La révolution Internet démontre chaque jour un peu plus la relativité de la notion d’espace/temps. Dans cette économie mondialisée, les organisations productives agissent et réagissent en temps réel. Dans ce contexte, la connaissance fait plus que jamais figure de moteur essentiel de l’innovation et de la création de valeur propre à assurer la croissance et la survie de l’entreprise.
C’est donc bien de capacité d’apprentissage organisationnel dont il est ici question. L’aptitude de chaque entreprise à apprendre et à réagir, à tirer les leçons de ses erreurs et à mettre en place les infrastructures propres à acquérir, à transformer les savoirs et à capitaliser sur leur exploitation serait ainsi un levier majeur de l’innovation.
Acquérir la connaissance, l’intégrer dans l’organisation puis la transformer en facteur de production reposent notamment sur une notion largement développée en économie de la connaissance : la capacité d’absorption. A la fois préalable et corollaire de l’apprentissage organisationnel, la capacité d’absorption d’une organisation passe à la fois par ses collaborateurs, par son organisation et par ses outils et méthodes.
Dans ce processus d’apprentissage organisationnel, la fonction RH représente l’acteur clé capable de fluidifier les processus de captation, de diffusion et de gestion des connaissances au sein de l’entreprise. Stratégie de recrutement, gestion des emplois et des compétences, politiques de rémunération et dispositifs de formation et de partage de connaissances sont autant de leviers actionnables par le service RH.
1.
Pour planter le décor…
Depuis une vingtaine d’années, la capacité d’absorption est considérée comme un facteur majeur d’innovation des entreprises et des organisations. Elle est un élément qui à la fois concourt et se nourrit des mécanismes d’apprentissage organisationnel.
Elle représente le processus qui permet aux équipes (notamment de R&D) de faire émerger des idées nouvelles et pertinentes et de les mettre au service de la créativité et de l’innovation pour assurer la croissance de l’entreprise sur son marché.
Définition
La capacité d’absorption a été définie pour la première fois en 1990 par deux théoriciens du management William Cohen et Daniel Levinthal. Elle correspond selon eux à l’aptitude d’une organisation à identifier la valeur d’une information nouvelle, à l’assimiler et à l’exploiter à des fins commerciales.
Quelques années plus tard, Shaker Zahra et Gerry George, professeurs et spécialistes de l’entrepreneuriat raffinent le concept en y adjoignant une étape supplémentaire de transformation de l’information. Cette étape constitue, selon eux, un maillon indispensable entre la phase d’assimilation de l’information et la phase d’exploitation identifiées par Cohen et Levinthal.
Prérequis
La capacité d’absorption ne se décrète pas. De façon générale, cette capacité d’absorption dépend :
- des connaissances antérieures déjà détenues au niveau individuel et collectif et utilisées dans l’entreprise. La maîtrise de ces connaissances antérieures est un préalable aux connaissances nouvelles à acquérir : Quel est mon marché ? Qui sont mes clients ? Qui sont mes concurrents ? Quelles sont les technologies utiles et/ou émergentes sur mon marché ?
- et des dispositifs mis en place au sein de la structure pour faciliter la circulation de l’information et de l’expertise : stratégie de recrutement, dispositifs de formation, mobilité et possibilité d’évolution dans l’entreprise, gestion des compétences, politique de rémunération.
Le processus d’apprentissage d’une entreprise peut être rapproché de celui des individus. Le niveau des acquis, l’expérience antérieure impactent l’acquisition de connaissances et de compétences organisationnelles nouvelles. Tout comme l’individu progresse dans sa zone proximale de développement, l’organisation accroît ses connaissances et compétences collectives de proche en proche en intégrant de nouveaux collaborateurs, en mixant les équipes entre anciens et nouveaux embauchés et entre profils différents.
Mais l’organisation progresse aussi en acquérant des connaissances externes, par la création de partenariats avec d’autres structures (joint venture, intrapreunariat, incubation de start-up en interne…) ou par la réalisation de travaux de recherche avec des universités…
2.
Identifier, transformer, exploiter : les 3 piliers de la capacité d’absorption
Les récentes études s’entendent sur 3 grandes phases présidant à la capacité d’absorption d’une organisation :
- une première phase exploratoire visant à identifier l’information comme utile à l’entreprise dans sa démarche de production et d’innovation ; phase que l’on peut divisée en 2 étapes : le repérage de l’information et son appropriation ;
- une deuxième phase de transformation de l’information en connaissance ; l’information est digérée et articulée avec les connaissances existantes pour être internalisée et enrichir le stock de connaissances disponible ;
- une troisième phase d’exploitation de la connaissance qui lui permet de devenir un facteur de production à part entière au même titre que le travail ou le capital et aboutit à la mise sur le marché d’un produit ou d’un service nouveau.
