Volatilité, Incertitude, Complexité, Ambiguïté, les quatre dimensions du concept VUCA désormais célèbre, décrivent avec justesse l’environnement dans lequel évoluent aujourd’hui les organisations. La nécessité de composer avec une instabilité généralisée qui se manifeste sous diverses formes : instabilité politique et législative, turbulences économiques (l’impact des crises politiques, sanitaires sur la vie des organisations…), ruptures technologies successives (l’avènement des IA génératives après le développement du web qui a impacté les modes de communication, de production et de commercialisation) et défis de la mondialisation (l’interconnexion des marchés et la concurrence à l’échelle de la planète), est avérée. Pour répondre à ces nouveaux paradigmes, l’anticipation, l’agilité, la réactivité et la résilience constituent des leviers de développement et de pérennité de l’entreprise.

Pour une vision claire du principe VUCA en moins de 10 minutes, une explication de David Vallat, enseignant-chercheur à l’Université Claude Bernard Lyon 1, tirée du MOOC ORA sur le management des connaissances et l’apprentissage organisationnel :

Face à ces défis, les organisations doivent se doter de capacités d’adaptation et d’innovation sans précédent. Les ressources humaines et les services formation deviennent alors un puissant vecteur de performance organisationnelle. Ces départements assurent (ou du moins devraient-ils assurer) une mission vitale : soutenir l’activité de l’entreprise par la connaissance et la compétence. Pour répondre à cet enjeu, la formation continue apparaît comme une solution incontournable. Toutefois, pour que la formation deviennent un des bras armés de la croissance, elle doit s’inscrire dans une culture plus large de l’apprentissage organisationnel, basée sur l’échange et la collaboration.

Nous vous proposons d’explorer les actions concrètes pour initier et développer une learning culture dans l’entreprise. Mais avant de passer au concret, nous avons choisi de balayer rapidement quelques théories de l’apprentissage organisationnel à même de légitimer les décisions et partis-pris que vous adopterez.

1. Rôle models

Rôle models

Le développement d’une learning culture dans une organisation repose sur une appropriation d’un socle théorique posé par nombre de chercheurs. Ces théories fournissent une base solide pour concevoir et mettre en œuvre des initiatives d’apprentissage qui répondent aux besoins de l’entreprise. Vous trouverez un résumé des contributions de quatre théoriciens majeurs : Peter Senge, Chris Argyris et Donald Schön, Albert Bandura et plus récemment Adam Grant.

Ces présentations succinctes constituent des clés d’entrée dans les théories des organisations pour pouvoir approfondir en fonction des orientations et des objectifs de votre entreprise.

Peter Senge, l’incontournable

Sans doute l’un des auteurs les plus connus de la théorie des organisations, Peter Senge est reconnu pour ses travaux sur la pensée systémique et l’apprentissage en équipe. Au travers de ses 5 disciplines, il met en avant l’importance de :

  • susciter l’envie d’apprendre au niveau de l’individu pour nourrir l’apprentissage collectif (Discipline 1 : la maîtrise personnelle),
  • favoriser l’esprit critique et la remise en question pour favoriser l’innovation (Discipline 2 : la révision des modèles mentaux)
  • s’assurer que tous les collaborateurs possèdent une vision commune des objectifs et des moyens (Discipline 3 : vision partagée)
  • fluidifier l’échange entre pairs et avec les managers en animant des communautés de partage et de pratique (Discipline 4 : apprentissage en équipe)
  • aborder les problèmes dans leur globalité que ce soit en interne dans l’organisation mais également en considérant l’organisation dans son environnement (Discipline 5 : pensée systémique)

Ce processus basé sur les 5 disciplines peut sembler très ambitieux. L’idée n’est pas de développer toutes les disciplines concomitamment mais bien d’adapter et de prioriser les actions à son niveau de maturité organisationnelle. Pour rester modeste, une interview de Peter Senge pour Sol France en moins de 4 minutes :

Argyris et Schön, boucles d’or

Chris Argyris et Donald A. Schön ont introduit le concept d’apprentissage en simple et double boucles, dans lequel les organisations apprennent à non seulement corriger leurs erreurs, mais aussi à remettre en question et modifier les sous-jacents qui conduisent à ces erreurs.

