Le Design Thinking : tour d’horizon d’une démarche importée de l’industrie qui commence à irriguer toutes les sphères productives
Disruption, ubérisation, jamais les impératifs d’innovation de rupture face à l’ensemble des problèmes et aspirations de l’Homme n’ont si fortement pénétré toutes les sphères de la société. La révolution Internet a aboli les frontières, accéléré le temps, bouleversant les processus de production. L’éducation et la formation n’échappent pas au phénomène. Les politiques éducatives s’y résolvent doucement. Revoir les façons d’enseigner et de former, l’employabilité de chacun est à ce prix.
Qui dit innovation pense souvent technologie. Mais avant de penser moyens, pensons humain ! C’est souvent l’écueil dans lequel tombent les nouvelles modalités de formation : l’introduction de la technologie est souvent considérée comme l’alpha et l’oméga de l’apprentissage au XXIe siècle. Peut être oublie-t-on un peu vite l’apprenant et ses besoins, ses appétences, son degré d’acculturation au digital. Se mettre à la place de l’utilisateur, constitue le début de l’aventure. Une aventure que propose de vivre le Design thinking, avec comme point de départ l’empathie pour « se mettre à la place de… », de l’apprenant en l’occurrence.
1.
Du DESIGN au Design THINKING
Design Thinking… Quel est le mot qui retient votre attention ? Inévitablement « Design » pour ce qu’il représente d’esthétisme, de matérialité, de fonctionnalité, de créativité. En résumé et parce que l’on pense avant tout en image, prononcez design thinking et la majorité d’entre nous aura ça à l’esprit :
Dans l’inconscient collectif, le design est donc matérialisé avant tout par un objet ou un produit. Le design thinking va au-delà du produit, pour s’attacher en premier lieu à l’émotion et à l’expérience utilisateur.
Le design thinking est donc un mode de pensée créative et de gestion de projet, né dans les années 2000 dans la Silicon Valley, avec pour évangélistes un ingénieur, David Kelley et un designer, Tim Brown, fondateurs d’IDEO une agence de design devenue société de conseil en créativité.
Pour la petite histoire David Kelley et Tim Brown ont créé la première souris pour Apple en 1980.
Un premier aperçu en un peu plus de 3 minutes avec Aurélie Marchal, spécialiste du Design Thinking avant de décortiquer la méthode :
Et parce qu’il faut bien commencer par poser le concept, empruntons la définition de Tim Brown, pour lequel le design thinking « constitue une discipline qui utilise la sensibilité, les outils et méthodes des designers pour permettre à des équipes multidisciplinaires d’innover en mettant en correspondance attentes des utilisateurs, faisabilité technologique et viabilité économique. »
2.
L’HUMAIN justifie les MOYENS
Le Design Thinking applique donc les méthodes et la philosophie des designers pour améliorer les usages ou répondre aux problématiques des organisations et de la société civile.
En formation, le design thinking peut ainsi aider à répondre de manière innovante :
- à des besoins pédagogiques précis comme par exemple l’accompagnement du transfert des connaissances et compétences acquises dans la pratique quotidienne de l’apprenant ;
- ou à des problématiques organisationnelles comme par exemple l’optimisation de la circulation de la connaissance dans l’entreprise ou la capitalisation sur les actions de formations pour une démultiplication dans les équipes.
A finalité créative et innovante, la démarche, fortement collaborative, est structurée en 3, 4, 5 ou 7 étapes, que l’on peut schématiser (pour le modèle en 5 étapes) de la façon suivante :
Les deux premières étapes « Empathize » (faire preuve d’empathie et se mettre à la place de l’utilisateur pour comprendre ses attentes) et « Define » (définir précisément la problématique) se concentrent sur le problème à résoudre. Les trois étapes suivantes « Ideate » (générer des idées par du brainstorming, avec une forte dimension collaborative donc), « Prototype » (réaliser un prototype très rapidement avec des outils simples pour matérialiser les idées) et « Test » (se confronter à l’utilisateur en testant la solution et le prototype auprès d’un échantillon représentatif de la cible afin de pouvoir ajuster et corriger) permettent de faire émerger une solution innovante.
Ces différentes étapes permettent in fine de répondre à un objectif d’innovation en intégrant les trois dimensions fondamentales de :
- désirabilité (les attentes de la cible et du marché) ;
- faisabilité (qu’il s’agisse des composantes techniques ou organisationnelles de la solution) ;
- viabilité économique.
3.
L’EMPATHIE en pratique : étape 1
Comme d’aucun cultivait l’authentique, attelez-vous à cultiver l’empathie. Le design thinking est profondément centré sur l’humain. La réflexion part de l’écoute et de la compréhension des besoins et des motivations de l’utilisateur.
Soyez empathique : prenez la place de l’apprenant, entrez dans sa tête. Cette première étape est cruciale pour définir avec justesse et précision la problématique à laquelle vous allez devoir répondre de façon innovante.
