1. De temps en temps…

2. Conception pédagogique : concordance des temps

3. Fonction tutorale : par tous les temps

4. Pour finir : le point de vue de l’apprenant

Pour finir : le point de vue de l’apprenant

Je vous parle d’un temps… Au-delà du concept physique matérialisé par l’horloge, le temps est contraint par des contingences sociales donc collectives mais également psychologiques et physiologiques donc individuelles. Il ne peut s’accroître en valeur absolue. Tout au plus peut-on le rationaliser et l’optimiser. Émile Durkheim le définissait comme le « cadre permanent de la vie mentale ».

N’est-il donc de richesse que de temps ? Si Bergson vous était conté, vous liriez que « le temps est ce qui se fait, et même ce qui fait que tout se fait ».

En formation, il constitue une variable clé à tous les niveaux :

  • facteur de production côté experts et services RH (délais de production, estimation réaliste des temps d’apprentissage, séquençage pour conférer un rythme et guider l’apprenant) ;
  • levier d’animation côté tuteurs en digital learning ou formateurs en présentiel ;
  • et vecteur d’efficacité côté apprenants ou stagiaires, entre temps réel et temps prescrit.

En situation professionnelle, l’allocation individuelle de la ressource temps s’appuie sur des capacités d’organisation, de priorisation et d’efficacité. Dans ce contexte, la gestion du temps devient un critère de performance.

En formation présentielle, le temps pourrait être comparé à une constante. En digital learning, il devient une variable. En balayant l’unité de lieux, de temps et d’action du présentiel, le digital learning a désynchronisé la présence et bouleversé l’appréhension et l’appropriation des temps de formation par les apprenants. Traditionnellement assumée par le formateur en salle, en digital learning asynchrone, la maîtrise du temps revient à l’apprenant. Le distanciel synchrone introduit une co-responsabilité de la gestion du temps entre formateur/tuteur et apprenants. En effet, le temps court imposé par les séquences de classe virtuelle, d’accompagnement téléphonique, de live tchat nécessite une réactivité accrue de la part du formateur/tuteur comme de la communauté apprenante.

En digital learning, le temps constitue un véritable enjeu et sa gestion devient facteur de réussite. Qu’il soit mal géré par l’apprenant, mal estimé par les concepteurs du dispositif, mal orchestré en synchrone et le risque de décrochage et d’abandon s’accroît. Le temps devient ainsi une nouvelle distance avec laquelle concepteur, intervenants et apprenants doivent composer. Tour d’horizon des temps et des tempos en formation à distance…

1.
De temps en temps…

Que celui qui n’a jamais trouvé le temps long face à un sujet ou un interlocuteur ennuyeux nous jette la première pierre…Et par chance, son contraire est vrai !

La perception du temps est donc subjective ou, pour reprendre la vision d’Etienne Klein, physicien et philosophe des sciences : il existe un temps et une pluralité de temporalités.

Envie d’aller plus loin sur ces dimensions à la fois physique, philosophique, mathématique, sociologique ? Le temps et la temporalité vus par Etienne Klein, en un peu plus de 7 minutes :

Propre à chaque individu, la temporalité est encore susceptible de varier en fonction des situations, de la disponibilité intellectuelle et émotionnelle de chacun, des heures de la journée… Ne parle-t-on pas d’horloge interne ? Et plus encore aujourd’hui dans une société de l’instantané, hyper connectée et en infobésité, le temps semble s’accélérer et la durée de l’attention s’amenuiser.