Pour une présentation plus fouillée des théories de l’apprentissage développées par Argyris et Schön, l’extrait (moins de 10 minutes) d’un module présenté par l’ESSEC, sur le sujet :

Albert Bandura, le Bobo

Albert Bandura, psychologue canadien et figure de proue du socio-constructivisme, est largement reconnu pour ses travaux sur l’apprentissage social et le concept d’agentivité. L’agentivité se rapporte à la capacité des individus à être les agents de leurs propres actions, en prenant une part active et intentionnelle dans leur développement. L’apprenant n’est plus simplement un réceptacle passif de savoirs, mais devient un acteur proactif, engagé dans une démarche de développement de ses compétences et connaissances en interaction avec son environnement.

Bandura a également mis en avant l’importance de l’apprentissage par observation, où les individus apprennent en observant les actions des autres et l’impact de ces actions. Ce type d’apprentissage, appelé apprentissage vicariant, permet à chacun de développer des compétences et des comportements en observant des modèles au sein de leur environnement social.

La co-construction des savoirs, découlant de l’agentivité, diffère de la simple collaboration. Dans ce cadre, chaque apprenant contribue activement et intentionnellement à l’atteinte d’un objectif commun, tout en reconnaissant que le résultat final est le produit des efforts collectifs du groupe. Il existe donc une agentivité collective, où la somme des contributions individuelles crée un apprentissage et un développement plus riches et plus complets.

Albert Bandura résumé en moins de 5 minutes de vidéo :

A cet instant, vous vous demandez sûrement pourquoi avoir affublé Bandura d’un qualificatif de Bobo. Bobo est le nom d’une expérience sur l’acquisition de comportements par imitation. En l’occurrence, dans cette expérience, un adulte s’appliquait à frapper une poupée, nommée Bobo, devant un enfant. Si l’expérience vous intéresse, vous trouverez, sur YouTube, nombre de ressources la détaillant.

Adam Grant, le lauréat

Adam Grant, professeur à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, est un psychologue organisationnel largement primé pour ses travaux sur la résilience, l’innovation et la culture organisationnelle.

Une des idées centrales de Grant réside dans l’importance de la sécurité psychologique et de l’apprentissage collaboratif dans les organisations. La sécurité psychologique, selon Grant, est le sentiment partagé par les membres d’une équipe qu’ils peuvent prendre des risques interpersonnels sans craindre des répercussions négatives. Cela signifie que les employés se sentent libres de s’exprimer, de poser des questions, de faire des erreurs et d’apprendre de celles-ci sans peur d’être jugés ou punis. Les collaborateurs doivent se sentir en sécurité pour prendre des risques et admettre leurs erreurs sans crainte de représailles.

Grant met également en avant l’idée que la collaboration et le feedback constructif sont essentiels pour favoriser un environnement d’apprentissage continu. Il prône une culture où les employés s’encouragent mutuellement, partagent leurs connaissances et s’entraident pour surmonter les défis. Cette approche collaborative et de soutien mutuel est cruciale pour construire une organisation apprenante.

En résumé, à quoi servent ces role models ?

Les concepts développés par Senge, Argyris et Schön, Bandura et Grant peuvent servir de lignes directrices pour élaborer des stratégies d’apprentissage adaptées, mesurables et efficaces.

2. Pourquoi miser sur la learning culture ?

Une culture d’apprentissage solidement ancrée au sein de l’organisation constitue un levier d’innovation, d’amélioration continue des process et des produits ou services, de réactivité face aux chocs exogènes… Elle ne se contente pas de répondre aux besoins immédiats de formation, mais elle pose les bases d’une infrastructure solide pour l’innovation, l’engagement des collaborateurs et l’amélioration continue.

