1.
Les pédagogies ACTIVES

2.
La pédagogie par PROJET : learning by doing

3.
La classe RENVERSÉE : quand enseigner et apprendre se confondent

Pour finir, commençons par le commencement

Le mouvement Do it Yourself ou DIY (« Fais le toi-même » en français) est né à la fin des années 90 dans l’artisanat et la création logicielle. Soutenu par le développement du partage des savoir-faire sur le Net et par un impératif d’éco-responsabilité tendant à modifier les modes de consommation, le concept s’est répandu. Des tiers-lieux (souvent connus sous le nom de Fab Lab) ont ainsi vu le jour, pour mettre à disposition de chacun, les outils de production de certains objets ou matériaux nécessitant des infrastructures et équipements jusqu’alors réservés aux professionnels.

De concept, le Do it Yourself est aujourd’hui devenu culture qui professionnalise ce qui au départ s’apparentait à du loisir. Cette nouvelle culture du faire et du partage de savoir irrigue désormais de nombreux champs d’activité, de la cuisine au recyclage, de l’édition au développement informatique. Elle constitue un trait d’union entre la sphère digitale dématérialisée et l’environnement physique.

L’apprentissage n’échappe pas au phénomène. L’évolution des grands courants pédagogiques au cours du XXe siècle a modifié profondément le paradigme d’enseignement, plaçant, au travers du constructivisme puis du socio-constructivisme notamment, l’apprenant au centre. Ces évolutions théoriques ont accompagné le changement de posture du formateur pour l’amener à se transformer de sachant tout puissant à mentor bienveillant, véritable guide de la démarche d’apprentissage. Que l’on parle de formation initiale ou de formation professionnelle continue, les nouvelles générations nées avec un smartphone dans le berceau ne s’accommodent plus d’enseignements magistraux théoriques. Elles sont plus que leurs aînées, enclines à se former en mode collaboratif et expérientiel.

Le Do it Yourself en apprentissage regroupe ainsi les multiples démarches de pédagogie active et participe de la construction de l’organisation apprenante dans laquelle l’impératif d’apprentissage permanent est accompagné par un décloisonnement des temps et lieux de formation.

1.
Les pédagogies ACTIVES

Les pédagogies actives rassemblent toutes les méthodes d’apprentissage basées sur l’expérience de l’apprenant. On parle d’apprentissage expérientiel.

Ces pédagogies dites actives reposent sur les théories constructivistes et socio-constructivistes :

  • les premières insistent sur l’importance de la remise en cause de ses croyances et schémas mentaux pour construire de nouvelles connaissances et compétences ;
  • les secondes mettent en avant la dimension sociale de l’apprentissage et la co-construction des savoirs entre pairs.

Les pédagogies actives ont démontré leurs effets positifs sur l’engagement de l’apprenant et l’efficacité de la formation. Par un traitement actif du savoir qu’il construit, l’apprenant mobilise des fonctions cognitives de haut niveau et parvient à une meilleure transformation du savoir en compétences opérationnelles. La manipulation de concepts, l’analyse, le débat entre pairs et avec le formateur, l’évaluation des connaissances produites sont autant de leviers pour une conscientisation des apprentissages (ou méta-cognition) prônée par les théories cognitivistes. Les stratégies pédagogiques méta-cognitives favorisent l’ancrage des savoirs dans la mémoire à long terme et non plus simplement dans la mémoire de travail (ou mémoire à court terme).

Pour un rappel des principes directeurs des grands courants pédagogiques, n’hésitez pas à consulter la carte heuristique d’Olivier Legrand.

Parmi les pédagogies actives dans lesquelles s’inscrit le Do it Yourself en formation, on retrouve notamment la pédagogie par projet ou learning by doing ainsi que la classe renversée (à ne pas confondre avec la classe inversée).

Actuellement expérimentées dans certains cursus de formation initiale, ces modalités pédagogiques peuvent être transposées en formation continue dans l’entreprise dès lors que l’organisation met en place un véritable écosystème d’apprentissage et décloisonne les activités de formation des tâches quotidiennes du collaborateur.

