Impact, un mot en passe d’être relégué au rang de ponctuation tant nous l’usons à force d’en abuser ? Véritable baromètre de nos intentions, actions et réactions, nous le drapons de la toge de la vertu alors que bien souvent le roi est nu !

Quelles preuves tangibles de cet impact que nous prônons puis revendiquons ? Et pour qui ? Dans le flot ininterrompu de la communication 4.0, le mot « Impact » est devenu un mot-valise, vidé d’objectifs clairs, indispensables corollaires à toute mesure, qui ne sert plus qu’à valoriser, dans un discours marketing, le résultat d’actions dont on ne sait évaluer la réelle portée.

A qui la faute ? A personne sans doute et donc à tout le monde de fait.

Le portrait sémantique est un peu violent, mais il veut souligner la responsabilité collective qui nous incombe de redonner un sens à l’action en général et à l’action de formation en particulier. Et ce sens retrouvé se mesure par « l’impact » objectivé.

En digital learning comme en formation en général, s’assurer d’un impact (l’adjectif « positif » étant sous-entendu en la matière) commence par définir le mot, puis formaliser, pour l’ensemble des parties prenantes, des objectifs clairs et des attentes précises, identifier des leviers pour y parvenir et lever les freins potentiels, pour, in fine tenter de mesurer. La mesure du résultat d’une action qui touche avant tout à l’humain, à son environnement tant personnel que professionnel, qui agrège de multiples facteurs, s’exprime, au-delà du quantitatif, qui, s’il est précieux tant il permet de rationnaliser et de comparer, ne saurait être suffisant.

S’attarder sur le terme permet de passer du chic du buzzword au choc de la définition. Car si le Larousse définit, dans une de ses acceptions, l’impact comme étant une influence, il en donne également une autre acception, celle plus originelle du choc. Et c’est bien sous ces deux angles, le choc et l’influence que nous tenterons d’envisager la problématique de chaque partie prenante au regard principalement de l’efficacité (l’atteinte d’un objectif) et lorsque nécessaire de l’efficience (l’allocation optimale des ressources pour atteindre un objectif) des actions de formation engagées.

Pour un rappel sur la différence entre efficacité et efficience, concepts importants dans une mesure d’impact, 4 minutes d’une vidéo proposée par Xerfi Canal.

Quant aux parties prenantes, du digital learning et plus généralement du développement des compétences, l’apprenant constitue (ou devrait-il constituer) le centre du dispositif techno-pédagogique et de la mesure d’impact. Apprenant qu’il ne faudrait toutefois pas ramener au statut d’un Robinson Crusoé sur son île, accompagné d’un vendredi formateur à ses heures (synchrones ou asynchrones) et de quelques cocotiers connectés pour tout environnement.

L’apprenant est aussi le collaborateur d’une entreprise soumise à l’impératif de rentabilité, de développement et de compétitivité. Il est encore un actif qui évolue dans une société organisée et régulée. Il est enfin un individu avec ses contraintes personnelles et ses leviers propres de motivation… Dans ce contexte, le manager, le service RH et le service formation, l’entreprise comme entité économique voire la société toute entière sont parties prenantes, à des degrés divers, avec des objectifs propres et des contraintes spécifiques du développement des compétences individuelles et collectives et responsables de l’impact associé aux actions déployées.

1. L’impact individuel : la quête du Graal ?

Parlons de vous, l’apprenant. Avez-vous des rêves d’évolution professionnelle, de savoir-faire nouveaux qui ré-enchantent votre quotidien ? Des envies de devenir le prochain Steve Jobs ou plus simplement d’utiliser les fonctions Excel sans déranger le datas analyste toutes les 10 minutes ? Mais voilà, entre les réunions, les projets aux délais si minces qu’ils frisent l’anorexie et l’impératif de vous former si vous ne voulez pas voir l’alternante prendre votre poste dans 6 mois, le développement de vos compétences dont on vous parle chaque année comme à ressembler à une légende urbaine.

C’est donc dans cette quadrature du cercle, que s’inscrit la définition des objectifs de l’apprenant et de l’impact individuel et collectif de la formation.

Se former c’est se transformer. Au niveau individuel, l’impact recherché s’exprime dans la transformation qui permet à l’apprenant de passer, de façon efficace (atteindre l’objectif) et efficiente (atteindre l’objectif sans nuisance sur sa productivité au quotidien, sur sa confiance en soi, sur sa motivation…), d’un stade A de compétences à un stade plus avancé B applicable en situation de travail. L’impact sera donc évalué sur ces objectifs définis avec précision pour chaque apprenant.