Innovation et agilité

L’innovation est souvent citée comme l’un des principaux moteurs de la compétitivité. La learning culture favorise l’expérimentation et la proposition de nouvelles idées. Dans une telle culture, l’échec n’est pas stigmatisé, mais vu comme une étape nécessaire dans le processus d’apprentissage et d’amélioration.

Quel role model ? Adam Grant insiste sur la sécurité psychologique, qui permet aux employés de se sentir en sécurité pour prendre des risques sans peur de représailles. Il encourage également la mise en place de réseaux de défis pour favoriser l’innovation collaborative.

Un exemple ? Google est un modèle emblématique de cette approche. La célèbre « règle des 20 % », permet aux employés de consacrer une partie de leur temps de travail à des projets personnels innovants. Cette culture de l’expérimentation a conduit à des innovations majeures telles que Gmail ou Google maps. En créant un espace d’innovation, Google a su non seulement innover, mais aussi attirer et retenir des talents créatifs.

Engagement et fidélisation

L’engagement des collaborateurs est directement lié à leur satisfaction et à leur sentiment de développement professionnel. Une culture d’apprentissage offre des opportunités constantes de croissance, ce qui peut améliorer la motivation et réduire le turn over.

Quel role model ? Peter Senge met en avant l’importance de la vision partagée et de la maîtrise personnelle. En développant une vision commune et en encourageant les employés à maîtriser leurs compétences, les entreprises peuvent augmenter l’engagement et la rétention.

Un exemple concret ? La transformation culturelle de Microsoft du « Know it all » au « Learn-it-all » qui a profondément modifié les mentalités en permettant à chaque collaborateur d’apprendre des autres sur des sujets d’intérêt personnel ou professionnel. Ce programme a renforcé l’engagement des salariés en les dotant d’outils et de ressources adaptés à leur développement personnel et professionnel.

Amélioration continue

L’organisation apprenante entretient un cercle vertueux d’amélioration continue des process, méthodes et fonctionnement. Ce parti-pris contribue à la qualité de service et à l’efficacité organisationnelle.

Quel role model ? Chris Argyris et Donald Schön, avec leur concept de d’apprentissage en double boucle, encouragent les organisations à se remettre en question et corriger leurs erreurs pour progresser.

Un exemple concret ? Toyota utilise le principe du Kaizen, ou amélioration continue, pour impliquer tous les collaborateurs dans le processus d’optimisation des pratiques de travail. Chaque employé, quel que soit son niveau hiérarchique, est ainsi encouragé à proposer des améliorations et à mettre en place de petits changements au quotidien, permettant à la firme japonaise des gains significatifs en termes de productivité et de qualité.
Ce processus continu permet à l’entreprise de perfectionner sa gestion, d’augmenter sa productivité, d’améliorer ses produits et d’accroître sa rentabilité.

Toyota cultive une culture dans laquelle chaque salarié se sent responsable de la qualité et de l’innovation.

Ruptures technologiques

Les technologies évoluent à un rythme effréné, rendant obsolètes les compétences et les connaissances d’hier. Dans ce contexte, les entreprises doivent continuellement adapter les savoirs, savoir-faire et savoir-être de leurs collaborateurs aux nouvelles technologies et méthodes de travail.

Quel role model ? Adam Grant souligne l’importance de la sécurité psychologique pour encourager les employés à apprendre et à s’adapter aux nouvelles technologies sans crainte de l’échec.