Une brève analyse de l’accélération du temps dans notre vie 3.0 présentée en décembre 2018, à l’occasion de la sortie du numéro de Courrier international dédié au temps. Selon votre propre temporalité, peut-être trouverez-vous les 3’30 de vidéo trop longues, trop courtes…

En formation, le temps d’apprentissage, généralement harmonisé et défini de façon estimative par les concepteurs pédagogiques, se heurte donc aux temporalités individuelles et au patchwork de temporalités de la communauté apprenante. Ainsi faut-il articuler :

  • le temps du parcours (une durée estimée encadrée par une date de début et une date de fin) et de chaque séquence (synchrones et asynchrone qui se succèdent et impliquent souvent d’avoir suivie la séquence précédente en prérequis) dont la responsabilité incombe à l’équipe pédagogique ;
  • le temps tutoral impliquant une pression pour le tuteur/coach qui doit observer un délai raisonnable en asynchrone (délai dont la perception là encore varie entre les individus et souvent entre tuteur et apprenant) et maximiser l’efficacité de son intervention en synchrone ;
  • le temps apprenant que l’on peut décomposer en temps investi (temps de connexion, temps passé sur une ressource…) et en temps efficace (réussite aux évaluations, pertinence des questions posées aux tuteurs, pertinence des interventions en séance collaborative…), dont le rapport fournira un indicateur de performance de l’apprenant.

Le temps du parcours se décompose également en temporalités synchrones (temps guidés qui se déroulent en direct) et temporalités asynchrones (temps en autonomie qui se déroulent en différé et qui favorisent la flexibilité et l’adaptabilité aux contraintes organisationnelles de l’apprenant mais également des tuteurs/coachs) dont la gestion est également soumise à des contraintes spécifiques individuelles et collectives.

Prendre en compte la variable temps tout au long de la chaîne (de la production à la diffusion) et de façon différenciée selon les modalités (synchrone ou asynchrone) est naturellement gage d’efficacité de la formation. La variable temps ne s’exprime pas de la même manière selon que l’on se place du côté de la conception, de l’accompagnement ou de l’apprentissage.

2.
Conception pédagogique : concordance des temps

Définir une durée d’appropriation d’un grain pédagogique et au-delà la durée totale du parcours de formation constitue un enjeu fort. Que la formation affiche une durée surestimée et l’apprenant aura l’impression de s’ennuyer, qu’elle propose une durée sous-estimée et l’apprenant sera démotivé face à l’ampleur de la tâche. Dans tous les cas, mal évaluer une durée pédagogique est un problème qui conduit à la démotivation et à l’inefficience de la formation.

Estimer la durée

La tâche d’évaluation est loin d’être évidente. Chaque bloc de compétences voire chaque ressource doit afficher une durée estimative. Cette durée ne correspond évidemment pas à la durée de la vidéo ou au temps de lecture d’un texte mais comprend naturellement le temps de compréhension, de mémorisation et de réalisation de l’évaluation…

L’estimation du temps nécessite une connaissance des prérequis de son groupe d’apprenants et une définition précise des objectifs de formation.

De façon générale, voici quelques repères d’évaluation temporelle :

  • au niveau des prérequis académiques des apprenants, plus la thématique est considérée comme difficile au regard du parcours académique, plus le temps estimé devra être majoré ;
  • au niveau des prérequis expérientiels de l’apprenant, plus les connaissances ou compétences sont familières ou confortent l’apprenant dans ses pratiques, plus le temps d’appropriation pourra être minoré ;
  • au niveau de l’objectif de formation, il est possible d’arbitrer en fonction du niveau de transfert :
    • un transfert proximal (la transposition des acquis de la formation en situation de travail demande peu d’adaptation ou de projection de la part de l’apprenant) permet de minimiser le temps du parcours,
    • alors qu’un transfert distal (la transposition des acquis de la formation en situation de travail demande un gros travail d’adaptation de la part de l’apprenant) encouragera l’équipe formation à majorer le temps.

L’évaluation du temps devra également tenir compte de la part des modalités synchrones et asynchrones dans le scénario pédagogique. Toute activité synchrone guidée et encadrée par un tuteur, un formateur, un coach est souvent plus facile à évaluer d’un point vue temporel, l’animateur étant maître du temps. Elle permet en outre d’ajuster plus rapidement le niveau et le périmètre du sujet au public apprenant, par des actions de sondages, d’évaluation en cours de séance et par un feedback immédiat et une remédiation collective le cas échéant. Elle peut mettre en lumière les points de blocage. Il sera alors judicieux d’enrichir le parcours de ressources complémentaires ou de rendez-vous en one to one pour les apprenants les plus en difficulté. Reste alors à réévaluer le temps !