Quels indicateurs pour mesurer l’impact individuel ?

  • Coté efficience :
    • taux d’engagement : complétion, mesure de l’interaction des apprenants avec le contenu, avec l’expert formateur, mais aussi les pairs ;
    • feedbacks des apprenants sur :
      • l’adéquation du parcours avec ses attentes et ses besoins… et son emploi du temps ;
      • l’expérience globale de formation ;
      • les perspectives d’application rapide des acquis en situation de travail.
  • Côté efficacité :
    • score aux évaluations formatives et sommatives ;
    • croissance de la performance au quotidien :
  • mobilisation pertinente des compétences acquises en situation de travail ;
  • gain de productivité (réduction du temps de réalisation d’une tâche, augmentation du taux de transformation des deals commerciaux, diminution des réclamations clients…) et d’aisance (autonomie accrue avec une diminution constatée des sollicitations extérieures pour accomplir une mission, proactivité pour améliorer les process, innovation…) sur des tâches précisément identifiées en amont de la formation ;
  • confiance dans sa capacité à réussir et à évoluer professionnellement…

Pour optimiser l’atteinte des objectifs et dégager une évaluation d’impact positive, l’apprenant devra bénéficier d’un soutien techno-pédagogique (via un ensemble de fonctionnalités de la plateforme mais également d’un accompagnement humain bienveillant et stimulant) et si possible d’un parcours adapté à son profil, à ses acquis antérieurs, à sa disponibilité…

Si l’impact désigne à la fois le choc et l’influence, le choc pour l’apprenant peut résider dans le conflit socio-cognitif qui suppose de se confronter au doute et à l’incertitude, à l’inconfort de déconstruire ses schémas de pensée, de rencontrer des résistances et des désaccords dans la communauté apprenante ou avec l’expert formateur pour développer de nouvelles compétences. L’action pédagogique, parce qu’elle promeut le conflit socio-cognitif comme levier de développement individuel et collectif, peut par une animation à distance bienveillante et stimulante de la communauté, aider à dépasser cet inconfort, en comprendre l’intérêt et développer de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être.

L’influence bénéfique d’un parcours à même de challenger l’apprenant dans sa démarche de désapprendre pour réapprendre est soutenue par une individualisation du parcours. Cette individualisation est un atout pour maximiser l’engagement, la complétion mais également les résultats de l’apprenant. L’adaptive learning et le développement des IA et des IA génératives facilitent l’individualisation des parcours en mesurant les niveaux de départ, en ajustant les contenus et en procédant à des remédiations de premier niveau si nécessaire ou en poussant le niveau de difficulté pour éviter l’ennui et le désengagement de l’apprenant.

L’indicateur global d’impact côté apprenant pourrait ainsi être un indicateur de transformation individuelle, calculé par une pondération des sous-indicateurs cités précédemment en fonction de leur importance dans l’atteinte de l’objectif et du profil de l’apprenant. Ainsi calculé, on peut obtenir une évaluation sur le court ou moyen terme pour une formation donnée. L’évaluation de l’impact individuel à long terme supposerait une intégration de la mobilité de l’apprenant dans l’entreprise ou à l’extérieur et nécessiterait de prendre en compte des méta-indicateurs basés sur l’ensemble des formations réalisées sur une période donnée.

Les avancées de l’IA permettent aujourd’hui d’analyser de gros volumes de données à la fois quantitatives mais également qualitatives. Les IA génératives peuvent analyser des verbatims et en sortir des scores d’intérêt, de confiance, de recommandation… L’intérêt d’utiliser ces IA génératives dans ce cadre réside dans la nécessité d’avoir définis et priorisés très précisément les besoins et les attentes. Un investissement temps et réflexion que l’on ne réalise généralement pas.

Cette mesure de l’impact individuel est un indicateur crucial avant de passer à l’échelle sur l’impact collectif sur l’équipe et organisationnel sur l’entreprise.

2. Le manager, acrobate sans filet ?

La vie du manager est un numéro d’équilibriste, jongleur, acrobate. Il doit garder en suspension les projets, les objectifs, les clients internes ou externes et les faire atterrir dans un filet troué tout en dansant sur le fil des délais et des budgets et en gardant un œil sur le syndrome du crocodile[1] dont la cage ne ferme plus.