Un exemple concret ? Face aux mutations constantes dans les domaines de l’intelligence artificielle, du cloud computing et de la cybersécurité, IBM a mis en place une stratégie de formation continue appelée « Think Academy ». Le programme Think Academy est conçu pour offrir aux employés d’IBM une formation continue et accessible sur les technologies émergentes et les compétences nécessaires pour les maîtriser :

  • Modules de formation en ligne
  • Ateliers pratiques pour appliquer ses connaissances dans des environnements de travail simulés et sécurisés où l’erreur est une composante majeure de la progression individuelle et collective.
  • Mentorat et coaching dans lesquels des experts internes guident les collaborateurs dans leur apprentissage et leur développement professionnel.

Cette approche proactive est considérée comme un véritable levier de compétitivité et permet de lutter contre l’obsolescence des compétences dans un environnement d’apprentissage serein et accompagné.

Pénurie de talents

La pénurie de talents qualifiés constitue un autre défi majeur. Avec des compétences spécifiques de plus en plus recherchées, les entreprises peinent souvent à trouver les bons profils sur le marché du travail. Cette situation est exacerbée par la concurrence intense pour attirer les meilleurs talents. En développant une learning culture, les entreprises peuvent former et promouvoir les talents internes. Les programmes de développement des compétences et de mentorat favorisent la mobilité interne et réduisent mécaniquement le besoin de recruter à l’extérieur.

Quel role model ? Peter Senge met en avant la pensée systémique et l’importance de développer une vision partagée qui motive et engage les employés à développer leurs compétences.

Un exemple concret ? En 2019, Siemens a débloqué un « Fonds pour le futur » doté de 100 millions d’euros, destiné à financer, sur 3 ans, des qualifications aidant à répondre aux grandes évolutions structurelles. Contrairement aux formations existantes, ce sont les salariés qui choisissaient leurs projets. Chaque département ou service était invité à évaluer ses besoins en matière de formation pour faire face à la digitalisation et à déposer un projet.

En résumé, la résilience par la learning culture

Les bénéfices tangibles d’une learning culture pour une organisation sont nombreux et variés. Ils incluent une plus grande capacité d’innovation, un engagement accru des employés et une amélioration continue des processus. Les entreprises s’outillent ainsi pour répondre aux défis actuels et affronter les évolutions futures, assurant leur compétitivité et leur résilience à long terme.

3. Et concrètement ?

S’il y a bien une chose à retenir, c’est que Rome ne s’est pas faite en un jour ! Devenir une organisation apprenante prend du temps et nécessite des efforts concertés et une approche stratégique. Les services formation et RH jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre de pratiques spécifiques qui encouragent et soutiennent une learning culture.

En s’appuyant sur les théories d’Adam Grant, Peter Senge, Chris Argyris et Albert Bandura, voici quelques stratégies concrètes et applicables pour développer une culture de l’Apprendre dans l’organisation.

Sécurité et bienveillance

Quel concept clé ? La sécurité psychologique d’Adam Grant. Elle est essentielle pour créer un environnement dans lequel les collaborateurs se sentent à l’aise pour prendre des risques et apprendre de leurs erreurs sans peur de représailles.

Quelques actions possibles :

  • Formations sur le leadership et communautés de pratique pour amener les managers à partager leurs erreurs, les leçons apprises et leurs retours d’expérience. Ces sessions peuvent inclure des discussions ouvertes et des jeux de rôle.
  • Feedback régulier et constructif dans lesquelles les employés sont encouragés à formuler et recevoir des critiques constructives. Cette pratique peut s’appuyer sur des outils de feedback 360° pour collecter des points de vue variés.
  • Séances « Ask Me Anything » (AMA) régulières au cours desquelles les salariés peuvent poser des questions aux managers sans crainte de jugement. Ces sessions favorisent un climat de transparence et de confiance.
  • Programmes de récompenses de l’innovation qui peuvent inclure des prix pour les « meilleures idées » ou des « expériences les plus audacieuses » même lorsque les résultats ne sont pas immédiatement positifs.

Autonomie et responsabilité

Quel concept clé ? La Discipline 1, maîtrise personnelle de Peter Senge. L’autonomie est essentielle pour motiver les employés à apprendre et à s’engager dans leur propre développement. La responsabilité individuelle et collective est encouragée pour stimuler l’apprentissage en continu.

