Métavers : les nouveaux territoires de formation


C’est l’histoire de Hiro Protagonist, sabreur de renommée mondiale, dernier hacker indépendant, livreur de pizza à ses heures. C’est l’histoire de la naissance sémantique d’un univers parallèle : le Métavers.

« Hiro n’est donc pas vraiment là. Il est dans un univers virtuel que son ordinateur projette dans ses lunettes et ses écouteurs. Dans le jargon d’usage, cet endroit imaginaire s’appelle le Métavers.[1] »

Le « Samouraï virtuel » , roman de science-fiction de Neal Stephenson, publié en 1992, décrit un monde de réalité virtuelle qui côtoie le monde réel et que l’auteur baptise « Metaverse[2] ».


C’est l’histoire de Marc Zuckerberg, qui, en 2021, annonce que Facebook devient Meta et va se concentrer sur le développement d’un univers virtuel persistant. Dès lors, le Métavers devient star médiatique. Ou devrait-on parler DES Métavers, car les univers se multiplient, indépendants, comme autant de planètes d’une galaxie technologique encore empreinte de mystère pour le grand public. En 2022, nombre de grandes entreprises commencent à installer des espaces à leur nom dans les Métavers, les prix de l’immobilier virtuel flambent. Un nouveau monde nous est promis, jusqu’à ce début de l’année 2023 et l’arrivée massive des IA génératives… L’accessibilité et l’utilisabilité immédiate par le grand public des outils d’IA génératives comme ChatGPT ou Midjourney que l’on ne présente plus, ont relégué le Métavers au second plan.

Pour autant, n’enterrons pas trop vite le Métavers qui, augmenté des outils d’IA notamment générative, garde un potentiel expérientiel et engageant unique et une capacité de personnalisation intéressante, notamment en formation. En effet, le Métavers propose des environnements d’apprentissage immersifs et interactifs dans lesquels les apprenants peuvent développer leurs compétences au travers de simulations et co-construire les savoirs, savoir-faire et savoir-être en communauté au travers des interactions de leurs avatars. Et rappelons nous, qu’avant même le buzz word 2022, les univers immersifs de formation (réalité virtuelle, réalité augmentée) sont utilisés depuis de nombreuses années et leur potentiel pédagogique reconnus dans de nombreux secteurs, que l’on parle de défense, de santé, d’aéronautique mais également de formation commerciale ou de soft skills.

De même, si les équipements sensoriels (casques, gants et combinaison haptiques), présentés comme communs et indissociables du Métavers dans le film Ready player one, représentent encore une barrière économique et technologique majeure, un simple écran d’ordinateur permet déjà de passer de l’autre côté du miroir et de bénéficier d’une expérience immersive.

Voyage en immersion dans la pédagogie expérientielle réaliste…

 

1. Changement de décor

Le Métavers est un univers virtuel persistant, en 3 dimensions, dans lequel chaque utilisateur, par l’intermédiaire de son avatar, évolue et interagit avec d’autres avatars et avec des objets numériques.


L’évolution du métaverse est le fruit de progrès technologiques majeurs dans des domaines tels que la réalité virtuelle (RV), la réalité augmentée (RA), la simulation en temps réel et l’IA. Ces avancées ont permis de créer des mondes numériques de plus en plus réalistes et interactifs. Les connexions Internet haut débit sont cruciales pour assurer des interactions en temps réel et une expérience immersive fluide.

Contrairement à Internet, principalement constitué de pages web statiques et d’espaces de discussion, le métaverse offre des environnements interactifs en temps réel plus ou moins réalistes selon leur finalité. Ainsi les environnements de jeux ont-ils moins vocation à reproduire le monde réel que des simulateurs utilisés en formation.

Au-delà d’une composante technique fondamentale, le Métavers permet d’imaginer des expériences immersives et personnalisées à même de créer pour les apprenants un sentiment de présence indispensable en formation à distance. L’apprentissage y est expérientiel et social par des interactions tant avec les autres apprenants qu’avec les experts et formateurs présents dans l’univers virtuel en 3D. L’IA et les learning analytics permettent de personnaliser les situations, les simulations et les environnements en fonction des niveaux, des objectifs mais également des préférences de l’apprenant. Le suivi de la progression de l’apprenant permet de mettre en place des situations de remédiation et de tenir compte des difficultés rencontrées.

