRENANTE : le CONTE est bon

Le développement et le succès croissant de l’immersive learning (serious game, réalité virtuelle…) ont favorisé le développement du storytelling en formation. Les scenarii des serious game ont vocation à plonger l’apprenant au cœur d’un univers expérientiel bâti sur un schéma narratif doté d’une dimension supplémentaire à l’histoire orale ou écrite : l’interactivité.

Le héros, incarné dans un personnage imaginaire ou dans un avatar réaliste, support d’identification de l’apprenant, va réaliser une quête (résoudre un problème). La résolution de son problème est bâtie de sorte à suivre une logique pédagogique d’acquisition de savoirs et savoir-faire pour atteindre l’objectif pédagogique défini en amont. Le scenario va susciter des émotions propres à renforcer l’engagement, l’attention et la motivation d’apprendre chez l’apprenant.

L’interactivité présente dans ces dispositifs de formation augmente encore l’effet du storytelling : l’apprenant se projette et s’identifie au personnage principal comme dans le cas d’une histoire. De surcroît, il interagit avec son environnement. Les détails, matérialisés par le décor, les personnages secondaires, la musique et le design sonore, constituent toute la richesse du récit et stimulent les capacités cognitives de l’apprenant.

THE END