1.
Pour en FINIR avec l’HOMO ECONOMICUS

2.
Le MODÈLE COMPORTEMENTAL de B.J. Fogg

3.
MOTIVER pour engager l’apprenant

4.
Viser le SEUIL D’ACTIVATION du comportement

5.
De L’ADAPTIVE LEARNING à L’ADAPTIVE TRIGGER ?

Pour RÉSUMER

Une mouche dessinée au fond d’un urinoir ? Bienvenue dans le monde du Nudge, cette théorie dérivée de l’économie comportementale et portée par Richard Thaler, prix Nobel d’économie 2017 et Cass Sunstein, juriste et philosophe américain.

Voici donc que « La mouche et l’urinoir », qui avait tout pour ressembler à une parodie de fable de La Fontaine, prend tout à coup une autre dimension.

Le Nudge (coup de pouce, en français) a pour objectif d’inciter et non de contraindre les individus à adopter le comportement recherché quels que soient les champs d’action ou les activités visés.

Et c’est ainsi que la mouche fit son entrée dans les toilettes des hommes de l’aéroport d’Amsterdam. L’expérience s’est avérée probante dans la mesure où la peinture d’une mouche dans les cuvettes des urinoirs a permis de réduire de 80 % les dépenses de nettoyage des toilettes, en incitant les hommes à « viser juste » en visant la mouche.

Telle est la philosophie du Nudge : préserver la liberté de choix du public cible tout en l’incitant à adopter le bon comportement, qu’il s’agisse d’un comportement écologique, d’une démarche de bonne hygiène de vie, d’un engagement à passer à l’action dans sa vie professionnelle ou personnelle. Nombre de politiques publiques (santé, environnement, civilité…), notamment outre-manche, ont intégré les leviers motivationnels du Nudge.

Aujourd’hui, le concept fait son entrée dans les grandes entreprises pour inciter les salariés à adopter les bons réflexes (économie d’énergie, lutte anti-gaspillage,…). Et en formation : faire adhérer et guider plutôt que contraindre n’est-il pas le meilleur levier d’engagement de l’apprenant ?

Tour d’horizon des méthodes de ce concept né de la recherche en économie comportementale et de leur application à l’apprenant.

1.
Pour en FINIR avec l’HOMO ECONOMICUS

En 2002, Daniel Kahneman reçoit le prix Nobel d’économie pour ses travaux en finance comportementale. Il remet notamment en cause l’homo economicus de la théorie économique classique, cet être rationnel qui prend toujours la meilleure décision au vu de l’ensemble des choix qui s’offrent à lui.

Sur la base de la théorie de Kahneman, Thaler et Sunstein développent la théorie du paternalisme « libertarien ». Ils mettent en évidence l’irrationalité de l’Homme, dont les choix sont guidés avant tout par l’émotion, les désirs et la norme sociale en vigueur à l’instant de prendre une décision. Nous serions ainsi tous soumis à des biais cognitifs qui affectent la rationalité de notre jugement.

Aujourd’hui tout le monde s’accorde à reconnaître la nécessité de se former tout au long de la vie pour faire face aux mutations de l’emploi et des missions engendrées par la digitalisation de la société.

Pourtant passer de l’intention de se former à l’action de formation ne constitue pas une évidence. En témoignent les faibles taux de complétion des MOOCs, les délais de réalisation des modules de formation indispensables à certaines activités, les taux de fréquentation des plateformes LMS ou des bibliothèques de ressources pédagogiques des grands groupes, etc.

Forts de ses constatations, Thaler et Sunstein proposent un concept d’incitation plutôt que de contrainte pour guider l’individu dans les choix ou les changements de comportement qui maximisent l’atteinte d’un objectif individuel, social voire sociétal. Ce concept – qu’ils appellent Nudge ou Coup de pouce – repose sur une architecture de choix propre à laisser, à chaque individu, son libre arbitre, tout en encourageant le bon choix par des messages appropriés, qu’il s’agisse de gamification, de réaffirmation de la norme sociale ou du rappel d’un consensus de groupe.

Explications détaillées en un peu plus de 5 minutes de vidéos :

Mais pour que l’individu consente à adopter le comportement recherché, la motivation et l’engagement sont nécessaires mais pas suffisants.

Encore faut-il que l’individu soit en capacité de réaliser l’action et qu’un événement déclenche son passage à l’acte.

Ces trois piliers ont été mis en évidence par B.J. Fogg, docteur en psychologie et professeur à l’université de Stanford.

2.
Le MODÈLE COMPORTEMENTAL de B.J. Fogg

Motivation, capacité et événement déclencheur constituent donc les trois piliers du passage à l’acte.

Ces trois paramètres doivent être mobilisés de concert (au même moment) pour que l’individu (ou l’apprenant si l’on se situe en contexte de formation) adopte le comportement recherché.

