Marketing, RH, relation client, la gamification est devenue en quelques années le sésame de l’expérience utilisateur. Parfois utilisée sans autre but que celui de surfer sur la mode, la gamification n’a pas vocation à « faire joli » mais à servir un objectif clairement défini. En situation de formation, cet objectif consiste à renforcer l’engagement de l’apprenant tout au long de son parcours. Le jeu constitue un moteur de motivation puissant, à condition qu’il s’adosse à des ressources pédagogiques de qualité.
Et si gamifier ses parcours de formation revenait à jouer sur le « flow » des apprenants pour exhaler les endorphines et maximiser l’apprentissage ? Explication de texte…
1.
GAMIFIER n’est pas JOUER ?
La gamification s’appuie sur les leviers du jeu et notamment du jeu vidéo et en utilise la mécanique ludique et émotionnelle dans un contexte qui se situe hors du domaine du jeu. La formation n’est pas un jeu. Néanmoins elle peut s’avérer source de plaisir et de motivation en s’appropriant des ressorts ludiques plus ou moins complexes et évolués.
Il existe ainsi une différence entre gamification et serious game. La gamification n’implique pas forcément la création d’un contenu de formation spécifique : elle peut s’adapter à l’existant. Le serious game, pour sa part, nécessite le développement d’un univers immersif d’expérimentation, financièrement plus lourd et pédagogiquement plus complexe.
La gamification peut se contenter d’un simple ordonnancement des contenus existants en niveaux avec une visualisation de la progression et d’un système d’évaluation pour passer d’un niveau à l’autre. Le système peut être raffiné par un classement des apprenants en fonction de leur score pour introduire une notion de compétition et l’attribution de récompenses au vu des scores. Les ressorts sont multiples et doivent être adaptés à un objectif clairement défini.
La gamification ne saurait égaler le serious game sur des dispositifs d’acquisition de compétences privilégiant la simulation en vue de l’adoption de nouveaux comportements ou de gestes spécifiques qui doivent être maîtrisés avant d’être accomplis, fut-ce sous la supervision d’un pair expérimenté. Par exemple, assimiler toutes les règles de sécurité lors d’une intervention sur un site dangereux. Elle est par contre très complémentaire d’un dispositif de mobile learning. Aujourd’hui nombre d’applications destinées à diffuser des grains pédagogiques sur mobile s’enrichissent de dispositifs de gamification permettant de motiver l’apprenant par des challenges assortis de récompenses.
Petit aperçu en image (et en anglais) pour jouer sur la gamme des « games » selon l’intention pédagogique. Pour plus d’explications (en anglais) sur chacune des typologies, cliquez sur l’image.
C’est donc bien l’objectif qui doit guider la démarche et le choix des leviers.
2.
Articuler OBJECTIF PÉDAGOGIQUE
et OBJECTIF DU JEU
La gamification ajoute un objectif supplémentaire à celui de l’acquisition de connaissances et de compétences : l’objectif propre au jeu. Il doit s’articuler avec l’objectif pédagogique. La définition du premier constitue une évidence pour le formateur. Le second doit être intuitif, clair et atteignable. L’apprenant doit en saisir les ressorts et en identifier la mécanique de progression sans qu’il lui soit nécessaire de lire une règle du jeu longue et fastidieuse. En quelques lignes, en une courte vidéo, en un écran, l’apprenant doit avoir compris. La simplicité est donc de mise.
Pour autant si l’objectif et les règles du jeu doivent être clairement définies et présentées dès le début, gardez quelques éléments de surprise. L’imprévu peut relancer la dynamique de jeu et accrocher l’apprenant à certains moments clés. Certaines actions de l’apprenant peuvent par exemple déclencher l’attribution d’une récompense surprise. Les récompenses récurrentes sont pour leur part programmées en fonction des actions de l’apprenant, de son assiduité et/ou de ses réussites. Une récompense est généralement attribués après un certains nombre d’actions ou de points gagnés, après le passage au niveau supérieur…
Visualiser sa progression pour maintenir sa motivation
Attention à l’effet déceptif ! Si l’objectif est l’engagement de l’apprenant et le maintien de sa motivation durant tout le parcours, il est primordial qu’il puisse se sentir valorisé et remporter des récompenses, quel que soit son niveau initial. L’apprenant doit avoir le sentiment de progresser. Il doit pouvoir visualiser cette progression.