Ces différentes phases mettent en œuvre :
- des facteurs internes à l’entreprise : les connaissances déjà présentes dans la structure, les contacts des équipes avec les clients ou l’écosystème industriel de l’entreprise ; les capacités organisationnelles à piloter la circulation de l’information et à gérer la montée en compétences des collaborateurs, la taille de l’entreprise et l’inertie afférente, les investissements dans la recherche et le développement ;
- des facteurs externes à l’entreprise : l’environnement de marché ; la concurrence et la position de l’entreprise sur son marché, l’appétence personnelle de chaque collaborateur à s’informer et à se former en dehors de toute incitation organisationnelle.
Phase 1 : Où sont vos « gatekeepers » ?
L’entreprise a intérêt à capter les informations présentes sur son marché pour consolider sa position et continuer à innover. La phase exploratoire de la capacité d’absorption revient donc :
- à identifier les informations pertinentes disponibles dans l’environnement de l’entreprise, autrement dit :
rechercher l’information par des lectures, des échanges entre pairs, dans des groupes de travail ou dans des colloques…
juger de la valeur d’une information ; cette opération est liée à l’expertise du collaborateur et à l’actualisation permanente de ses connaissances ;
qualifier la source comme crédible ; - et à les interpréter pour en déterminer la valeur d’usage en interne, ce qui nécessite de contextualiser l’information (objectif, destinataires, type d’information) et de la raccrocher à des connaissances déjà maîtrisées en interne.
La mission d’acquisition de l’information (pour le lancement d’un nouveau projet notamment) peut être portée par des collaborateurs disposant de connaissances préalables avérées sur le sujet et identifiés comme personnes ressources en matière de veille. On les appelle parfois les « knowledge gatekeepers », parce que, comme le portier (gatekeeper en anglais), ils sont là pour filtrer l’information et laisser entrer dans l’entreprise celle qu’ils jugent pertinente au regard du projet, de la stratégie de l’entreprise… Ils jouent donc un véritable rôle d’interface entre l’organisation et son environnement extérieur.
Au niveau organisationnel, institutionnaliser leur rôle et reconnaître la valeur de leur mission peut faciliter leur implication dans la démarche et le partage des résultats de leur veille avec l’ensemble des collaborateurs concernés par le projet.
L’appropriation de l’information dans l’organisation, seconde étape de la phase d’exploration, passe par la mise en place de process de formalisation de l’information et de décryptage de son contenu.
Phase 2 : Les métamorphoses
La phase de transformation permet de passer de l’état d’information à l’état de connaissance mobilisable par les collaborateurs. Elle représente la capacité pour l’organisation à articuler de façon cohérente et pertinente l’information nouvelle avec ses connaissances déjà utilisées, à remettre en question les connaissances antérieures, à les recombiner au regard des nouvelles informations pour faire émerger de nouvelles connaissances. Un processus que l’on pourrait résumer par : apprendre, désapprendre et réapprendre.
C’est dans cette phase que peut s’exprimer la supériorité de l’entreprise sur ses concurrents. L’information étant désormais, le plus souvent, accessible à tous, la pertinence du traitement de cette information peut faire la différence. La mise en place d’outils au service de cette phase (base de données pour stocker les informations, process de coordination des experts et constitution de groupes projets pluridisciplinaires, formation des collaborateurs) constitue une réelle valeur ajoutée.
C’est dans l’échange entre experts métier que ces connaissances nouvelles confrontées aux connaissances plus anciennes vont prendre une dimension concrète. Leur utilité dans le cadre du lancement d’un nouveau produit, d’une nouvelle offre, d’un enrichissement de l’existant va alors être reconnue. Les outils de social learning peuvent ici se révéler efficace pour enrichir les échanges et imaginer plusieurs usages à une connaissance.
Phase 3 : la connaissance comme facteur de production
Une fois l’information identifiée, assimilée puis internalisée et transformée en connaissance, vient la phase de son exploitation commerciale.