Les avantages d’une formation dans un environnement immersif en 3 dimensions se concentrent notamment sur la crédibilité, la sécurité et l’engagement :

  • Simulations crédibles : les collaborateurs s’exercent dans des environnements virtuels qui reproduisent fidèlement leurs lieux, leurs cadres et leurs matériels de travail mais également les situations quotidiennes rencontrées dans le poste et les missions. L’apprenant doit ressentir la cohérence entre situations virtuelles simulées et situations réelles. Il est fondamental que les résultats obtenus lors de l’interaction de l’apprenant avec l’environnement virtuel soient conformes à ce qui se passe dans le monde réel. La formation est ainsi totalement contextualisée et en parfaite adéquation avec les besoins du poste. La montée en compétence est opérationnelle. Les gestes, comportements, actions peuvent être répétées jusqu’à parfaite maîtrise, contrairement à des lieux physiques de production qui ne peuvent être mobilisés durant des heures ou à des lieux physiques d’entraînement qui coûtent plus chers à construire.
  • Formation en toute sécurité : créer des environnements sensibles ou potentiellement dangereux, scénariser des contextes stressants dans un univers virtuel permet de sécuriser la formation en évitant le danger ou les conséquences parfois graves de l’erreur dans le cadre de manipulations ou d’interactions dans le monde réel mais également d’éviter le risque financier d’une dégradation de certains appareils ou matériels onéreux. La réalité virtuelle permet ainsi de concilier réalisme et opérationnalité de la formation et sécurité des personnes et des structures ou infrastructures.

    Les jumeaux numériques (répliques virtuelles et dynamiques de systèmes, de matériels, de processus, synchronisés avec leurs doubles du monde réel pour offrir une représentation en temps réel de leur état) renforcent encore l’expérience et le développement de compétences contextualisé. Prenons l’exemple d’un chirurgien qui s’apprête à réaliser une intervention délicate et peu courante. S’il s’entraîne sur un jumeau numérique de l’organe ou du membre concerné de son patient, il recevra en temps réel les résultats de chacune de ses actions et pourra les adapter, les rectifier, les améliorer… Il en va de même d’un opérateur sur du matériel sensible et onéreux.

  • Engagement de l’apprenant : les situations simulées et réalistes opérées dans un environnement virtuel favorisent l’engagement physique (par la réalisation concrète de gestes ou de postures) et cognitif de l’apprenant tout en éliminant les interférences parasites du monde réel lors des sessions de formation (lecture des mails, notifications en tout genre…).

En outre, les formateurs, les tuteurs ou les experts métiers expérimentés peuvent évaluer de manière objective les compétences des apprenants grâce à des données recueillies pendant les simulations et l’observation des actions durant leur réalisation. Ils peuvent alors intervenir pour corriger un geste, une attitude, une interaction.

Le Métavers permet de former une équipe entière dont les collaborateurs ont des attributions différentes pour mesurer le degré de fluidité de la collaboration et le parfait enchaînement des actions.

Le réalisme de l’environnement, la précision des situations sont des éléments fondamentaux d’une expérience de formation en univers immersif. Mais le plus important reste le sentiment de présence éprouvé par l’apprenant. Un sentiment qui peut varier d’un apprenant à l’autre.

2. Les forces en présence

Si les cas d’usages, les atouts et les possibilités immenses qu’offre le Métavers sont évidentes, le sentiment de présence reste un impératif pour une expérience engageante et efficace de l’apprenant (ou de tout autre visiteur du Métavers). Les chercheurs en sciences cognitives qui ont étudié la perception individuelle des environnement immersifs persistants en 3D définissent la présence comme le sentiment pour un individu de se trouver dans un lieu qui, bien qu’il n’ait pas d’existence réelle mais dans lequel il se sent accueilli, crée l’illusion du réel.

Ce sentiment de présence s’exprime à trois niveaux :

  • Le sentiment de présence de Soi : le réalisme de l’avatar, ses attributs physiques proches de celui de l’apprenant concourent à renforcer la sensation de présence.
  • Le sentiment de présence environnementale : là encore le réalisme du décor, de ses éléments constitutifs, des situations et des sollicitations en temps réel permettent une véritable immersion tout en limitant les perturbateurs d’attention qui seraient induits par un lieu totalement imaginaire ou sans lien avec le contexte de formation.
  • Le sentiment de présence des autres : la fluidité et la richesse des interactions avec les autres apprenants et avec le formateur concourent à crédibiliser l’expérience et à renforcer son engagement et ses apprentissages.