La progression est liée au feedback. Le feedback doit être régulier. Pour ce faire, il est nécessaire de définir des sous-objectifs tant pédagogiques que ludiques pour séquencer finement le déroulement du parcours. Chaque fin de séquence est l’occasion, pour l’apprenant, d’obtenir un feedback sur ses performances et donc de mesurer sa marge de progression et ses axes d’amélioration. Cette mesure doit être objective et objectivable. Il est important de donner un feedback positif pour éviter de décourager l’apprenant. La récompense est le fruit de l’effort consenti à apprendre et du parcours déjà réalisé plus que de la performance
Et concrètement ?
Imaginons une formation visant à promouvoir les valeurs de l’entreprise auprès de la clientèle. La première séquence va porter sur l’une des valeurs cibles de l’entreprise. En trois minutes de vidéos l’apprenant va intégrer la première valeur et la façon dont elle doit s’exprimer dans la relation client. Au terme de cette présentation, l’apprenant va être confronté à deux situations très courtes mettant en scène un collaborateur et un client. Il devra choisir, en un temps limité avec défilement du chronomètre, le comportement qui incarne le mieux cette valeur. Puis une 2e activité va suivre dans laquelle il devra choisir, dans une liste les mots clés, ceux qui se rapportent à la valeur présentée. Ses réponses enregistrées, il reçoit un feedback immédiat lui indiquant :
- son score, les points obtenus sur son parcours et le nombre de points restant à acquérir pour passer obtenir un badge, par exemple. L’appréciation personnelle de la performance et la visualisation de la marge de progression est fondamentale pédagogiquement ;
- son classement par rapport à ses pairs. La mesure sociale de la performance et le levier de la compétition vont agir sur sa motivation à poursuivre ses efforts pour progresser dans le classement ;
- les ressources pédagogiques complémentaires qu’il peut consulter pour en savoir plus.
L’ennui ou l’angoisse face à la difficulté, signes d’une inadéquation entre le niveau de l’apprenant et les attendues de l’activité pédagogique sont à éviter absolument. Le niveau optimal de difficulté et les règles du jeu doivent supporter l’état de « flow » chez l’apprenant.
3.
Maintenir ses apprenants à « FLOW »
En 1990, le psychologue hongrois, Mihály Csíkszentmihályi, a défini le concept de « flow » comme un état de concentration optimale dans lequel l’individu se sent totalement absorbé par ce qu’il est en train de faire. Ce niveau de concentration lui permet de prendre plaisir à la réalisation de la tâche qu’il accomplit. Sa productivité est alors maximale. Le flow peut laisser une trace mnésique suffisamment forte pour que l’apprenant soit enclin à vouloir reproduire l’activité qui l’a conduit à ce niveau de satisfaction.
Ce concept trouve une application concrète en formation. En effet, être en état de flow suppose de se trouver confronté à un défi complexe tout en disposant du niveau de compétences élevé permettant de relever ce défi. L’apprenant doit ressentir un équilibre entre ses compétences et le niveau de difficulté de la tâche à accomplir.
Ce concept de flow peut être rapproché de la zone proximale de développement de Vygotski. Un challenge trop simple va générer l’ennui chez l’apprenant alors qu’un niveau de difficulté trop élevé au regard des compétences de l’apprenant va générer du stress et de la frustration.
Le flow se situe donc dans la zone proximale de développement dans une combinaison compétences élevées/challenge élevé.
Résumé en image :
Les éditeurs de jeux vidéo maîtrisent parfaitement ce concept de flow. Ils visent le maintien du joueur dans cet état par la bonne adéquation entre le niveau de compétence de la cible et le niveau des épreuves.