Moins la motivation de l’individu est grande, plus la tâche devra être facile ou le déclencheur puissant (crainte de marginalisation par rapport au comportement du groupe, par exemple). Pour influencer l’action de l’individu, il est donc possible d’ajuster le curseur entre ces trois paramètres au vu de la complexité du comportement cible ou de son caractère plus ou moins engageant.

Cette corrélation entre motivation, aptitude de l’individu et déclencheur a été schématisée par B.J. Fogg dans la figure suivante :

Motivation, capacité (et son corollaire le niveau de difficulté ou le niveau d’investissement) et événement déclencheur de l’action sont des notions qui prennent tout leur sens en formation. Le Nudge trouverait donc sa place en formation, comme l’indique un récent rapport sur la formation professionnelle.

En effet, dans un rapport d’octobre 2017, réalisé par la Fédération Française de la Formation Professionnelle et le cabinet Roland Berger, l’analyse comportementale et le Nudge sont positionnés comme leviers de formation, en développement.

3.
MOTIVER pour engager l’apprenant

En formation, la motivation des apprenants est désormais au centre de toutes les attentions. Gamification, social learning, Learning community management permettent, entre autres, d’engager l’apprenant tout au long de son parcours de formation.

Fogg distingue trois couples de leviers motivationnels susceptibles d’engager l’individu dans une démarche active et volontaire :
le couple plaisir/déplaisir ;
le couple espérance/peur ;
le couple appartenance au groupe/ostracisme.

Gamification : jouer sur le plaisir

Dans un parcours de formation, le levier du plaisir, ou plus modestement de l’agréable, peut être actionné par des éléments de #gamification. La gamification utilise les ressorts du jeu en contexte de non jeu pour favoriser la motivation de l’apprenant dans son parcours d’acquisition de connaissances et de compétences.

La valorisation et le système de récompenses sont des composantes fortes des systèmes gamifiés. Chaque action de formation (réalisation d’un quiz, visualisation d’une vidéo, téléchargement d’une ressource complémentaire…) peut être mise en valeur via un message de félicitations, des applaudissements, une acquisition de badges, le déblocage de bonus ludiques, la progression dans le classement au sein du groupe ou l’accession à un groupe d’apprenants restreints.

L’encouragement fait parti des ressorts du Nudge. D’autant que la plupart des systèmes de gamification pousse l’apprenant à franchir des étapes pédagogiques et à progresser dans le scénario pour franchir des étapes d’acquisition de connaissances ou de compétences. La dimension progrès est également un facteur de motivation.

La surprise constitue également un levier d’engagement de l’apprenant sur la durée. La rupture dans le mode de formation, une modalité inédite placée au bon moment du parcours, la transformation de son avatar par ajout d’un élément valorisant conforte l’apprenant dans son envie de poursuivre et renforce son attention.

Enfin, l’effet collection que l’on peut rencontrer dans certains systèmes de gamification (possibilité de collecter l’ensemble des récompenses, d’obtenir la totalité des attributs de l’avatar, d’accomplir l’ensemble des étapes, en fonction de ses résultats ou de son assiduité par exemple) est susceptible de pousser l’apprenant à compléter et à achever la validation des différents modules.

Social learning : utiliser la norme sociale pour maintenir l’engagement

Le social learning permet d’utiliser la dynamique de groupe au service de l’apprentissage. Il confronte l’apprenant au comportement de ses pairs et tire les bénéfices motivationnels de la collaboration. Il met en relation les efforts de chacun avec la progression du groupe entier.

Il permet de créer un sentiment d’identité. Il existe un outil dans le concept de Nudge, baptisé « primitif d’identité » : « J’appartiens au groupe » implique une participation active.

De façon générale, le Nudge basé sur la norme sociale s’appuie sur la comparaison et l’interaction de l’individu avec ses pairs et sur le sentiment d’appartenance.
Faire partie du groupe, partager ses progrès avec ses pairs, avoir la fierté de publier ses réalisations ou ses progrès sur les réseaux sociaux et remporter l’approbation de des autres apprenants ou de ses mentors est un levier d’engagement puissant. Tout comme la crainte d’être exclu du groupe, de ne pas recevoir de ses pairs la considération attendue joue également.

Mais attention aux effets pervers du Nudge normatif qui pourrait aboutir à la constatation par un apprenant qu’il en fait finalement plus que les autres, qu’il est en avance et qu’il dispose ainsi de toute latitude pour ralentir la cadence ou se laisser aller. Pour éviter cet écueil, le learning community manager doit savoir maintenir l’équilibre des interactions dans la communauté d’apprentissage par des messages et des propositions adéquates.