Et pourtant, le manager a un rôle crucial à jouer en tant que catalyseur du changement (que l’on parle de nouvelles compétences ou de l’adoption du digital learning sur des populations habituées au présentiel) et facilitateur de la formation au sein de leurs équipes. En ce sens, il concoure à maximiser l’impact individuel et collectif du digital learning et de la formation en général. Mettre son rôle d’équilibriste en équation pour l’intégrer dans la mesure d’impact n’est pas simple, mais il pourrait pourtant constituer une variable d’accélération positive de l’Impact avant de devenir une véritable constante d’efficacité et d’efficience des parcours en digital learning.

Ses actions concrètes pour booster l’impact ? Expliquer, argumenter et convaincre

Qui n’a jamais rencontré un apprenant qui ne savait pas pourquoi il suivait la formation sur laquelle il avait été inscrit ? Former ses équipes pour développer les savoir-faire, performer sur les projets et favoriser l’innovation constitue une responsabilité managériale majeure trop peu souvent valorisée par la direction générale. De là, découle souvent une dé-priorisation de la formation dans les équipes opérationnelles et un traitement expéditif de la stratégie de gestion des besoins en compétence dans l’équipe. Et in fine, certains apprenants se voient imposer des formations sans bien en comprendre la raison. Évaluer l’impact individuel de la formation dans ce contexte laisse entrevoir un piètre résultat lorsqu’il va s’agir de mesurer l’atteinte des objectifs, d’évaluer la qualité de l’expérience de l’apprenant et les compétences acquises avec si peu de motivation. Et de là en calculer l’impact collectif de la formation sur la performance de l’équipe.

Un accompagnement du manager sur la dimension formation de son poste est un investissement qui peut se révéler rentable à court terme. Le service RH ou un cabinet conseil peut alors analyser l’environnement et la charge de travail de l’équipe, les objectifs et les impératifs en termes de savoirs, savoir-faire et savoir-être et préconiser les parcours de formation les plus alignés avec les besoins.

Pour donner une dimension business à la mission formation du manager, des indicateurs d’impact peuvent se révéler incitatifs pour le manager :

  • plutôt que par exemple, la mesure de la performance commerciale avant-après (forcément multifactorielle), il est préférable de prendre des indicateurs plus resserrés (évolution du nombre d’entretiens de découverte ayant permis de décrocher un rendez-vous, nombre de vente additionnel dans le mois suivant la formation…),
  • plutôt que par exemple, l’évolution du turn-over très large, on peut chiffrer l’évolution du nombre d’arrêts maladie de courte durée dans les semaines suivant la formation ou le taux de participation aux événements d’équipe.

On peut également imaginer mesurer le gain de temps lors d’un passage de la formation présentielle au digital learning et intégrer cet indicateur dans le calcul de la mesure d’impact global. Il est aussi intéressant d’intégrer les objectifs formation aux objectifs globaux de l’équipe. Certaines entreprises vont jusqu’à intégrer la formation des collaborateurs comme objectif individuel du manager donnant lieu au déblocage d’une partie de sa rémunération variable.

La valeur de l’exemple : en parallèle et pour favoriser l’adhésion de l’équipe aux projet formation, le manager devrait lui-même parvenir à se dégager du temps pour se former (et on peut ici remonter au manager du manager). Il peut partager ses expériences de formations et les valoriser auprès de l’équipe.

La sécurité du collectif : favoriser les projets d’apprentissage collectif constitue également un levier d’investissement des apprenants dans leur formation et donc un potentiel levier d’impact de la formation. Concernant spécifiquement le digital learning, un accompagnement pour la prise en main de la plateforme peut se révéler efficace sur des publics peut habitués au digital en général et à la formation en ligne en particulier.

Le just in time : intégrer des parcours de micro-learning en just in time pour maximiser l’effet formation au bon moment sur la bonne thématique et encourager à appliquer les bonnes pratiques ainsi acquises immédiatement puis en faire un retour d’expérience.

L’indicateur global d’impact du digital learning pour le manager pourrait être un indicateur de création de valeur (pour éviter l’indicateur de performance portant exclusivement sur les aspects business et inclure les aspects de motivation et d’engagement de l’équipe, de créativité et d’innovation).