Dans les pédagogies actives ou co-actives (Do it with Others ou DIWO), le formateur détermine un cadre temporel et thématique, définit l’objectif pédagogique, à charge pour l’apprenant d’élaborer lui-même et/ou avec ses pairs, une solution à une problématique, de produire un livrable matériel (prototype, par exemple) ou immatériel (un cours et ses évaluations, par exemple).  Le formateur ou l’enseignant devient alors un guide, un accoucheur de savoirs et de savoir-faire. Dans ce type de pédagogie, la trace mémorielle est plus forte et plus rapide, la pérennité du savoir est donc renforcée. En revanche, le formateur ou l’enseignant se doit de consacrer plus de temps aux apprenants puisque le groupe rentre dans un processus de construction par essai-erreur-correction.

Ces pédagogies favorisent le conflit socio-cognitif, c’est-à-dire la confrontation de points de vue entre pairs et la remise en cause de ses schémas mentaux pour en élaborer de nouveaux et progresser. La dimension sociale de l’apprentissage est fondamentale dans cette approche.

En 2014, une étude publiée dans les « Proceedings of the national academy of sciences » a montré que les étudiants suivant des cours magistraux étaient 1,5 fois plus exposés à un échec à l’examen que leurs pairs engagés dans des cours procédant de pédagogie active.

2.
La pédagogie par PROJET : learning by doing

Au cœur des pédagogies actives, la pédagogie par projet relève du learning by doing ou, comme la qualifiait le psychologue et philosophe américain John Dewey, père de l’apprentissage par l’action, hands on learning. Cette pédagogie active est également au cœur des méthodes Montessori ou Freinet qui laissent l’enfant expérimenter, avant toute transmission de savoir théorique. Ces méthodes d’immersion dans l’action sont à même de donner du sens aux apprentissages.

« Les acquisitions ne se font pas comme l’on croit parfois, par l’étude des règles et des lois, mais par l’expérience. Étudier d’abord ces règles et ces lois, en français, en art, en mathématiques, en sciences, c’est placer la charrue avant les bœufs. » Célestin Freinet, 1964

Quels ingrédients pour un apprentissage en mode projet ?

Qui dit projet dit groupe projet. Il faut donc constituer un groupe homogène en terme de pré-requis théoriques mais riche de profils complémentaires en terme de leadership ou de niveau, voire de fonctions dans l’entreprise. Mais qui dit projet dit aussi directeur de projet, c’est là qu’intervient le formateur/tuteur, véritable animateur et évaluateur de la communauté de projet. Il va devoir déterminer le temps du projet avec une date de début et une date de livraison, définir l’objectif pédagogique et les livrables attendus. Il sera présent dans les phases clés pour conforter ou réorienter.

Chaque apprenant va ainsi cheminer de l’expérimentation vers la conceptualisation et la théorie en s’appuyant sur la puissance de réflexion et de créativité du groupe.

De nombreux cursus de formation initiale supérieure utilisent aujourd’hui la pédagogie par projet comme alternative au désengagement croissant des étudiants devant un enseignant récitant son cours sur l’estrade. C’est ainsi que la désormais célèbre école 42 de Xavier Niel procède d’une pédagogie par projet en confrontant des groupes d’étudiants à des problématiques à résoudre en autonomie. Une évaluation des projets permet de mesurer la pertinence des livrables produits et d’orienter l’acquisition des savoirs.

Ce qui semble évident dans un cadre scolaire ou universitaire auprès d’un public, en théorie au moins, totalement tourné vers l’acquisition de savoirs et savoir-faire peut se révéler plus délicat à mettre en place au quotidien dans une entreprise.

Intrapreeuariat et Hackaton pédagogiques

Organiser des sessions de formation engageantes en mode projet dans l’entreprise n’est pas chose simple. Prenant exemple sur les start-up, de grandes sociétés se sont ainsi tournées vers le mode agile pour permettre à leurs collaborateurs de développer des compétences en créativité et imaginer des solutions innovantes pour l’entreprise. Ces expériences innovantes pourraient sans doute servir de cadre à des sessions de formation en mode projet.