Concrètement, comment se matérialise l’acte d’empathie ?
Selon le psychothérapeute Carl Rogers « …être empathique consiste à percevoir avec justesse le cadre de référence interne de son interlocuteur ainsi que les raisonnements et émotions qui en résultent… C’est-à-dire capter la souffrance ou le plaisir tels qu’ils sont vécus par l’interlocuteur, en percevoir les causes de la même façon que lui… »
Faire preuve d’empathie revient donc à se mettre à la place de son apprenant. Il est nécessaire de comprendre le contexte professionnel ou personnel qui est le sien. Il s’agit d’identifier les ressorts qui guident ses actes, ses besoins physiques et émotionnels, sa façon d’appréhender le monde et ce qui a du sens pour lui dans sa vie quotidienne.
Les UX designers utilisent un outil collaboratif, la carte d’empathie (empathy map en anglais) qui consiste à identifier tous les éléments qui influencent l’acte d’achat d’un consommateur. En formation, l’outil peut être utilisé pour cerner l’environnement, les aspirations, les comportements et les freins de l’apprenant face à un besoin de formation.
A quoi pourrait ressembler la matrice d’une carte d’empathie de l’apprenant ?
Rassemblez une équipe pluridisciplinaire (des profils de pédagogue, mais aussi des profils commerciaux, des tuteurs, des animateurs de communautés d’apprenants, voire des apprenants eux-mêmes…).
Questionnez l’ensemble des dimensions relatives à la personnalité de l’apprenant ou du groupe d’apprenant cible, définies dans la carte d’empathie.
Créez des « personas », sorte de profils types, dans la peau desquels vous pourrez vous glisser, que vous chercherez également à interroger, sur lesquels vous échangerez au sein de l’équipe. Ces « personas » vous permettrons de vous projetez avec plus de réalisme dans leurs problèmes et leurs attentes. Inventez leur une identité, un âge, un contexte professionnel et familial, des hobbies ainsi que des besoins que vous exprimerez de façon formelle en leur nom.
Listez également les points positifs et les écueils remontés par les apprenants des sessions précédentes. Allez observer ce qui se passe ailleurs (d’autres entreprises, d’autres organismes de formation…).
Il s’agit d’une véritable enquête de terrain.
4.
La PROBLÉMATIQUE à portée de main : étape 2
Vous avez mené l’enquête, vous allez pouvoir définir une problématique pertinente, ni trop large (la question relèverait alors plus du débat philosophique que d’une solution concrète), ni trop restreinte (la solution risquerait de ne pas être viable ni pérenne car focalisée sur un périmètre trop réduit).
Rassemblez l’ensemble des éléments de réponse et faites une synthèse des résultats de l’enquête. Identifiez les traits communs aux apprenants que vous souhaitez cibler. Sélectionnez, dans les résultats, les besoins fondamentaux mis en exergue lors de l’enquête. Enfin, laissez s’exprimer les idées qui émergent de la synthèse.
N’hésitez pas à matérialiser ces trois dimensions (votre apprenant, ses besoins, les idées générales) par une carte heuristique avec des liens ou via des post-it de couleur ou toute autre forme plus concrète et imagée que du texte. Essayez de voir plus grand que votre écran.
À partir de ces éléments, définissez votre problématique (ou vos problématiques en sélectionnant collectivement par la suite celle qui vous semble la plus pertinente). Vous pouvez par exemple rédiger votre problématique en commençant par : « Comment faire pour… ?» « Comment obtenir de l’apprenant qu’il… ? » « Comment amener l’apprenant à …. ? »
5.
La boîte à IDÉES : étape 3
Vous tenez votre problématique. Vous cultivez désormais l’empathie, voici maintenant l’occasion de vous armez de bienveillance pour un brainstorming fertile et créatif. C’est bien en rassemblant le maximum d’idées que la solution innovante, réponse à la problématique posée, pourra s’imposer.
Pour commencer, il vous faut un animateur, garant du bon déroulement de la séance et un scribe pour noter l’intégralité des idées. Vous pouvez convier des personnes qui ne faisaient pas partie de l’équipe initiale pour élargir vos horizons.
Le brainstorming, tout le monde connaît ou croit connaître. Pour être efficace, la méthode doit respecter des règles précises que l’animateur devra expliquer en introduction.
Rappelez la problématique définie. Puis décrivez la cible à l’aide de la synthèse réalisée sur la base de la carte d’empathie et des échanges entre vous et avec les apprenants. N’oubliez pas de rappeler les règles de bonnes pratiques du brainstorming : bienveillance, absence de jugement, libre expression…
Toutes les idées doivent pouvoir trouver à s’exprimer, d’autant qu’avec un peu de tolérance les idées des uns font émerger et mûrir celles des autres. Ne limitez pas le nombre d’idées. Misez sur la quantité mais restez concentré sur la problématique. Ne bridez pas votre créativité ou celles des autres : une idée un peu folle qui sort des sentiers battus, une fois affinée, peut se révéler être la solution innovante. La pensée créative ne suit pas la ligne droite des relations de cause à effet. Elle procède souvent par bonds successifs dans toutes les directions.