3. Le service formation : qui a cassé la baguette magique ?

C’est au service formation qu’il revient généralement d’analyser et de présenter les impacts des actions de formation et du digital learning. Exercice difficile s’il en est, surtout si les formations ne correspondent pas à des besoins réels et précisément définis, si elles n’ont pas été mises en avant par les managers, elles ne correspondent pas à la culture de l’entreprise, elles ne s’adaptent pas à la disponibilité des équipes…

Imaginons le pire. Le directeur général de l’entreprise TIMPRO revient d’un colloque avec des étoiles dans les yeux : « Nous allons transformer l’entreprise et devenir une entreprise apprenante. C’est bon pour notre image et le board veut un engagement RSE. J’ai trouvé une plateforme sur laquelle on peut suivre tous les modules à des tarifs bien plus intéressants que toutes les formations qu’on a mis des semaines à déployer jusqu’à présent. On va inscrire tout le monde… »

6 mois plus tard, c’est le flop ! Sans communication, sans analyse de besoins ni définition d’objectifs précis pour les équipes, inutile de mesurer l’impact puisque, passé la première semaine et quelques heures de connexion, personne n’a dépassé le premier module censé transformer tous les collaborateurs en gourou de l’intelligence artificielle en 40 minutes de vidéo. On salue au passage Sam Altman[2] ; qu’il se rassure, si le danger doit venir de l’externe ce ne sera pas de TIMPRO.

Ce défaut d’impact peut-il être imputé au digital learning ? Pourtant en termes d’efficience économique, on était bien parti : un tarif défiant toute concurrence pour des parcours accessibles à tous, en permanence. Mais voilà, efficience n’est pas efficacité. Le service formation est en première ligne pour défendre son budget et définir les clés et les indicateurs de réussite et d’impact des formations. Il est aussi et surtout garant des leviers du succès :

  • personnalisation des formations au contexte de l’entreprise, aux besoins des collaborateurs et aux attentes des managers
  • opérationnalité des formations pour une acquisition de compétences immédiatement mobilisables en situation de travail
  • qualité techno-pédagogique des formations pour des parcours en ligne engageants et rythmé
  • dialogue avec les manager pour dégager le temps nécessaire au développement des compétences.

Côté indicateurs d’impact pour le service formation, on pourrait par exemple imaginer :

  • le coût de déploiement des parcours en digital learning par rapport au coût de déploiement des formations en présentiel cible à cible et à objectif comparables ;
  • le nombre de collaborateurs formés en distanciel par rapport à celui formé en présentiel ;
  • le temps d’intégration du digital learning dans la stratégie formation ;
  • le temps de gestion administrative des formations digitales par rapport au temps de gestion administrative des formations présentielles ;
  • la satisfaction des managers et des collaborateurs formés…

L’indicateur global d’impact pour le service formation pourrait ici être, compte tenu de l’angle digitalisation de la formation, un indicateur d’optimisation.

4. Pour finir

L’impact est question d’objectifs. L’objectif varie selon la partie prenante considérée. Le seul objectif que l’on peut appliquer partout est le développement des compétences individuelles des collaborateurs de l’entreprise.

Dans ce contexte est-il pertinent d’évaluer l’impact du digital learning ? Ou pourrait-on mesurer non pas un impact mais des impacts en fonction des priorités de l’entreprise, de la partie prenante considérée ?

L’impact en digital learning est un sujet complexe, à aborder sous de nombreux angles. Aussi avons-nous réuni dans ce dossier, les grands acteurs qui font le marché du digital learning aujourd’hui pour nous éclairer sur cet aspect passionnant qui constitue la véritable finalité et l’intérêt de notre métier. Nous souhaitons qu’ils enrichissent vos réflexions et guident vos décisions comme ils guident les autres tout au long de l’année.

  1. Le syndrome du crocodile décrit l’obsolescence des compétences mesuré par l’écart constaté entre les compétences maîtrisées par un collaborateur et leur adéquation au poste à un instant « t ».

    Plus l’écart se creuse au vu des mutations organisationnelles, techniques, humaines, plus le besoin de formation devient crucial, avant d’atteindre un point de non-retour. Ces écarts successifs ont été formalisés comme autant de paliers à ne pas franchir, par Dominique Bouteiller, chercheur canadien sur les thématiques de la formation et de l’emploi dans un article intitulé « le syndrome du crocodile et le défi de l’apprentissage continu ».

  2. CEO d’Openai, créateur de ChatGPT, à l’heure où nous rédigeons ce billet.