Deux grands modes de formation pourraient alors être imaginés sur le modèles de :

  • l’intrapreneuriat qui vise à placer un groupe de collaborateurs, durant une période définie, dans une démarche de projet agile, tout en les exonérant de leurs tâches quotidiennes ;
  • le hackathon qui pourrait s’apparenter à une session flash (sur 24 ou 48H) avec pour objectif la création collective ex-nihilo d’un produit ou d’un service ; ce concept dédié au départ aux innovations digitales, s’étend aujourd’hui à d’autres champs disciplinaires (notamment le marketing ou la relation commerciale).

A quoi pourrait donc ressembler intrapreneuriat et hackathon pédagogiques ? A une véritable session de formation en présentiel ou à distance, en mode projet. Les deux modalités se distinguent essentiellement par le temps alloué à l’expérience.

Placer certains collaborateurs dans une démarche d’acquisition de connaissances en mode projet revient à leur laisser le champ libre pour co-construire leur savoir autour d’un thème défini par le service formation au regard des besoins de montée en compétences anticipés par l’entreprise. Au terme de la période définie dès le départ par l’entreprise, un livrable qui pourrait prendre la forme d’une procédure, d’une méthodologie, d’une innovation serait soumis à l’entreprise.

La formation en mode projet, donc en Do it Yourself, ne doit pas pour autant conduire à l’isolement du groupe d’apprenants. Un formateur/tuteur endossant le rôle de chef de projet se doit d’animer les échanges entre pairs, de maintenir un climat de confiance dans le groupe, d’aider à la définition des étapes et des sous-objectifs (l’objectif pédagogique ayant été défini par le service formation)… L’entreprise doit alors être capable d’accepter l’erreur comme un processus normal d’apprentissage, ce qui signifie que la direction doit être pleinement associée dès le départ à la démarche expérientielle.

En démarche d’intrapreneuriat pédagogique (donc sur longue période par rapport à un hackathon), le groupe pourrait se voir allouer des temps de travail individuel asynchrones pour avancer, lors des phases initiales de recherche des informations et éléments utiles, de réalisation d’interviews d’experts, de benchmark de l’existant. Chaque apport individuel pourrait alors être centralisé sur un espace projet (Google drive, Dropbox, directement sur le LMS…) et commenté par le groupe lors de séances de travail collectives régulières et synchrones, adaptées aux phases de conceptualisation des savoirs ou savoir-faire à acquérir puis à la phase de création du livrable.

Le caractère court et intensif du Hackathon jouerait sur les leviers de compétition entre équipes pour faire émerger le plus de pistes possibles de développement. Toujours dans une démarche de projet pédagogique, les collaborateurs pourraient, par la confrontation de leurs connaissances et expériences, faire émerger des savoirs nouveaux propres à nourrir l’ensemble des pratiques et processus de l’entreprise.

Dans tous les cas, il appartient au service formation de fixer précisément le cadre et l’objectif de ces sessions et de les évaluer par des feedback donnés par les managers et la direction.

Autre mode d’acquisition de connaissances aujourd’hui expérimenté dans l’enseignement supérieur, la classe renversée. En entreprise, elle pourrait faire partie de la stratégie de développement d’une organisation apprenante tournée vers la montée en compétences permanente des collaborateurs.

3.
La classe RENVERSÉE : quand enseigner et apprendre se confondent

Vous connaissiez peut être la classe inversée (flipped classroom en anglais) ? Voici à présent qu’émerge la classe renversée. Entre les deux, un changement radical de posture du formateur/enseignant et un rôle nouveau pour l’apprenant.

Totalement inscrite dans une démarche de Do it Yourself, la classe renversée diffère de la classe inversée en ce sens qu’aucun savoir n’est délivré à l’apprenant. Ce dernier est, avec ses pairs, seul architecte de son savoir. Ce qui ne signifie par pour autant que le groupe d’apprenants soit laissé seul à la manœuvre. Au contraire, la participation du formateur/enseignant est fondamentale car il devient l’élève, réceptacle et juge des savoirs créés par les apprenants.