Le sentiment de présence dans le Métavers est indispensable pour permettre à l’apprenant de transférer, dans ses situations professionnelles réelles, les attitudes, décisions, gestes opérées dans le cadre d’un univers virtuel.

L’agentivité

L’agentivité (Agency en anglais) est un concept fondamental du socio-constructivisme. Largement développé par Albert Bandura, psychologue et père du socio-constructiviste, le terme signifie « être agent de ses propres actions ». Il s’agit donc pour l’apprenant de mettre de l’intention dans ses actions de formation en interaction avec son environnement. L’apprenant quitte alors son rôle passif de “réceptacle” d’informations pour se projeter dans une activité d’apprentissage volontaire, plus à même de porter ses fruits. L’agentivité, c’est-à-dire la sensation d’agir efficacement dans cet environnement, est un élément clé de d’une expérience en réalité virtuelle. L’agentivité est liée à la coordination entre les intentions de l’apprenant et les actions observables dans l’environnement virtuel. C’est tout l’enjeu du réalisme de l’avatar, de la crédibilité des situations et de la richesse des interactions sociales.

De l’action à l’énaction

Dans les années 90, des chercheurs ont mis en évidence le lien entre la perception physique et corporelle du monde et la représentation mentale qui en découle. Cette approche, souvent appelée « cognition incarnée », suggère que la cognition humaine est profondément influencée par les interactions de notre corps avec l’environnement. La perception de Soi dans des univers immersifs en 3D repose sur la perception de son corps réel mais aussi de son corps virtuel et de la représentation de l’un par rapport à l’autre. Autrement dit, la perception de Soi dans un avatar est liée à la capacité à relier les propriétés motrices de son avatar à son corps réel. De façon optimale, le corps réel devrait être placé dans la même position que le corps virtuel.

Le neurobiologiste Francisco Varela a contribué à populariser ce concept en parlant d’énaction pour caractériser ce phénomène.

L’énaction met en avant l’idée que nos expériences passées influencent notre comportement présent et orientent nos actions futures. Dans le contexte de l’apprentissage, cela signifie que l’action et l’expérience multi-sensorielle jouent un rôle crucial dans l’acquisition de connaissances et de compétences durables. Le Métavers offre un terrain propice à cette approche car il permet d’engager pleinement les sens de l’apprenant et de favoriser l’interaction avec un environnement virtuel.

Dans le Métavers, les apprenants sont en mesure de mobiliser, de façon plus aigüe que dans un contexte non immersif, leurs sens, leur attention et leur conscience des situations proposées pour acquérir des gestes, des méthodes et des processus qui seraient difficiles à appréhender de manière purement théorique ou dans des situations réelles potentiellement dangereuses ou stressantes.

Que d’émotion !

L’agentivité, l’énaction qui définissent le rôle fondamental de l’engagement du corps dans l’apprentissage favorisent l’émergence d’émotions chez l’apprenant. Or, il est prouvé scientifiquement que l’émotion stimule le cerveau et indique qu’il se passe quelque chose d’important, de remarquable, qu’il convient en tout cas de prendre en compte avec attention.

Les expériences de formation dans le Métavers, dès lors que les situations présentées et l’environnement sont crédibles et scénarisées de façon à atteindre un objectif précis, peuvent susciter l’enthousiasme, la curiosité voire la peur. De même, générer de l’empathie chez l’apprenant dans une situation collaborative favorisera l’action, pouvoir créer de l’anxiété dans une situation d’urgence pourra permettre d’orienter la prise de décision, etc…L’engagement émotionnel résultant de ces expériences immersives renforce la mémorisation et la rétention des informations, favorisant ainsi l’apprentissage.

3. Éviter les pièges

Le Métavers présente de réelles opportunités d’innovation pédagogique mais il n’est pas exempt de défis et de pièges qu’il est essentiel de prendre en compte.

Du côté de l’apprenant, les risques de fatigue cognitive et de sensibilité doivent être considérés. En effet l’utilisation intensive du Métavers peut entraîner une sensation d’épuisement due à une exposition prolongée à des tâches cognitives complexes. Le Métavers sera alors une expérience contre-productive à l’objectif d’apprentissage. Parmi les facteurs de surcharge cognitive potentiels dans le cadre d’une formation dans le Métavers, on distingue :

  • La surcharge d’informations : les univers immersifs peuvent présenter une grande quantité d’informations visuelles, auditives et interactives.
  • Le multitasking : les apprenants peuvent avoir à gérer de multiples tâches et interactions simultanément.
  • La complexité des environnements : les environnements peuvent être complexes, avec de nombreuses fonctionnalités, commandes et interactions possibles rendant la navigation et les déplacements ardus.