La gamification constituerait ainsi un moyen de conduire à l’état de flow. Pour cela, comme nous l’avons vu précédemment, la définition d’objectifs clairs est indispensable. Cette définition doit conduire l’apprenant à appréhender facilement les règles du jeu et à acquérir la conviction que les défis sont à sa portée.
Le feedback immédiat et fréquent aide l’apprenant à mesurer sa progression (le chemin parcouru). Analyser les résultats de façon récurrente semble accroître l’envie de poursuivre l’aventure. De même la représentation de ce chemin parcouru (qu’il s’agisse d’une simple barre de progression ou d’une timeline indiquant la position de l’apprenant, de la carte d’un territoire à explorer mentionnant les endroits déjà visités) permet à l’apprenant d’asseoir son sentiment d’avancement dans le parcours.
Définir un niveau de difficulté cohérent avec le niveau de ses apprenants permet d’agir dans la zone proximale de développement de l’apprenant permet d’éviter l’ennui ou la peur de l’échec et donc de poursuivre avec d’autant plus de motivation. L’apprenant doit chercher à se surpasser sans avoir l’impression que le but est hors de portée.
Le flow génère chez l’apprenant une abstraction de ses préoccupations quotidiennes pour focaliser son attention sur les savoirs ou savoir-faire qu’il est en passe d’acquérir.
Il est également source d’un sentiment de maîtrise de soi et de l’environnement ludique proposé grâce à la clarté des règles du jeu.
L’apprenant en état de flow est libéré de son égo et de la peur du jugement de ses pairs. Selon Csikszentmihalyi, cette libération permet d’élargir le concept de soi et d’atteindre ainsi une certaine transcendance de l’être. Le flow irait jusqu’à reléguer les besoins physiologiques primaires de l’individu au second plan.
Enfin le flow est censé s’accompagner d’une altération de la perception du temps qui permet à l’apprenant de se trouver totalement absorbé dans son activité.
Prêt(e) à maintenir vos apprenants sur la ligne de flowtaison ?
4.
Quand l’apprenant
devient joueur
Connaître ses profils d’apprenants pour obtenir l’engagement maximum est impératif. Mais lorsque l’apprenant devient joueur, qui est-il ?
Richard Bartle, professeur à l’Université d’Essex au Royaume-Uni, spécialiste des environnements de jeux multi-joueurs distingue 4 profils-type :
- L’ « Achiever » (collectionneur) : son objectif est de terminer le jeu ; d’en avoir fait le tour, de posséder l’ensemble des objets, personnages du jeu.
- L’ « Explorer » (explorateur) : son objectif est la découverte de l’univers du jeu et de ses règles ; il cherche la nouveauté et l’étonnement.
- Le « Socializer » (social) : il recherche avant tout les interactions avec les autres joueurs ; c’est un coopératif qui joue sur un mode multi-joueurs. Son objectif est le partage.
- Le « Killer » (tueur) : son moteur est la compétition ; gagner est son objectif.
Si la cible d’apprenants est très homogène, il est plus facile, en fonction de l’objectif pédagogique, d’opter pour une mécanique particulière :
- atteindre son objectif plutôt que se laisser transporter par l’expérience ;
- contraindre le parcours plutôt que favoriser l’exploration aléatoire ;
- renforcer les défis individuels plutôt que la collaboration dans la résolution des problèmes…
Si la cible est plus hétérogène, pour que chaque profil d’apprenant-joueur puisse se retrouver dans la dynamique de jeu, on peut mixer les procédés de gamification :
- multiplier les sources de récompenses pour le collectionneur et placer des gratifications surprises à certaines étapes clés de l’apprentissage ;
- utiliser le storytelling pour transporter l’explorateur dans un univers romancé et lui réserver des activités bonus qui pourront le surprendre ;
- favoriser le travail collaboratif pour satisfaire le profil social ;
- challenger le « tueur » par un classement et des défis face à ses pairs, valoriser ses succès par une visibilité de son profil sur l’application…
Pour embrasser les différents modèles d’expériences gamifiées, le blog « El Gamificator » propose une matrice permettant de mettre en regard objectifs et mécanique de jeu :
5.
