1.
Quitter la SCÈNE et envahir les COULISSES

2.
70/20/10 : INFORMEL first

3.
70/20/10 : ne succombez pas à L’ABRACADABRA PÉDAGOGIQUE

4.
Du HAPENNING APPRENANT à la CONSCIENTISATION des apprentissages

5.
Ce n’est qu’un début…

2017, année de la « Learnability » (entendez « Éducabilité »). Un néologisme en guise de carte de vœux introduit en janvier 2017 lors du forum économique de Davos par Jonas Prising, Président directeur général du groupe Manpower.

L’ « éducabilité », que Jonas Prising définit comme « l’envie et la capacité d’acquérir de nouvelles compétences pour rester dans la course et maintenir son employabilité », est au cœur du défi de la formation tout au long de la vie, par tout moyen (formel et informel) et à tout moment dans un véritable continuum d’apprentissage.

Le formateur devient artisan de cette nécessité d’apprendre voire de désapprendre pour mieux réapprendre. Il lui revient de favoriser, au sein de l’entreprise apprenante, l’articulation entre #apprentissage #formel et #informel au sein d’un véritable écosystème pédagogique.

1.
Quitter la SCÈNE et envahir les COULISSES

  • Longtemps la formation a pris des airs de pièce de théâtre classique :
    une unité de lieu : la salle de formation avec, au mieux, ses tables en U et ses petits chevalets de papiers en guise de générique ;
  • une unité de temps : la journée ou la semaine de formation en salle ;
  • une unité d’action : la transmission d’un savoir descendant du formateur vers l’apprenant.

Internet est en passe de faire tomber les murs de la salle de cours. Les réseaux sociaux, les outils collaboratifs créent des liens constructifs entre apprenants, renversant le paradigme du formateur sachant et l’apprenant simple réceptacle de connaissances. Les #fablabs font tourner les tables et introduisent du concret dans l’apprentissage. Un décloisonnement spatial, temporel, organisationnel dans lequel information, communication et formation se rejoignent pour concourir à nourrir l’apprenant sur un registre moins formel et, de fait, moins formaté.

L’entreprise du XXe siècle a œuvré pour mettre en place les process et structures visant à produire et sécuriser leur connaissance interne. Normes, chartes, procédures, plans de formation constituaient l’alpha et l’oméga de la gestion du patrimoine « connaissances et compétences » des organisations. Cette approche de la connaissance comme objet/produit excluait sans doute la dimension centrale dans la société du savoir actuelle : l’homme, ses rapports à ses pairs et ses mécanismes d’apprentissage. Dans ce contexte, l’acquisition, le partage et la sécurisation de la connaissance relèvent tout autant du sujet et du service (la communauté d’apprenants, guidée par un formateur médiateur des savoirs) que de l’objet et du produit (la connaissance et ses supports). Sans cela, ce capital immatériel de l’entreprise est aujourd’hui voué à la pétrification, excluant toute évolution. Évolution indispensable à l’heure où la concurrence et l’évolution technologique soulèvent de nouvelles questions et un besoin d’adaptation constante des acteurs de l’économie.

« Aujourd’hui la réussite passe par le renouvellement constant de notre stock de connaissances, par captation des bons flux d’informations, sources de compétence pour chacun des individus qu’ils mettent en interaction. Ces flux naissent et se nourrissent d’environnements à même de favoriser une collaboration fluide et performante entre individus. » John Seely Brown, John Hagel et Lang Davidson in « The power of pull », 2012.

D’événementielle, la formation deviendrait-elle enfin permanente ?

2.
70/20/10 : INFORMEL first

Formalisé par Charles Jennings, le modèle 70/20/10 met en lumière la prépondérance des apprentissages informels dans la montée en compétences des individus. Ainsi, 70 % de nos apprentissages relèveraient-ils de l’expérience terrain et de nos pratiques quotidiennes, 20 % de nos interactions sociales avec autrui et 10 % d’opérations de formation structurée et formelle. Au total ce sont bien 90 % de nos apprentissages qui relèvent d’actions de formation non formelles.

Un résumé du modèle 70/20/10 par Charles Jennings en 4’ (en anglais sous-titré)

Saul Carliner définit l’apprentissage informel comme celui qui « rassemble l’ensemble des situations dans lesquelles l’apprenant détermine tout ou partie des procédés, lieux, buts et contenus, de façon séparés ou combinés en ayant conscience ou pas qu’il est en train d’apprendre. »

Un résumé en image réalisé par Jay Cross, spécialiste de l’apprentissage informel, auquel on attribue l’invention du terme « e-Learning ».