Pour atténuer la fatigue cognitive, il est essentiel de concevoir des environnements intuitifs et bien structurés. Des pauses régulières peuvent également être intégrées pour permettre aux apprenants de se reposer.

De même, certaines personnes sensibles sont susceptibles de ressentir des effets négatifs, lorsque d’autres peuvent s’adapter plus facilement aux environnements virtuels. Voici quelques aspects à considérer :

  • Sensibilité au mal des transports : certains utilisateurs peuvent être sensibles au mal des transports en raison des mouvements virtuels dans le métavers, ce qui peut provoquer des nausées et de l’inconfort.
  • Réactions émotionnelles : les univers immersifs peuvent susciter des réactions émotionnelles fortes, qu’elles soient positives ou négatives. Certains apprenants peuvent être plus sensibles aux stimuli émotionnels présents dans le métavers. Et se retrouver déstabilisés.
  • Effets physiologiques : Les effets physiologiques de l’immersion, tels que l’augmentation du rythme cardiaque ou la sudation, peuvent varier en fonction de la sensibilité individuelle.

Il est alors important de permettre aux apprenants de régler leur niveau d’immersion et de fournir des mécanismes pour gérer le mal des transports, tels que des options de déplacement plus douces. Une sensibilisation aux réactions émotionnelles et physiologiques est également importante pour aider les apprenants à gérer leurs réponses.

Sur ces questions de santé mentale dans le Métavers, le point de vue d’une psychologue américaine en un peu plus de 6 minutes de vidéo (en anglais) :

Du côté du service formation, les barrières à l’entrée se concentrent essentiellement sur le coût et la protection des données :

  • les environnements de formation dans le Métavers peuvent se révéler exigeants sur le plan graphique et nécessiter des ordinateurs puissants et des casques de réalité virtuelle coûteux ;
  • de même, la conception de parcours de formation engageants et crédibles nécessitent des ingénieurs pédagogiques aguerris et un temps de production potentiellement accru ;
  • côté protection des données, les quantités de données personnelles recueillies soulèvent des questions sur leur utilisation et leur protection ;
  • ces environnements peuvent être vulnérables aux cyber-attaques, mettant en danger les informations sensibles.

4. Pour conclure

Développer des parcours de formation engageants et pédagogiquement efficaces dans le Métavers impose de réunir tous les éléments qui favorisent une expérience sensori-motrice enrichissante, qui renforce le sentiment de présence et qui facilite le transfert de compétences chez l’apprenant.

Pour résumer, les erreurs à éviter lors de la conception de ces environnements, voici quelques points essentiels :

  • Avant tout, l’environnement virtuel doit être conçu pour soutenir un scénario pédagogique précisément défini à l’avance. Cette étape cruciale permet d’éviter de se focaliser uniquement sur le réalisme des décors et des objets, au détriment de la crédibilité expérientielle nécessaire à l’apprenant pour développer ses compétences.
  • Soigner la crédibilité de l’expérience : il est crucial de faire référence au monde réel pour renforcer cette crédibilité.
  • Adapter tous les éléments de design et de conception (lumière crue, mouvements trop rapides, interactions trop nombreuses…) pour éviter les désagréments sensoriels chez l’apprenant voire une sensation de malaise

Le Métavers est un territoire sans autre limite que l’imagination. Il accélère et sécurise le transfert des compétences acquises en situations de travail réelles. Que ce soit par le biais de serious game pour acquérir des postures, de scénarios de co-activité pour découvrir un métier, de visites en 3D d’un nouvel environnement de travail, de prise en main d’un nouvel outil, ou même de la pratique de gestes spécifiques en situation critique ou dangereuse, les possibilités semblent infinies tant que l’on n’oublie pas que la formation passe par la définition d’objectifs pédagogiques, par une ingénierie adaptée à l’univers simulé et une conception soignée.

  1. Extrait du roman « Le samouraï virtuel », de Neal Stephenson.

  2. Metaverse est le terme anglais, adapté en Métavers en français.