Tentative d’évaluation d’une démarche de gamification
Yu-Kaï Chou, conférencier et consultant en gamification, a mis au point une grille d’analyse et d’évaluation des modalités de gamification d’une activité. L’outil, de forme octogonale, baptisé Octalysis, est organisé autour des 8 ressorts potentiellement utilisables dans une démarche de gamification :
- le sens (Meaning) : la capacité à conférer à l’activité un sens épique, une dimension d’engagement dans une action qui dépasse le joueur ;
- l’accomplissement (Accomplishment) : la validation de compétences et de niveaux, la matérialisation de la progression et du succès du joueur à travers le parcours ;
- l’appropriation (Ownership) : la capacité à acquérir quelque chose, qu’il s’agisse d’un avatar qui évoluera au fil des réussites ou d’un statut particulier ;
- la pénurie (scarcity) : la possibilité de saisir des opportunités rares et précieuses pour progresser dans le parcours ;
- les stratégies d’évitement (Avoidance) : la peur de l’échec, la mise en place de stratégies de contournement pour ne pas se voir rétrograder dans le jeu ;
- l’imprévisibilité (Unpredictability) : l’effet de surprise, la stimulation de la curiosité ;
- l’environnement social (Social Influence) : la capacité à susciter la coopération ou la compétition entre joueurs ;
- l’Empowerment (la traduction du mot en français est délicate, les canadiens le traduisent par autonomisation) : la capacité à améliorer ses compétences ou à se montrer créatif grâce à un renforcement des feedback.
Et concrètement ?
Si l’on reprend l’exemple de notre formation visant à promouvoir les valeurs de l’entreprise aux yeux de la clientèle, il est possible de développer les 8 dimensions mises en avant par Yu-Kaï Chou :
- le sens : l’appropriation des valeurs de l’entreprise passe par une enquête que mène l’apprenant pour trouver le sens de chacune des valeurs à travers l’histoire de la société ;
- l’accomplissement : au fur et à mesure du parcours, l’apprenant collectionne des parties d’un drapeau qui au final représentera les valeurs cardinales portées par l’entreprise ;
- l’appropriation : les apprenants acquièrent des étiquettes de mots clés qui s’incrémentent, au fil du parcours et de la validation des connaissances, pour former une devise.
- la pénurie : les épreuves de validation, en nombre limité, permettent l’acquisition des parties du drapeau ou des étiquettes de mots clés. Elles doivent être découvertes à l’aide d’énigmes à résoudre ;
- les stratégies d’évitement : l’absence d’assiduité peut entraîner la perte des parties de drapeau ou des étiquettes de mots clés déjà collectées ;
- l’imprévisibilité : des bonus peuvent venir enrichir le parcours et accélérer la résolution des énigmes menant aux évaluations. La collecte des parties du drapeau ou des étiquettes de mots clés peut s’en trouver accélérée ;
- l’environnement social : une des énigmes ne peut être résolue qu’en équipe ;
- l’ « Empowerment » : les apprenants ont la possibilité de collecter des ressources pédagogiques complémentaires ou de solliciter un tuteur pour enrichir leurs connaissances et progresser plus vite dans le parcours.
En fonction du profil des apprenants et de l’objectif pédagogique, on pourra privilégier un aspect plus qu’un autre.
Game over
La gamification est un ressort d’engagement de l’apprenant. Il introduit une dimension plaisir dans les apprentissages. Pour autant, la gamification ne supprime pas l’effort : on peut donc apprendre avec plaisir mais rarement sans effort !
Terminons en rendant à César…
La Khan Academy fut un précurseur en matière de gamification de son interface d’apprentissage et de ses parcours de formation. Un modèle du genre.