Learning community management : surfer sur le sentiment d’appartenance

Le learning community manager joue un rôle moteur dans le maintien du sentiment d’appartenance à la communauté d’apprenants. Il nourrit ainsi le besoin d’identité de l’apprenant : chaque apprenant doit retirer de la communauté et de ses contributions, un bénéfice équivalent au temps qu’il y consacre pour éviter l’écueil du sentiment d’en faire plus que les autres.

Nourrir une identité d’apprenant dans une communauté d’apprentissage ciblée peut prendre la forme d’un vocabulaire dédié avec par exemple un qualificatif spécifique appliqué aux membres du groupe : « les managers éclairés », par exemple pour un groupe d’apprenants visant l’accession à un poste d’encadrement

4.
Viser le SEUIL D’ACTIVATION du comportement

Second pilier du modèle comportemental de Fogg, la capacité.

Elle ne se borne pas aux compétences techniques de l’individu. Elle peut recouvrir des facteurs comme le temps à consacrer au comportement cible, les moyens financiers, l’effort intellectuel ou physique, l’attention, la créativité ou la capacité à s’extraire des habitudes et des routines.

Pour chaque comportement souhaité, un niveau minimal de capacité (quelle que soit la (ou les) capacité(s) à mobiliser) est requis et doit être défini en amont.

Ce prérequis représente un seuil d’activation du comportement cible.

Si l’individu, en l’occurrence l’apprenant, ne possède pas la capacité minimale requise, la motivation à se former devra être très élevée pour obtenir un investissement dans le parcours et la montée en compétences. Pour adapter le niveau minimal de capacité avec les profils d’apprenant, le niveau de difficulté pourra être ajusté pour rendre l’expérience d’apprentissage la plus simple et progressive possible. Le Nudge est une méthode des petits pas.

Le temps consacré à la formation pourra être découpé en séquences très courtes pour s’articuler avec l’emploi du temps du groupe d’apprenants. De même, la facilité d’utilisation de la plateforme, son ergonomie et sa convivialité constituent des paramètres à ne pas négliger.

Enfin, l’objectif de la formation devra coïncider avec l’objectif personnel ou professionnel de l’apprenant.

La méthode des petits pas

La méthode des petits pas revient à proposer des activités formatives courtes et de niveau de difficulté très progressives, le tout accompagné d’un découpage du contenu en grains pédagogiques fins.

Ainsi l’apprenant pourra se déplacer sur la courbe d’action du modèle de Fogg plus aisément vers des niveaux de difficultés croissants nécessitant une motivation et un engagement croissants de façon proportionnelle. Si l’on reprend le modèle de Fogg, on peut lui rajouter les briques formations agencées selon une progressivité tout au long de la courbe d’action :

Dans ce contexte, l’ingénierie pédagogique doit être particulièrement fine pour optimiser le découpage des activités pédagogique selon leur niveau de difficulté, leur durée et l’engagement requis. A chaque étape doit correspondre un sous-objectif pédagogique, un contenu et une évaluation. L’évaluation permettra de jouer sur la norme sociale du Nudge et de challenger l’apprenant face à ses pairs.

Le micro-learning permet par exemple aujourd’hui de jouer sur les variables temps (que l’on considère la durée ou le « just-in-time ») et progressivité. Il peut apporter l’opérationnalité à même de replacer en contexte professionnel les connaissances plus théoriques.

De même l’adaptive learning permet de délivrer un contenu formatif adapté au profil et au parcours de l’apprenant.

Ergonomie et convivialité

Aujourd’hui les plateformes LMS, les sites web ou les applis mobiles cherchent à maximiser l’expérience utilisateur pour éviter le découragement ou la déception visuelle et maintenir l’engagement de l’apprenant.

Nous avons tous aujourd’hui accès à une offre de sites ergonomiques, ludiques et esthétiquement plaisants. La facilité d’utilisation et une charte graphique adaptée sont des éléments qui jouent sur l’équilibre dans le couple motivation/capacité. De même que des modules présentant la façon dont les autres apprenants utilisent la plateforme ou des instructions sur l’utilisabilité renforcent le sentiment de simplicité et par là même la capacité de chacun.

L’accessibilité des plateformes et des outils 24/24 doit également être privilégiée pour permettre d’atteindre le seuil d’activation du comportement cible.

Interactions sociales

Là encore le social learning présente de véritables atouts. La communauté apprenante devient prescriptrice pour l’individu via les commentaires laissés, les recommandations de ressources complémentaires, les évaluations des différents contenus. Une démonstration par ses pairs que l’atteinte de l’objectif est réaliste conforte l’apprenant dans sa capacité à suivre la formation et à valider son acquisition de compétences

5.
De L’ADAPTIVE LEARNING à L’ADAPTIVE TRIGGER ?

Troisième et dernier pilier du modèle comportemental de Fogg, le déclencheur (ou trigger en anglais). Une fois que le couple motivation/capacité est ajusté, l’adoption du comportement cible requiert un événement déclencheur.