Quelques actions possibles :

  • Parcours d’apprentissage personnalisés qui laissent les salariés choisir les compétences qu’ils souhaitent développer. Utiliser des plateformes d’apprentissage en ligne pour proposer une variété de cours et de modules adaptés aux différents besoins et intérêts favorisent l’apprentissage, dans une démarche ATAWADAC (Anytime, Anywhere, Any Device, Any content).
  • Programmes de mentorat et de coaching avec définition d’objectifs de développement personnel. Les séances de coaching régulier peuvent responsabiliser les collaborateurs dans la gestion de leur propre progression.
  • Mise en place de temps dédiés à la montée en compétences individuelle et collective en accord avec le manager.
  • Évaluations de compétences pour identifier les lacunes et définir des plans de développement personnalisés. Les entretiens réguliers entre managers et collaborateurs sont cruciaux pour identifier les aspirations professionnelles et établir des objectifs clairs.

Feedback et réflexivité organisationnelle

Quel concept clé ? Le concept d’apprentissage en double boucle d’Argyris et Schön, aux termes duquel les organisations apprennent non seulement à corriger leurs erreurs, mais aussi à remettre en question et modifier les normes et politiques sous-jacentes.

Quelques actions possibles :

  • RETEX (retour d’expérience) où les employés peuvent analyser des situations passées, identifier les hypothèses sous-jacentes et proposer des modifications aux normes et process existants.
  • Forums modérés sur lesquels les employés peuvent discuter des défis organisationnels et proposer des solutions, favorisant un environnement de transparence et de dialogue ouvert.

Innovation et expérimentation

Quel concept clé ? L’expérimentation au travers de laquelle Adam Grant encourage les organisations à remplacer les « meilleures pratiques » par des « pratiques meilleures » pour entretenir un cercle vertueux de recherche et développement au service de l’innovation.

Quelques actions possibles :

  • Programmes d’innovation au sein desquels les employés peuvent proposer et tester de nouvelles idées. L’organisation doit alors allouer des ressources et du temps pour ces initiatives, et récompenser les contributions innovantes.
  • Laboratoires d’expérimentation dans lesquels les équipes peuvent tester de nouvelles méthodes et technologies sans les contraintes des processus habituels. Utiliser les résultats pour enrichir les pratiques à l’échelle de l’entreprise.
  • Principes « Disagree and Commit » qui promeuvent une culture où les différences de points de vue voire les désaccords sont encouragés, mais où les décisions sont respectées une fois prises. Cela permet aux équipes de prendre des risques calculés et d’apprendre des échecs sans craindre des répercussions négatives.
  • Itérations rapides grâce à une approche agile des projets, avec des itérations rapides et des cycles de feedback fréquents. Cela permet d’ajuster les stratégies en temps réel et d’intégrer les leçons apprises.

Apprentissage social

Quel concept clé ? La co-construction des savoirs et l’apprentissage par imitation de Bandura.

Quelques actions possibles :

  • Sessions de brainwriting, dans lesquelles les salariés exposent leurs idées par écrit, avant de les partager avec le groupe. Cette technique permet d’éviter la domination des discussions par quelques personnes seulement et favorise la diversité des idées.
  • Plateformes de collaboration en ligne, wikis, outils de travail collaboratif pour faciliter l’échange d’idées et de connaissances.
  • Mentorat par les pairs par lequel les collaborateurs les plus expérimentés peuvent guider et conseiller leurs collègues moins expérimentés. Encourager les échanges de bonnes pratiques et les discussions sur les difficultés rencontrées.

4. Quels obstacles à surmonter ?

L’organisation apprenante ne se décrète pas, elle se construit, parfois dans la douleur. Divers obstacles peuvent entraver le processus. Comprendre ces obstacles est une première étape d’amélioration continue pour développer sa stratégie de learning culture.