Source : Jay Cross – https://jaycross.com/Informal%20Learning%20Poster.jpg

Et parce qu’une petite histoire vaux mieux qu’un bon concept, ce témoignage d’un cadre dans un groupe de service est un exemple simple et parlant de l’apprentissage informel :

« Notre ERP est un labyrinthe de fonctionnalités, dont certaines me servent une fois l’an. La semaine dernière, je devais extraire une liste des supports de procédures à destination d’une typologie particulière de salariés du groupe. Au 4e clic du 3e menu déroulant, je commençais à perdre patience, mains moites et déplacements frénétiques de la souris. Une collaboratrice entre alors dans mon bureau. Mon expression maussade et son air interrogateur me font passer aux aveux sur la raison de mes soupirs. Elle sourit et me propose son aide. 3 clics et une démonstration plus tard, je détenais mon sésame. Non je ne connaissais pas ce raccourci salvateur ! »

3.
70/20/10 : ne succombez pas à L’ABRACADABRA PÉDAGOGIQUE

70/20/10 ne constitue pas une formule magique que l’organisation pourrait appliquer par incantation. Le défi pour chaque structure est de pouvoir intégrer cette part d’informelle dans la stratégie de maintien d’employabilité de ses collaborateurs, dans des dispositifs mixtes au sein d’un véritable écosystème pédagogique. Pour cela elle ne doit pas se contenter d’une simple juxtaposition de moyens mais s’engager dans un processus combinatoire, mettant à disposition de chacun de ses salariés les ressources et outils mais aussi les médiateurs nécessaires à l’acquisition de connaissances et de compétences nouvelles.

L’entreprise doit également distinguer la criticité du besoin d’apprendre de ses collaborateurs, en fonction des profils et de l’évolution des missions. Selon Conrad Gottfredson, chief learning specialist à Ontuitive, le moment le plus critique dans l’apprentissage survient lorsque l’apprenant est confronté à une situation imminente à laquelle il n’est pas préparée. Ce que Gottfredson appelle l’apprentissage « on the spot » (entendez « sur place » ou sur le champ »). Il identifie 5 moments où le besoin d’apprendre se fait sentir, avec des niveaux de criticité variables et croissants du moment 1 au moment 5 (Five moments of needs).

Le détail des 5 moments en image :

Les deux premiers moments où le besoin d’apprentissage se fait sentir (« Apprendre quelque chose pour la première fois » et « approfondir ses connaissances ») s’accommodent particulièrement bien d’un dispositif de formation formel. Il concerne principalement les nouveaux embauchés, les prises de fonction suite à une évolution de poste ou de mission.

Alors que les moments de mise en œuvre immédiate de ses connaissances et compétences demandent des ressources très opérationnelles et mobilisables rapidement. Ainsi, plus le besoin d’apprentissage est crucial est imminent, plus l’entreprise devra-t-elle mettre à disposition de l’apprenant des outils flexibles, accessibles en just in time et focalisé sur l’objectif, avec un accompagnement ciblé. Les échanges avec les pairs et les retours d’expérience peuvent alors se révéler fructueux.

Dans ce contexte, chaque moment suppose un dispositif adapté et spécifique. Le défi est bien celui de la constitution d’un écosystème pédagogique complet, autrement dit d’un environnement :

  • constitué d’une pluralité de ressources pédagogiques (modules e-Learning, liens vers des sites pertinents ou des vidéos Youtube), d’activités formelles (séminaires, par exemple) et informelles (communauté de pratiques, référent technique ou métier dans l’entreprise, par exemple), d’outils de collaboration (Google doc, par exemple) et de communication (social learning : forum de discussion entre pairs, séance de travail avec un tuteur, par exemple) ;
  • architecturé, séquencé et animé en vue de l’atteinte d’un objectif précisément défini d’acquisition et/ou d’actualisation de compétences ;
  • dans lequel évolue une communauté d’individus (apprenants, formateurs, digital learning manager) interagissant entre eux.

Un véritable hapenning apprenant en quelque sorte !

4.
Du HAPENNING APPRENANT à la CONSCIENTISATION des apprentissages

Cet écosystème pédagogique ne se limite pas à un univers de savoirs et savoir-faire formels ou informels offert à l’apprenant via un LMS. Il contient, dans sa structuration et via le formateur agissant en médiateur des savoirs, le processus permettant à l’apprenant d’intégrer les connaissances dans ses schémas de pensée pour les mémoriser et les transférer dans ses activités. Le formateur se doit donc d’apporter les actions de médiation et de remédiation indispensables à cette appropriation par l’apprenant. Il est le médiateur des apprentissages et se doit de favoriser, particulièrement dans les actions d’apprentissage informel, la conscientisation des apprentissages.