On distingue généralement trois grands types de déclencheurs :

  • le déclencheur qui agit comme une prise de conscience, un choc à un instant « t » ;
  • le déclencheur qui va augmenter significativement la capacité de l’individu ;
  • le déclencheur qui va jouer sur la motivation.

Quel que soit le déclencheur envisagé, le moment d’utilisation du déclencheur est crucial. Le message qui porte le déclencheur doit être envoyé à l’apprenant au moment le plus opportun et avec un vocabulaire suffisamment engageant pour induire un passage à l’acte. Par exemple, en e-commerce, les pop-up ou les messages concomitants à la visite d’un site marchand peuvent induire l’acte d’achat du consommateur qui s’est arrêté à deux clics du paiement.

SMS, notification push et e-mail

Nous avons tous des mots qui ont pour nous une résonnance particulière. Le parcours de formation est aujourd’hui rythmé par des actions de communication. L’adoption du ton juste et des mots permettant d’entrer en résonnance avec le champ lexical personnel de chaque apprenant peut constituer un déclencheur.

Certains apprenants seront plus sensibles au gain qu’ils peuvent espérer d’une action de formation, d’autres au contraire au risque qu’ils encourent à ne pas se former. En matière de personnalisation des messages, des progrès restent encore à accomplir

Dates butoirs

Les dates butoirs peuvent s’avérer de puissants déclencheurs pour l’apprenant. Elles limitent temporellement le choix et évite, pour certains profils, la procrastination dont nous sommes tous adepte à un moment ou à un autre. Elles peuvent jalonner un parcours de formation pour matérialiser la méthode des petits pas du Nudge.

Avertir l’apprenant qu’il ne dispose plus que de « x » jours pour commencer/achever son parcours peut être payant. Dans les MOOCs, le rendu des projets débute et se termine à des dates imposées afin de mobiliser le participant. Il en va de même pour la correction desdits projets par les pairs.

Responsabilisation

Lier l’action de formation d’un groupe à celle de chacun de ses membres peut également faciliter le passage à l’acte. Ainsi dans les modèles de co-construction de connaissances, insister sur le fait que la défaillance d’un membre de la communauté apprenante pénalise l’ensemble du groupe peut constituer un levier d’engagement.

Mais la responsabilisation peut également viser le manager de l’apprenant. Ce dernier sera plus enclin à se connecter à son espace de formation si son manager direct lui rappelle l’intérêt de suivre la formation, son objectif opérationnel et les modalités d’accès à l’espace formatif.

Au final

A l’heure où l’individualisation des parcours de formation est en plein essor grâce à l’adaptive learning, nul doute que les learning analytics vont ouvrir la voie à des déclencheurs personnalisés.

Pouvoir adresser le message à même d’induire et de pérenniser une démarche de formation à chaque apprenant en fonction de son profil comportemental, de son parcours professionnel, de ses leviers émotionnels et motivationnels n’est sans doute plus si loin.

Pour RÉSUMER

Il n’existe donc pas de recette standard pour tirer profit du Nudge et de l’analyse comportementale. Tout est question d’objectif et de population cible. En formation, adopter la « Nudge attitude », c’est jouer sur l’ensemble des leviers pédagogiques et motivationnels aux moments les plus opportuns du parcours et de la progression individuelle de l’apprenant.

Au-delà d’un objectif de formation et d’un objectif pédagogique, il est intéressant de définir un objectif plus spécifique à l’apprenant, qu’il s’agisse d’un changement de poste, d’une reconversion, d’une prise de responsabilités… De même qu’un objectif au niveau de la communauté d’apprentissage permettra de jouer sur la dynamique de groupe, qu’il s’agisse de challenger les apprenants, d’organiser la co-construction des savoirs, de favoriser le travail en mode projet…

En matière d’ingénierie, la méthode des petits pas préconisée en matière de Nudge induira une architecture pédagogique précise, finement séquencée, avec une multitude d’activités courtes de niveau de difficulté croissant. En matière d’animation de la communauté apprenante, la scénarisation de la communication pour le groupe doit s’articuler avec une individualisation des messages selon les profils d’apprenants, voire de chaque individu grâce aux learning analytics. De même, le format des messages (sms, e-mails, pop-up sur le poste de l’apprenant…) pourra varier selon les pratiques de l’entreprise ou la tranche d’âge des apprenants.

Au-delà d’une théorie, le Nudge constitue sans doute une façon de penser alternative pour toucher le public cible et induire le meilleur comportement individuel et collectif. Des méthodologies qui pourraient s’avérer pertinentes en matière de politique publique pour encourager la formation tout au long de la vie.