C’est donc ici l’étape de l’application concrète de la connaissance. Trouver une application à cette connaissance et l’utiliser reposent sur la créativité des individus et le rôle d’animation d’espaces de co-création porté par l’organisation. La mise en place de communautés d’apprentissage pluridisciplinaires est un atout pour injecter la connaissance recombinée de façon originale ou innovante dans la conception d’un produit, d’un process ou d’une offre.
Mais partager les mêmes connaissances n’est pas une condition suffisante d’atteindre un objectif productif. L’organisation doit favoriser le partage de valeurs communes et communiquer clairement les objectifs. Le capital humain se doit d’être renforcé d’un capital social et d’un capital organisationnel. C’est dans ce cadre que la fonction RH peut pleinement jouer un rôle moteur.
3.
Le rôle des RH dans la capacité d’absorption
La capacité d’absorption sous-tend la dynamique d’apprentissage organisationnel de l’entreprise par la mise en place de process et outils d’internalisation de l’information. De même l’apprentissage organisationnel nourrit et favorise la capacité d’absorption en créant une routine d’acquisition et d’exploitation de la connaissance.
L’humain en capital
Au cœur de cette dynamique de gestion des savoirs, l’individu est moteur dans la récolte d’information. L’organisation, pour sa part, s’applique à mettre en œuvre les leviers nécessaires à la transformation de cette information en connaissance et l’exploitation de cette connaissance à des fins commerciales.
Il existe donc un capital humain (somme des connaissances et compétences d’un individu), un capital social (ensemble des relations sociales à même de favoriser la coopération et la co-construction des savoirs) et un capital organisationnel (ensemble des règles et process formalisés de l’entreprise) qui se combinent et se complètent pour permettre à l’entreprise de tirer, des connaissances acquises, un avantage concurrentiel.
La fonction RH est au cœur du système de gestion des ces 3 composantes qui, rassemblées, constituent ce que les chercheurs en théorie des organisations appellent le capital intellectuel. Ce capital intellectuel est donc la somme des connaissances rassemblées et utilisées par une organisation dans son processus productif.
Recrutement, formation, évolution : les leviers d’engagement individuel au service de l’apprentissage organisationnel
Favoriser l’identification des informations utiles à l’entreprise passe avant tout par une proactivité des collaborateurs et une culture de l’apprentissage fortement implantée dans l’organisation. Cette culture de l’apprentissage peut être impulsée par l’enrichissement du capital humain :
- formation des collaborateurs identifiés comme gatekeepers potentiels, aux techniques de veille,
valorisation de l’échange entre collaborateurs : on sait bien que la machine à café permet de tisser du lien social favorable au partage informel d’informations, - mise en place d’ateliers de créativité pour favoriser l’ouverture d’esprit et aller détecter des informations a priori anodines ou hors contexte mais qui peuvent devenir source d’inspiration pour les projets de l’entreprise ;
- recrutement de profils diversifiés et multiplication des échanges entre nouveaux embauchés et anciens,
mobilité interne qui favorise une vision plus large des contraintes de différents services et une ouverture plus large sur les sujets traités dans l’entreprise, donc une recherche d’informations qui peut s’avérer plus fructueuse.
Dans la phase de transformation de l’information, le capital social et le capital organisationnel deviennent plus importants dans la mesure où l’internalisation des informations va passer par les échanges plus formels et traçables au sein de l’organisation. Capitaliser sur les informations identifiées et intégrées nécessite de pouvoir les stocker pour les réutiliser en temps voulu.
Ainsi les bases de données vont-elles être enrichies. Le réseau social d’entreprise ou l’Intranet peut laisser un espace d’expression à une communauté apprenante, animée par le service formation et les managers concernés. Chacun va tisser des liens forts au sein du groupe. Ces liens bâtis dans la durée et entre pairs vont favoriser la coopération basée sur la confiance à la fois individuelle mais également sur la confiance envers l’entreprise. Transformer le savoir informel en connaissances formelles repose sur des formations centrées sur l’action et la coopération, plus que sur des modules théoriques.
Enfin dans la phase d’exploitation, le travail en mode projet va marier les compétences individuelles pour potentiellement faire naître une compétence collective.
Les besoins de formation vont être sans doute très ciblés et se présenter à un moment précis du projet. Le besoin de réactivité du service formation pour proposer une formation répondant précisément au déblocage d’un problème sur le projet va être crucial. De même, la résolution du problème rencontré peut passer par le recrutement d’un profil d’expert sur des compétences non encore intégrées dans l’entreprise.