Le terme « informel » porte en lui la notion de « non intentionnel », voire de « fortuit » ou « d’opportuniste ». Or, l’intention d’apprendre est déterminante dans la quantité et la qualité de l’apprentissage. Si l’apprenant n’a pas conscience d’être en situation d’apprentissage, la mémorisation des connaissances qu’il acquiert implicitement sera plus compliquée de même que la mobilisation ultérieure et le partage entre pairs de ces savoirs acquis de façon inconsciente. La conscientisation va de pair avec l’engagement de l’apprenant dans sa formation.

Michel Eraut, professeur à l’université du Sussex, distingue 3 niveaux d’apprentissage en contexte professionnel :

  • l’apprentissage implicite, opportuniste et fortuit sans lien avéré avec l’expérience antérieure est difficilement verbalisable ;
  • l’apprentissage réactif, qui, s’il répond d’avantage à une intention de l’apprenant, survient dans l’action à un moment où la réflexion sur l’acquisition de connaissances en cours, ses liens avec l’expérience passée ou les missions futures n’est pas aisée ;
  • l’apprentissage délibéré qui correspond à une démarche volontaire et planifiée et répond à un objectif professionnel clair.

Pour autant ces trois niveaux d’apprentissage ne sont pas exclusifs les uns des autres. Ils peuvent survenir de concert dans une même situation d’apprentissage. La démarche de conscientisation consiste justement à permettre à l’apprenant de réfléchir à ce qu’il a acquis, à le verbaliser pour pouvoir le mobiliser ultérieurement.
Si l’apprentissage est réalisé de façon inconsciente, la mémorisation et la mobilisation de la connaissance acquise sera plus difficile, de même que le partage de cette nouvelle connaissance avec les autres collaborateurs.

Et concrètement ?

Pour aider l’apprenant à prendre conscience de ses apprentissages informels, l’entreprise, le manager, le formateur peuvent lui demander :

  • de décrire les compétences qu’il a acquises dans le cadre d’échanges entre pairs ou d’expériences en situation de travail ;
  • de décrire les difficultés qu’il a rencontrées et la manière dont il les a résolues ;
  • d’expliquer les situations de crise qu’il a gérées ;
  • de formaliser les conseils reçus de son manager ou de collègues expérimentés, etc.

Enfin l’entreprise peut favoriser l’apprentissage informel en créant une véritable culture d’entreprise basée sur la collaboration et l’échange, en évitant tout contrôle de cette forme d’apprentissage. Elle peut encourager le service formation à repenser ses modalités de formation :

  • en intégrant dans l’écosystème pédagogique toutes les ressources en libre accès à destination des collaborateurs éventuellement par profil, par niveaux,
  • en enrichissant les parcours pédagogiques de retours d’expériences, de réflexion sur les savoirs et savoir-faire acquis animés par le formateur.

Le libre accès à des réseaux sociaux d’entreprise, à des forums thématiques peut également favoriser l’apprentissage informel. Les collaborateurs peuvent également être invités, suite à une session de formation, à transmettre ce qu’ils ont appris aux autres collaborateurs.

5.
Ce n’est qu’un début…

La déclaration du PDG de Manpower présentée au début de notre propos, fait écho à un rapport que le groupe a publié dans le cadre du forum économique de Davos 2017, intitulé « The skills revolution ».

Un extrait pour conclure et se convaincre que notre façon d’apprendre, de se former, de désapprendre pour réapprendre doit évoluer. De formel et structuré, l’apprentissage doit devenir notre quotidien.

Source : « The skills revolution », Manpower 2017.

« La révolution des compétences va modifier la valeur que l’on accorde à chaque compétence. Digitalisation et croissance apporteront des opportunités dans les emplois qualifiés, à condition que les organisations et les individus soient prêts. La technologie va remplacer les tâches répétitives pour que chacun puisse s’atteler à des taches non répétitives et remplir plus de fonctions.
Créativité, intelligence émotionnelle et agilité d’esprit sont les compétences qui mettront en valeur le potentiel humain et permettront aux gens de surpasser les robots, au lieu d’être remplacé par eux. Les individus vont de plus en plus se rendre compte qu’ils ont besoin d’augmenter et de diversifier leurs compétences dans de nouveaux domaines. »

Dans cette révolution des compétences, annoncée par Manpower (et bien d’autres acteurs économiques ou politiques), saisir toutes les opportunités d’apprendre en toutes circonstances, sans planification préalable va devenir crucial. L’apprentissage non formel est une des clés de l’acquisition de nouvelles compétences. L’entreprise et la société dans son ensemble se doivent d’accompagner ces mutations.