La notion d’intelligence émotionnelle est née en 1990 dans un article fondateur des psychologues Peter Salovey et John Mayer. Ils définissent l’intelligence émotionnelle comme « la capacité à surveiller ses propres sentiments et émotions, ainsi que ceux des autres, à les discriminer et à utiliser ces informations pour guider ses pensées et ses actions » (Emotional intelligence, imagination, cognition and personality, 1990). L’intelligence émotionnelle n’est pas une découverte nouvelle, la gestion des émotions est une question ancienne, la nouveauté tient plus à la volonté d’utiliser l’émotion pour en faire une performance sociale utilisable dans le monde des entreprises. C’est Daniel Goleman qui a vulgarisé le concept avec son livre sur « L’intelligence émotionnelle » (1995) et sa suite « L’intelligence émotionnelle au travail » (avec Richard Boyatzis et Annie McKee, 2005). La gestion de ses émotions déterminait la performance individuelle au sein des entreprises affirmant même que l’intelligence émotionnelle est plus déterminante que le QI dans la réussite professionnelle.
Mary Helen Immordino-Yang a montré que les émotions ne sont pas périphériques à la cognition, elles en sont le socle. L’émotion est la condition de l’apprentissage. Elle montre que lorsque l’apprenant vit une émotion intense, il active l’amygdale qui agit comme un modulateur de mémoire, il signale à l’hippocampe que ce moment est important, ce qui renforce l’encodage mnésique. Sans cet encodage émotionnel l’information, quoique traité rationnellement, n’aurait pas le même impact mnésique. Cela a une conséquence pédagogique forte : plus l’apprenant est émotionnellement impliqué, plus l’apprentissage devient durable. Un apprentissage émotionnellement neutre, si cela a du sens, comme purement procédural, abstrait, décontextualisé, nécessitera une plus grande technique mnésique pour l’ancrer durablement dans la mémoire. L’émotion réflexive, qui engage une pensée, et pas seulement réactive, elle est essentielle dans l’apprentissage profond.
L’intelligence émotionnelle est une rupture pédagogique qui ne consiste pas à enseigner les compétences émotionnelles aux apprenants, mais à intégrer l’émotion dans la pédagogie. Le danger est de ne pas aller au bout de la rupture. C’est le cas, s’il s’agit de faire de l’intelligence émotionnelle des dispositifs qui demande aux apprenants d’apprendre seul sa vulnérabilité, sa motivation, son stress, sa colère,… s’il s’agit de construire des formations qui émiettent les apprenants et leur mettent la pression pour maîtriser leurs émotions, Philippe Muray parle d’Empire du bien, imposer à chacun de porter la responsabilité de leur bien-être. Pour sortir de ce risque, il s’agit à la formation de faire son travail d’organisation, de construire des communions apprenantes autour de l’intelligence émotionnelle où la parole se libère, les techniques s’expérimentent ensemble pour développer ce que Hartmut Rosa appelle des résonnances collectives. « La résonnance est le contraire de l’aliénation. Elle est cette réponse affective et signifiante que nous recevons du monde lorsqu’il nous parle » (Résonance, 2016).