Dans son spectacle “Papa est en haut”, Gad Elmaleh raconte l’histoire d’un conducteur automobile (lui-même) qui a loué un GPS au Maroc. Lorsqu’il met l’appareil en marche, il entand la voix de synthèse lui demander des nouvelles de toute sa famille. Quelques kilomètres plus tard, le GPS lui intime l’ordre d’ouvrir la fenêtre du véhicule et de demander sa route au premier passant venu. La voix du GPS se situe ici clairement du côté du discours et de la fonction sociale de ce dernier, plutôt que des données factuelles et objectives.
Dans un article publié sur Homo-numericus et repris sur Internet Actu le 13 mai 2011, Pierre Mounier explique brillamment que l’ordre du discours habituel, c’est à dire la maîtrise de rhétoriques propres à chaque type de discours (amoureux, économique, philosophique, religieux…) est attaqué par le Storytelling qui permet de faire groupe dans une interpétation commune d’une part, le mouvement des données ouvertes qui privilégient les faits à l’interprétation d’autre part.
Le Storytelling est aujourd’hui soupçonné d’être l’arme favorite de tous ceux qui souhaitent hypnotiser les consommateurs et les crédules en tous genres, anesthésier leur sens critique. Venue du monde entrepreneurial, cette technique de communication a envahi l’espace commercial (raconter une histoire pour nous faire acheter un produit, transformer le créateur d’une marque en héros épique…) et politique (raconter une histoire plutôt qu’exposer les faits et y faire adhérer les citoyens électeurs).
L’émergence d’une nouvelle rhétorique
Mais Pierre Mounier ne croit pas pour autant à la défaite de la narration. Selon lui, nous sommes à une période de transition, qui voit plutôt émerger de nouvelles formes de rhétorique, les plus anciennes étant devenues obsolètes. La visualisation des données est en elle-même une façon de présentter et d’interpréter des données chiffrées.
Refonder le discours légitime de l’enseignant
Ce déplacement de la légitimité discursive touche de plein fouet le monde éducatif. Nombre d’enseignants se plaignent de voir leur parole récusée par les élèves, qui refusent ici la voix de l’institution personnifiée dans le prof. Mais si l’enseignant demande aux élèves de constuire eux-même le discours à partir des informations qu’ils collecteront dans les ouvrages de référence et sur la toile d’une part, par le biais de la confrontation de leurs représentations et interprétations d’autre part, il devra malgré tout les accompagner et faire oeuvre de médiation pour aider notamment les plus jeunes à assembler les pièces.
Par Christine Vaufrey | redaction@cursus.edu