Pour schématiser le principe de la classe inversée, l’étudiant étudie chez lui, en autonomie, le cours et les concepts théoriques fournis par l’enseignant et participe en présentiel à des mises en situation, réalise des exercices, obtient des informations complémentaires… En résumé : le cours à la maison, les devoirs à l’école.

La classe renversée est très différente. Le cours est intégralement produit par les étudiants répartis en plusieurs groupes de 5 à 7 participants. Au départ, l’enseignant explique la démarche et fixe les règles du jeu. Les étudiants sont alors placés dans la posture du professeur qui doit délivrer un savoir, savoir qu’il va co-construire avec ses pairs. La production du cours est à la fois individuelle et collective :

chaque groupe doit produire une portion de savoir définie et préalablement architecturée dans un parcours de formation cohérent et progressif par le professeur ;
chaque étudiant doit assimiler les briques de savoir produites par les autres groupes.

Résumé en image par Marcel Lebrun, spécialiste de la classe inversée :

(Source : Mlebrun — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://fr.wikipedia.org/wiki/Classe_invers%C3%A9e#/media/File:Typologie_CI.png)

Mais la démarche de la classe renversée ne se borne pas à produire le savoir. Les étudiants doivent également réaliser les évaluations (contenus et barèmes) permettant de déterminer le niveau de compréhension du professeur chargé d’appréhender le cours ainsi produit. Moins la note du professeur est élevée, moins le cours sera jugé pertinent et conforme à l’objectif.

Les cours sont produits en présentiel sur une durée limitée et complétés individuellement en inter-sessions et en distanciel asynchrone. Les sessions présentielles sont également l’occasion pour chaque groupe de présenter sa production et ses partis-pris au professeur dont le rôle d’orientation ou de correction est, à ce stade, fondamental. Questions du professeur pour préciser les points fondamentaux et réponses explicatives des étudiants, test du professeur sont autant de temps forts des regroupements présentiels. Le professeur peut, s’il constate des manques ou des incompréhensions, reprendre temporairement et pour une courte durée, son rôle de sachant.

Présentation des expériences de classe renversée menées par Jean-Charles Caillez dans le cadre des cours qu’il dispense, lors d’une conférence TedX :

Et en formation continue, ça donnerait quoi ?

Le concept peut paraître difficilement adaptable en entreprise dans le cadre de la formation des salariés. Toutefois, il procède tout à fait de la construction de l’organisation apprenante et du décloisonnement des temps de formation qui y est associé. Dans l’organisation apprenante, le collaborateur est invité à se former en permanence et à partager ses savoirs et savoir-faire avec ses pairs pour maintenir la compétitivité de l’entreprise et lutter contre l’obsolescence des compétences.

Dès lors, toutes les démarches de veille, de retours d’expérience, d’analyse de situation de crises pourraient constituer autant de fractions de savoirs, élaborés par les salariés-apprenants dans leur spécialité, chaque spécialité (ou service) s’apparentant alors à un groupe d’étudiants. Les managers et la direction par l’intermédiaire du service formation étant alors de véritables guides pour recentrer les recherches, apporter des éléments d’amélioration continue et in fine expérimenter sur la base des propositions nées de la co-construction de process, modèles, outils nouveaux par les salaries. Cette dernière étape pouvant s’apparenter à une évaluation des dispositifs produits.

Pour finir, commençons par le commencement

Le Do it Yourself en formation passe sans doute d’abord par une volonté de changement de chaque organisation dans un contexte de mutation du rapport au savoir des jeunes générations et de mondialisation des marchés des entreprises.

Mais également aussi par un changement de registre de la formation, laquelle abandonnant le côté obligatoire et rébarbatif qui a trop longtemps rythmé nos journées de formation, pourra investir le champ plus engageant de la responsabilisation de l’apprenant face à ses compétences et à son employabilité.

Enfin un changement de posture du formateur qui abandonnant ses attributs de professeur tout puissant, seul détenteur du savoir, pourra se métamorphoser en guide de l’apprenant pour l’accompagner dans une démarche d’apprendre à apprendre continue, seule alternative aux enjeux sociétaux d’intelligence artificielle et de mutation des emplois qui se font déjà jour.