Résistance au changement

La résistance au changement est l’un des obstacles les plus courants. Collaborateurs et managers peuvent être réticents à adopter de nouvelles pratiques de travail, d’échange, de collaboration, d’apprentissage, par crainte de l’inconnu ou de l’échec, par volonté de garder le pouvoir et de ne pas partager l’information…

Que faire ?

  • Impliquer les leaders : les leaders doivent montrer l’exemple en sponsorisant la démarche et en s’impliquant dans les initiatives visant à favoriser une culture de l’Apprendre. Leur engagement peut inspirer et motiver les collaborateurs à suivre le mouvement.
  • Former à la gestion du changement : proposer des formations sur la gestion du changement peut faciliter l’identification des bénéfices individuels et collectifs de l’organisation apprenante et aider à surmonter les peurs.
  • Communiquer : Communiquer clairement et régulièrement sur les objectifs (oui, il est impératif d’avoir définis des objectifs clairs et mesurables) et les avantages des initiatives d’apprentissage. Impliquer les salariés dès le début du processus et répondre à leurs questions et préoccupations.

Manque de ressources

Les contraintes budgétaires et les agendas surchargés sont autant de freins à l’adoption d’une learning culture dans l’entreprise. A budget contraint et temps restreint, créativité et méthode se révèlent de bons alliés.

Que faire ?

  • Prioriser les investissements : identifier les actions les moins coûteuses (en temps ou en argent selon la problématique du moment) qui peuvent avoir le plus fort impact et prioriser les investissements dans ces domaines. Une entreprise dans laquelle tous les seniors sont présents depuis longtemps et approchent de l’âge de la retraite pourra miser sur l’extraction d’expertise et le Knowledge management, par exemple.
  • Nouer des partenariats externes : rechercher des partenariats avec d’autres entreprises positionnées sur un segment de marché connexe, par exemple pour faire de l’échange croisé d’expertise. Négocier des interventions d’experts métiers avec vos fournisseurs, plutôt que de négocier un rabais. Ces partenariats peuvent offrir des solutions de montée en compétences et de veille de haute qualité, à moindre coût. Pour les entreprises les plus ouvertes à l’innovation et l’échange, proposer, à des partenaires, des échanges temporaires de collaborateurs pour enrichir mutuellement les pratiques.
  • Utiliser la formation à distance : tirer parti des technologies d’apprentissage en ligne et des plateformes de digital learning permet d’offrir des formations flexibles et plus accessibles.

Culture organisationnelle rigide

Une culture organisationnelle rigide, qui valorise le cloisonnement et une structure hiérarchique forte, peut freiner l’implantation d’une learning culture. Dans ce cas, les actions correctives seront d’abord l’affaire de la direction générale qui doit donner l’exemple. Si les dirigeants ont conscience du potentiel d’une learning culture, les services RH peuvent alors, dans un second temps et après communication et soutien des dirigeants, agir en bras armé de l’organisation apprenante.

Que peut faire la direction ?

  • Promouvoir l’innovation : encourager l’expérimentation, dédramatiser l’erreur, utiliser des récits de réussite pour montrer comment des propositions originales ont conduit à des améliorations concrètes.
  • Introduire une flexibilité : instituer, dans chaque équipe et sous la direction du manager de proximité, des temps dédiés à l’échange, à l’expérimentation, à la formation. Par exemple, des « demi-journées d’apprentissage » où les salariés peuvent se concentrer sur le développement de nouvelles compétences et récompenser les comportements des managers et des collaborateurs proactifs en la matière sous la forme de certifications, de primes, de promotions…

Manque de soutien et d’adhésion des managers

Sans le soutien actif des managers, les initiatives d’apprentissage formelles ou informelles risquent de ne pas être prises au sérieux ou d’être mal mises en œuvre.

Que faire ?

