L’essor du mouvement #open data induit-il une perturbation de “l’ordre du discours” à l’heure où celui-ci est lui-même perturbé par le #storytelling ? Comment comprendre l’essor concomittant et opposé de ces réagencement de l’ordre du discours ?
Pierre Mounier directeur adjoint du Centre pour l’édition électronique ouverte et animateur de Homo-Numericus, co-auteur de L’édition électronique avec Marin Dacos, tente de comprendre comment ces deux mouvements s’interpénètrent et s’éclairent l’un par l’autre.
Qu’est-ce qu’un discours ? C’est une certaine manière d’agencer entre eux des faits, des idées, l’expression de sentiments afin de les ordonner, de leur donner une cohérence, de les faire résonner les uns avec les autres, ou encore de susciter chez ceux à qui il s’adresse tel ou tel effet.
L’open data : la donnée comme alternative au discours
Ce changement radical de perspective, on peut le voir à l’oeuvre dans plusieurs domaines ; à commencer par le politique où le mouvement pour l’open data commence à prendre une réelle ampleur.
Quand la donnée produit son propre discours
Dans le domaine scientifique, le même mouvement est à l’ordre du jour. On a d’abord assisté à une première étape incitant les chercheurs à donner accès au sein de bases ouvertes aux données produites par leurs enquêtes ou leur manipulations expérimentales et faisant l’objet d’exploitations dans les publications scientifiques. Si cette idée semble évidente à première vue et de manière théorique, sa mise en oeuvre pose tout un ensemble de problèmes concrets dans de nombreuses disciplines.
Image : GapMinder, l’outil de Hans Rosling pour faire que les données racontent des histoires.
Storytelling : la sacralisation du discours au détriments des faits
Il est certainement frappant de voir à quel point ce triomphe de la donnée, la dissolution du discours que l’on peut constater dans ces initiatives, s’accompagne pourtant dans le même temps d’une évolution exactement inverse, qui sacralise le discours dans sa forme la plus éloignée de la donnée : la narration.
Dissolution ou transformation des formes du discours ?
Entre l’open data d’un côté et le storytelling de l’autre, c’est finalement une certaine tradition rhétorique qui semble vouée à la disparition par écartèlement : construite en effet sur une collusion forte, sur un mélange presque indissociable des éléments factuels (l’invention) et des agencements qui les organisent les uns par rapport aux autres (la disposition), elle portait jusqu’à présent une certaine manière de construire une représentation partagée, socialisée du monde.
La mise à disposition des données réinterroge leur nature
De manière un peu décalée mais finalement très liée, la question de la représentation des données en science manifeste des évolutions récentes similaires. Le triomphe de la donnée au détriment du discours interprétatif pourrait s’apparenter dans le champ des sciences humaines et sociales à la domination de sciences sociales “naturalistes”, “objectivantes”, sur des sciences humaines placées sous le signe de l’herméneutique.
Pierre Mounier directeur adjoint du Centre pour l’édition électronique ouverte et animateur deHomo-Numericus, est le co-auteur notamment de L’édition électronique. Cet article est paru originellement sur Homo-Numericus le 1er mai 2011.