En matière d’apprentissage organisationnel et de capacité d’absorption, la fonction ressources humaines a donc une mission à remplir. Une vision stratégique de la GPEC et un plan de développement des compétences en adéquation avec stratégie fixée par la direction générale constituent un gage de succès pour faire de l’entreprise une organisation apprenante.
4.
Décloisonner l’apprentissage
Dans cette stratégie désormais incontournable de l’apprendre en tout temps et tout lieu, au fil des projets comme dans les missions quotidiennes de tous les collaborateurs, la formation doit être ancrée dans la stratégie globale de l’organisation apprenante. Cette démarche d’apprentissage organisationnel ne peut plus se contenter des modes traditionnels de formation très formels qui définissent un temps, une durée fixe et un programme précis. Elle doit explorer des horizons plus vastes pour donner du sens à toutes les expériences au sein de l’entreprise mais également dans le parcours personnel de chacun.
Un cas d’application pour développer la capacité d’absorption du département formation : La Digital Learning Academy
Au sein de la Digital Learning Academy nous sommes convaincus que décloisonner les temps et les lieux de formation passe par une vision 360 de l’ « Apprendre » et de l’ « Apprendre à Apprendre ». La veille que nous réalisons et que nous structurons chaque semaine, les angles originaux des articles que nous publions chaque mois, les temps d’échanges que nous organisons régulièrement sur des sujets en phase avec les avancées des modes d’apprentissage mais également des découvertes scientifiques en matière de « neurolearning » constituent des briques à part entière des nouvelles modalités de formation qui émergent aujourd’hui. Ils permettent de forger ou de conserver un avantage concurrentiel dans un monde en perpétuel mouvement. L’apprentissage en situation de travail est un levier fondamental de transformation du savoir et de la connaissance en facteur de production si tant est qu’il est analysé et conscientisé dans les équipes. Cette mise en perspective opérationnelle des compétences et des connaissances constitue au sein de la Digital Learning Academy un objectif majeur de nos activités de curation et de conseils d’accompagnement dans la structuration d’une stratégie de formation en ligne avec notre vie connectée et la mondialisation de l’économie. Au cœur de notre ambition, nous souhaitons placer la mise en oeuvre de synergies entre tous les modes d’apprentissage qu’ils soient individuels, collectifs ou organisationnels, pour créer un véritable écosystème apprenant. Ce service est un accélérateur de la capacité d’absorption des équipes des départements formation.
Du gatekeeper à l’UGC
Ainsi l’émergence, dans certaines entreprises, de profils « User Generated Content » autrement dit de collaborateurs prêts à partager le fruit de leurs apprentissages avec leurs pairs s’inscrit-elle dans cette logique de captation de l’information, de digestion par l’individu, de qualification et d’assimilation par l’organisation puis de transformation en outil de production à des fins d’exploitation commerciale.
Pour rappel l’UGC (User Generated Content) est un collaborateur qui diffuse, à l’aide d’une courte vidéo ou d’un podcast enregistrés via son smartphone, ou encore d’un bref résumé sur un média communautaire de l’entreprise, le fruit de sa veille, un retour d’expérience, un entretien client ou fournisseur, un benchmark… Tous les éléments de son apprentissage personnel qu’il a identifiés comme étant un savoir ou un savoir-faire recherché par ses pairs ou par l’organisation tout entière.
A la fois gatekeeper et formateur, il entretien le cercle vertueux de l’apprentissage au quotidien. Pour encourager cette démarche individuelle, utile au collectif, l’entreprise se doit de valoriser son rôle et de mettre à sa disposition les outils de communication internes facilitant le partage, la discussion et la co-construction. Elle se doit également de l’aider à qualifier sa curation, de l’accompagner dans ses recherches en favorisant les espaces d’échanges informels en interne comme en externe.
5.
Pour finir…
La formation « tout au long de la vie », ne peut plus se calquer sur le modèle scolaire d’un savoir totalement formaté et formel, dispensé par un sachant tout puissant. Mais l’informel, l’apprentissage sur le poste de travail, l’échange entre pairs, la co-construction et le mentorat se heurtent encore à un obstacle économique majeur : leur quantification en heures, en nombre d’apprenants, en budget alloué… C’est donc bien une démarche globale et une vision 360 de la stratégie d’acquisition et production de savoirs nouveaux et de la gestion de compétences que les organisations doivent mettre en place pour favoriser la capacité d’absorption et l’apprentissage organisationnel