Préférez la représentation visuelle des idées : là encore la carte heuristique, le dessin, les codes couleurs permettent de repérer plus facilement l’IDÉE. N’omettez aucune idée, l’une d’entre elle pourrait bien se révéler utile par la suite. Classez les idées par grandes familles, le choix sera plus simple.
Préparez une grille d’évaluation des idées. Notez-les en fonction de critères objectifs d’adéquation à la problématique. Les votes de tous les membres de l’équipe ont la même valeur. Dégagez un consensus par le dialogue en cas de désaccord. Après discussion, si une idée rencontre ne serait-ce qu’une opposition argumentée, elle ne peut être retenue. Faites une pré-sélection des idées qui ont obtenu le plus grand nombre de votes d’adhésion, puis affinez la short-list jusqu’à en retenir une ou deux.
Le résumé en image…
Vous avez trouvé ? A partir de l’idée, décrivez la solution (ou les solutions si vous en retenez deux) en une phrase concise. Rédigez l’objectif ou le besoin auquel elle répond précisément. Redéfinissez le profil d’apprenant, cible de la solution.
Puis schématisez ou dessinez une représentation de la solution et de ses fonctionnalités.
Il est temps de transporter votre cerveau au bout des doigts.
6.
« Just do it ! » : étape 4
En 1829, le Duc de Saint Simon écrivait : « Une idée sans exécution est un songe ». La maxime prend tout son sens dans la démarche de design thinking. Une fois la (ou les) solution(s) formalisée(s), il est temps de passer au prototypage.
Sans doute connaissez-vous le principe du Quick and Dirty : sortir rapidement un produit ou un service, sans apporter un soin particulier à sa réalisation ni dépenser trop de ressources pour résoudre un problème urgent. Appliquée ici, la méthode permet de se confronter à l’utilisateur final et, dans un cycle itératif, de l’améliorer au vu des critiques et des remontées terrain. C’est bien l’idée ici. Pour pouvoir juger de la pertinence de la solution retenue, rien ne vaut un test auprès de la cible. Pour pouvoir tester, vous aurez besoin de montrer.
Dans le cas d’une solution de formation innovante, quelques éléments visuels avec un court extrait de contenus et/ou le schéma macro du séquençage pédagogique et/ou la cartographie de l’écosystème de formation et des interactions apprenants-formateurs peuvent suffire. L’idée n’est pas, au terme de cette étape, de disposer d’un produit fini et packagé mais bien d’une solution dans laquelle l’apprenant va pouvoir se projeter et donner son avis. La réalisation effective va en outre vous permettre de prendre du recul par rapport à ce que vous aviez imaginé au départ.
Reste à tester…
7.
Win-win ou la théorie de l’ÉVOLUTION : étape 5
Tester pour apprendre : le prototype va vous permettre de valider la solution, d’en faire évoluer les composantes dans un souci d’amélioration continue jusqu’à assurer la viabilité et la pérennité du projet.
C’est donc bien un cycle itératif à dérouler dans une relation gagnant-gagnant : le service formation ou l’organisme présentera une solution innovante attendue et reconnue des apprenants et des prescripteurs et l’apprenant trouvera une modalité de formation en adéquation avec ses attentes et l’objectif de l’entreprise.
Organisez les tests en groupe mais aussi individuellement : les résultats sont souvent différents. L’effet groupe peut biaiser la perception individuelle mais aussi soulever des problématiques liées notamment aux interactions entre apprenants.
Concrètement, lors de la démonstration, demandez à l’apprenant et/ou au groupe :
- de décrire en quoi la solution répond à l’objectif de formation ;
- de relever les dysfonctionnements techniques, fonctionnels, pédagogiques, etc. ;
- d’identifier les points d’amélioration sur le plan pédagogique, ergonomique, etc. ;
de mettre en avant les « plus » de la solution et d’expliquer en quoi ils constituent un avantage.
Conservez toutes les remarques des apprenants afin d’élaborer un plan d’actions correctives en priorisant les actions relatives aux dysfonctionnements. Réalisez un planning de gestion de projet et testez régulièrement les corrections et les améliorations auprès d’un panel d’apprenants.
Au terme de ce processus itératif, vous aurez votre solution et vous pourrez vous assurez de sa viabilité économique et de sa pérennité fonctionnelle.
Prêts à « disrupter » vos formations par le design thinking ?
BONUS
Le mot de la fin à Tim Brown, lors d’une conférence TED sur le design thinking. Un peu plus d’un quart d’heure (en anglais, sous-titré en français) pour comprendre les enjeux du design thinking aujourd’hui :