  • Engager les managers dès le début : impliquer les managers dans la conception et la mise en œuvre des programmes d’apprentissage ou d’innovation puis recueillir systématiquement leur feedback.
  • Mettre en place des indicateurs permettant de mesurer l’impact de l’apprentissage et des compétences dans l’atteinte de leurs objectifs opérationnels
  • Suivi et responsabilité : Intégrer des objectifs d’apprentissage dans les évaluations de performance des managers pour les responsabiliser quant à la promotion et au soutien des initiatives de formation au sein de leurs équipes.

Conclusion

Surmonter les obstacles à l’instauration d’une culture d’apprentissage nécessite une approche stratégique, concertée avec la direction de l’entreprise. En abordant la résistance au changement, en optimisant les ressources, en adaptant la culture organisationnelle et en assurant le soutien des managers, les entreprises peuvent créer un environnement où l’apprentissage continu est valorisé et encouragé. Les services formation et RH jouent un rôle crucial dans ce processus, en mettant en œuvre des stratégies efficaces et en adaptant les pratiques pour surmonter ces défis.

5. Quelle mesure d’impact ?

Mesurer l’impact et le succès des initiatives au service de la learning culture est crucial pour garantir que les efforts déployés par les services formation et RH portent leurs fruits. Cela permet également d’ajuster les stratégies en fonction des résultats obtenus et d’optimiser les investissements en formation.

Indicateurs de performance (KPIs)

Les indicateurs de performance permettent de quantifier l’efficacité des initiatives d’apprentissage et de démontrer leur valeur ajoutée.

Quels indicateurs suivre ?

  • Turn-over : suivre le taux de rétention avant et après la mise en œuvre d’action en faveur de la learning culture pour évaluer leur impact sur la fidélisation des employés.
  • Engagement : suivre le NPS[1] (Net Promoter Score) pour évaluer l’engagement global et son évolution dans le temps et s’appuyer sur des sondages pour mesurer plus finement le niveau de satisfaction des salariés.
  • Productivité : analyser les indicateurs de productivité pour voir si la mise en place de programmes dédiés à l’apprentissage en continue dans l’entreprise a conduit à une amélioration des performances. Cela peut inclure des mesures telles que le nombre de projets terminés, la qualité du travail et le respect des délais.

Feedback des collaborateurs

Leur feedback est essentiel pour analyser l’efficacité des programmes au service de la learning culture, du point de vue des participants.

Quels outils ou process mettre en place ?

  • Enquêtes de satisfaction après chaque événement lié au développement des compétences, au partage de savoir, à la réflexion entre pairs… pour en mesurer la pertinence et l’impact perçus.
  • Entretiens individuels pour recueillir des verbatims et pour approfondir les feedback reçus et comprendre les attentes en matière de développement de compétences que ce soit en matière de thématiques, de modalités ou d’environnement de travail.

Cartographie des compétences

Une cartographie des compétences de l’organisation, régulièrement actualisée, permet de mesurer l’adéquation des savoirs, savoir-faire et savoir-être aux défis qui se présentent et d’évaluer l’impact sur moyenne ou longue période des actions mises en œuvre que l’on parle de formation ou d’apprentissage informel.

Comment procéder ?

  • Évaluations de compétences individuelles : mettre en place des évaluations régulières sous forme d’assessment ou d’évaluation par les pairs ou les managers avec des grilles critériées et co-construites par équipe ou département pour mesurer l’acquisition de nouvelles compétences par les collaborateurs. Utiliser des outils d’évaluation en ligne facilite ce processus.
  • Cartographie des compétences de l’organisation : utiliser des tableaux de bord pour suivre les compétences à l’échelle de l’entreprise. Ces tableaux de bord peuvent aider à identifier les lacunes en matière de compétences et à adapter les programmes de formation en conséquence.