En asynchrone, l’inadéquation des temps estimés peut être mise en lumière par les learning analytics et l’exploitation régulière des rapports d’activité des apprenants. Des séances de remédiation synchrone peuvent alors être programmées pour accélérer l’appropriation et éviter de renchérir le temps nécessaire sur le parcours qui peut décourager l’apprenant ou, en cas de formation sur le temps de travail, désorganiser le service ou la chaîne de production.

Mesurer la progression

Outre l’estimation des durées d’appropriation des savoirs, savoir-faire ou savoir-être, information précieuse pour l’apprenant, le scénario pédagogique doit fournir des jalons et des repères temporels. Ainsi est-il plus judicieux de découper le parcours en micro-séquences ou en épisodes. Ces découpages fournissent le tempo et le rythme de la formation et renforcent le sentiment d’avancement dans le parcours.

Chaque séquence pourra comporter une identification lisible et évidente :

  • de début (une introduction avec définition des objectifs de la séquence en synchrone ou en asynchrone, par exemple) ;
  • et de fin (évaluation sommative de fin de séquence, acquisition d’un badge pour valoriser l’assiduité, par exemple).

Une vue globale de l’avancée dans le parcours permettra à l’apprenant de mesurer le chemin parcouru et d’évaluer l’adéquation de son rythme au temps prescrit et sa juste allocation du temps à sa formation par rapport à ses autres activités.

Enfin le scénario pédagogique pourra intégrer l’envoi de notifications à l’apprenant lui indiquant un retard sur le calendrier prévisionnel, l’invitant à se connecter plus régulièrement ou lui proposant un rendez-vous de coaching pour une séance de remédiation organisationnelle.

 

3.
Fonction tutorale : par tous les temps

Synchrone ou asynchrone, en one to one ou collectif, l’ingénierie tutorale déployée dans le parcours est généralement calibrée (côté tuteur) dans la phase de conception sur la base d’une projection du nombre de sollicitations asynchrones par apprenant (questions par messagerie, messages sur le forum…).

Le temps synchrone (en one to one ou en classes virtuelles) est celui de l’interaction et du feedback immédiat. Il renforce le sentiment de présence et constitue une source de motivation pour l’apprenant. En classe virtuelle, il permet de jouer sur la dynamique de groupe et l’apprenant peut alors situer sa progression par rapport à celle de ses pairs. Il constitue également un repère temporel intéressant pour l’apprenant.

Les activités synchrones en one to one représentent un bénéfice majeur de la formation à distance en créant une individualisation et une personnalisation de la formation. Elles créent un repère temporel pour l’apprenant.

Dans la relation tutorale synchrone, le tutueur/formateur/coach reste le maître du temps, du sien comme de celui des apprenants. Il doit donc non seulement respecter les durées prévues pour ses interventions mais également intégrer les temps de préparation.

En relation asynchrone, le tuteur/formateur/coach subit une autre forme de pression temporelle. Il se doit de gérer au mieux les délais de réponse aux apprenants pour éviter des frustrations, un sentiment d’isolement (le temps est une distance) et une démotivation conduisant potentiellement à un décrochage. Mais il ne doit pas pour autant passer un temps inconsidéré dans ses activités d’accompagnement asynchrone, au risque de faire déraper le modèle économique de la formation.

Les modalités distancielles tutorées favorisent ainsi une adaptation au rythme et à la temporalité de l’apprenant en séparant les temps d’accompagnement ou d’enseignement des temps d’apprentissage en autonomie.

Cette autonomie dans les apprentissages passe, chez l’apprenant, par une capacité à organiser son temps, prioriser ses activités et profiter de la flexibilité offerte par le digital learning.