Analyse des projets

L’analyse des projets regroupe non seulement les projets proprement dits mais également par exemple, les réponses à appel d’offres gagnés et surtout perdus, les distinctions et prix reçus. Il s’agit ici de prendre une photo instantanée des compétences mobilisées pour évaluer la pertinence des politiques d’apprentissage formelles ou informelles et identifier si des innovations et des améliorations concrètes ont été apportées au sein de l’organisation.

Il est difficile de définir ici des plans d’actions génériques tant les indicateurs et les retours d’expérience doivent être contextualisés et adaptés à l’entreprise. En revanche, il est possible de donner quelques pistes en cas de projets avortés, d’appel d’offres perdu…

  • Formaliser des procédures et systématiser les temps de RETEX pour analyser au cours de ces séances, la part d’échec attribuable à un manque de compétences, de veille, d’innovation.
  • Mesurer le nombre d’heures de dépassement sur un projet pour identifier la part imputable à un manque de fluidité dans la collaboration, à une absence de compétences, à un climat d’insécurité psychologique…
  • Calculer l’évolution du nombre d’appels d’offres gagnés et perdus d’une année à l’autre…

6. Ce qu’il faut retenir

Créer une culture d’apprentissage au sein d’une organisation est un processus complexe, long, itératif mais hautement bénéfique dans un contexte de mutation permanente des marchés, d’évolution rapide des technologies, d’instabilité législative et de pénurie de talents dans certains secteurs clés.

Synthèse des points clés

  1. Bénéfices tangibles d’une culture d’apprentissage :
    • Innovation et adaptabilité : une culture d’apprentissage favorise l’innovation en encourageant les collaborateurs à expérimenter et à proposer de nouvelles idées. L’organisation aura alors plus de facilité à s’adapter aux changements rapides du marché.
    • Engagement et rétention des employés : les opportunités de développement des compétences augmentent l’engagement des employés et réduisent le turn-over.
    • Amélioration continue : une learning culture favorise une amélioration continue des processus et méthodes de travail, augmentant ainsi l’efficacité et la productivité.
  2. Défis actuels que la learning culture peut affronter en minimisant les risques :
    • Rapidité des changements technologiques : un processus régulier de formation continue permet d’appréhender et d’intégrer les nouvelles technologies plus rapidement pour éviter une perte de compétitivité.
    • Pénurie de talents : le développement des talents internes peut combler les lacunes en matière de compétences et éviter d’embaucher de nouveaux collaborateurs.
    • Besoin de résilience organisationnelle : la learning culture est un levier pour affronter plus sereinement les imprévus et les crises.
  3. Les leviers d’une learning culture :
    • Sécurité psychologique
    • Autonomie et responsabilité
    • Feedback
    • Innovation et expérimentation
    • Apprentissage social et collaboratif
  4. Mesure de l’impact et du succès des initiatives :
    • Indicateurs de performance : taux de rétention, engagement, productivité.
    • Feedback des employés : enquêtes de satisfaction, groupes de discussion.
    • Cartographie des compétences : évaluations régulières, plans de développement personnel.
    • Analyse des projets : suivi des projets et appels d’offres gagnés et perdus, évaluation des processus améliorés.
  5. Principaux freins :
    • Résistance au changement
    • Manque de ressources
    • Culture organisationnelle rigide
    • Manque de soutien des managers
  6. Une nécessaire adhésion :
    • Impliquer les leaders
    • Communiquer les bénéfices.
    • Offrir des incitations
    • Favoriser la collaboration

Mettre en place une learning culture permet non seulement d’améliorer les performances, mais aussi de créer un environnement de travail où l’apprentissage formel et informel est valorisé et encouragé. Les services formation et RH ont un rôle clé à jouer dans cette transformation, en mettant en œuvre des stratégies efficaces et en accompagnant le changement à chaque étape.

  1. Le NPS ou Net Promoter Score sert à mesurer la propension et la probabilité de recommandation d’une marque X, d’un produit Y ou d’un service Z par ses clients