4.
Pour finir : le point de vue de l’apprenant

En dehors de la période exceptionnelle de crise sanitaire, le grand avantage du distanciel asynchrone mis en avant par les apprenants réside dans la flexibilité et la capacité de se former, en tout temps et en tout lieu, sans réduire son activité professionnelle. Cette flexibilité fait peser sur l’équipe pédagogique et sur l’équipe tutorale une responsabilité forte pour rationaliser le temps de formation, garantir à l’apprenant la meilleure utilisation possible de sa ressource temps et entretenir sa motivation tout au long du parcours.

Du côté de l’apprenant, la flexibilité des apprentissages asynchrones nécessite une autonomie et une responsabilisation face à ses apprentissages. La régulation de ses temps de formation doit notamment être soutenue par une scénarisation pédagogique apportant un rythme et par une interface de visualisation immédiate de son avancement et des échéances à venir.

De façon générale, plusieurs études ont montré, qu’en l’absence de pression temporelle, l’apprenant consacre un temps plus long aux tâches qu’il juge les plus difficiles. En revanche dès qu’une échéance se profile (livrable à rendre, classe virtuelle…), le temps d’apprentissage va être prioritairement alloué aux notions qu’il considère les plus simples.

Les repères temporels mis en place au travers de la plateforme de formation (progression, visualisation du parcours dans sa totalité, calendrier des séquences synchrones…) et à l’intérieur du parcours lui-même (badges de progression, réception de mails ou de notification incitant à la connexion et tout événement périodique récurrent en fin de séquence ou à des moments clés…) facilitent l’allocation de temps dans chacune des activités sociales de l’individu (travail, formation mais également famille et activités de loisir) et invitent l’apprenant à identifier plus rapidement les conflits entre ses différentes activités.

Il n’en demeure pas moins que, comme pour toute activité, l’apprenant devra faire face à des conflits de temporalité. On ne le dira jamais assez : la régularité dans le suivi d’une formation constitue un élément important qui, créant une routine dans l’emploi du temps, permet de préserver ses heures d’apprentissage dans le temps.

5. Temporalités en formation : La check list

La formation à distance nécessite un tempo, un rythme, qui doit être défini dès le départ. Quelques pistes pour intégrer la variable temps dans la conception et l’animation des parcours de formation à distance :

  • Évaluez le niveau académique et expérientiel de vos apprenants en entrée en formation
  • Estimez l’hétérogénéité des niveaux au sein de la communauté apprenante
  • Faites un rapport (même approximatif) entre le niveau des apprenants et les objectifs de la formation en termes de connaissances mais aussi de compétences à transférer en situation de travail
  •  Ajustez la durée en majorant les temps asynchrones et en multipliant les évaluations formatives pour une distance académique importante
  •  Majorez la durée de tutorat synchrone en cas de transfert distal pour un accompagnement à la mise en œuvre des acquis
  •  Renforcez les temps collaboratifs synchrones en cas de forte hétérogénéité de niveau entre apprenants et mixez les profils académiques et expérientiels dans les groupes de travail pour un tutorat entre pairs
  •  En résumé : balisez le temps et offrez des repères de progression aux apprenants

Attention, majorer les temps ne veut pas dire allonger les séquences mais plutôt multiplier les temps courts et séquencés pour éviter de casser le rythme. N’oubliez pas que :

Une classe virtuelle de plus de 45 minutes constitue un gros effort d’attention pour l’apprenant. Il faudra alors prévoir des scénarios d’animation dynamiques qui favorisent l’interaction et le collectif.

Des ressources pédagogiques granularisées aident l’apprenant à conserver sa motivation en renforçant son sentiment de progression dans le parcours

Des évaluations régulières et des temps d’échanges synchrones constituent des repères temporels fondamentaux pour l’apprenant.

Enfin, prenez le temps de penser le temps de votre parcours !