L’avènement des IA génératives, capables de créer du contenu dynamique et adaptatif, bouleverse le paysage de la formation professionnelle. Ces technologies offrent une personnalisation et une flexibilité qui rendent poreuse la frontière traditionnelle entre contenus sur-mesure, hautement personnalisés, et contenus sur étagère, plus généralistes. Dans ce contexte, l’opposition entre contenus sur-mesure et contenus sur étagère reste-t-elle pertinente ?
Pour rappel, les contenus sur-mesure sont spécialement conçus pour répondre aux besoins, aux objectifs et au contexte spécifique d’une organisation. Totalement contextualisés, ils reflètent les particularités culturelles, professionnelles et stratégiques de l’entreprise, offrant ainsi une expérience d’apprentissage profondément enracinée dans la pratique professionnelle des apprenants et les objectifs de formation de l’entreprise.
En revanche, les contenus sur étagère sont standardisés, développés pour un public plus hétérogène. Ils répondent à des objectifs pédagogiques précis mais peu contextualisés à la situation particulière de l’entreprise et de ses collaborateurs. Ces contenus visent à délivrer des connaissances et assurent une montée en compétences qui peut être pointue et ciblée, mais qui s’applique dans une majorité de situations, d’industries et de professions, sans prise en compte des process, méthodologies ou contexte de travail propres à l’organisation.
L’évolution des pratiques et des stratégies de formation tend aujourd’hui à les articuler dans des parcours composés de deux typologies. En effet, le coût de production et le délai de déploiement des contenus sur-mesure sont plus importants que dans le cadre de contenus sur étagère. Un mix des deux types de contenus permet de bénéficier du meilleur des deux mondes :
- un budget maîtrisé par l’adjonction ponctuelle de sur-mesure en complément des contenus sur étagère ;
- une personnalisation par des exemples, mises en situation, ressources internes de l’entreprise, à des moments clés du parcours standard.
Cette hybridation a-t-elle encore lieu d’être alors que le contenu sur étagère peut de façon plus rapide et moins onéreuse être contextualisée grâce à ChatGPT et désormais ses divers plug-ins (accessibles via chatGPT4, version payante) ?
Dans ce dossier, nous vous proposons de balayer les avantages et inconvénients des contenus sur-mesure par rapport aux contenus sur étagère puis d’imaginer comment les IA génératives peuvent impacter les choix de l’entreprise en matière de contenus de formation.
1. Sur-mesure ou sur étagère ?
Choisir entre sur-mesure et sur étagère ne se résume pas à une question de budget ou de commodité. Cela touche à l’efficacité pédagogique, à l’engagement des apprenants, et in fine, à l’impact global de la formation sur la performance de l’entreprise.
Dans ce contexte, comment les équipes formation peuvent-elles faire un choix éclairé et adapté à leur contexte spécifique ?
Cousu main
Au crédit des contenus réalisés sur-mesure pour une entreprise, une cible, un niveau d’apprenant et un contexte de formation donnés :
- la personnalisation : le sur-mesure reflète et renforce la culture, les valeurs, et les méthodes de travail spécifiques de l’entreprise. Ce degré élevé de personnalisation favorise un alignement de la stratégie formation avec les objectifs business de l’entreprise et concourt à l’efficacité et au ROE (return on expectation ou retour sur les attentes) de la formation ;
- l’engagement de l’apprenant : la contextualisation des ressources pédagogiques à la situation spécifique de l’entreprise accroît l’opérationnalité de la formation et optimise la transposition des compétences acquises en situation de travail. Les collaborateurs perçoivent la formation comme directement liée à leurs missions quotidiennes et leur engagement et leur motivation s’en trouvent renforcés.
- thématiques de niche : il est souvent difficile de trouver des contenus de formation sur étagère qui couvrent des thématiques et adressent des compétences très spécialisées voire de niche. Or, disposer de contenus sur-mesure asynchrones, y compris sur des sujets très spécifiques peut être très utile dans une optique de classe inversée par exemple. Ils peuvent également constituer une réponse pertinente en just in time sur des éléments de rappel d’une offre ou d’un produit de l’entreprise.
Il en va de la formation comme de la mode, le sur-mesure a un coût qui s’exprime à la fois dans sa dimension financière, dans l’investissement temps des équipes internes et dans les délais de déploiement :
- les coûts et les délais : la création de contenus personnalisés exige généralement un investissement financier initial important. Le délai entre le brief de départ et la mise en production des ressources pédagogiques est généralement plus important que dans le déploiement de contenus sur étagère ;
- l’investissement temps : le temps des experts internes mobilisés dans la co-conception de contenus sur-mesure ne doit pas être sous-estimé. De nombreuses itérations sont nécessaires et renchérissent le coût du sur-mesure ;
- l’actualisation : alors que les contenus standards sont généralement mis à jour régulièrement par l’éditeur, la pertinence des contenus sur-mesure doit être réévaluée régulièrement par les équipes internes et peut conduire, s’ils ont été produits en externe, à investir à nouveau du temps interne et un budget pour cette opération de révision et d’adaptation.
Prêt à former
Les contenus sur étagère représentent une alternative pragmatique aux contenus sur-mesure, offrant rapidité et efficacité pour les services formation. Facilement accessibles, ils apportent une réponse immédiate à des besoins de formation transverse, mais également technique. Ainsi, des problématiques de gestion du temps, de gestion de projet, de prise en main d’un outil standard par exemple, peuvent-elles être parfaitement traitées avec du sur étagère.
Au crédit des contenus sur étagère, le rapport coût-efficacité : souvent moins onéreux, ces contenus standards permettent aux entreprises, de maîtriser leurs budgets formation tout en proposant une montée en compétences efficace dès l’identification d’un besoin. Il est essentiel dans ce contexte de standardisation de s’assurer de la qualité des contenus et de l’adéquation avec les objectifs précisément définis conjointement par l’équipe formation et le manager du ou des collaborateurs à former.
Le principal inconvénient réside dans leur nature générique. Ils ne tiennent pas compte des spécificités de chaque entreprise, que ce soit en termes de culture, de processus internes ou d’objectifs très spécifiques. La transposition des connaissances en compétences opérationnelles est plus délicate par l’apprenant qui aura suivi un parcours non contextualisé à ses problématiques spécifiques.
Pour nuancer le propos, certains éditeurs de contenus offrent, depuis de nombreuses années, aux services formation, la possibilité d’enrichir les contenus sur étagère et d’y ajouter des éléments de contextualisation, des contenus relatifs à leurs process, culture et de façon générale à leurs spécificités internes. Depuis plus de 10 ans, Demos, par exemple, laisse à ses clients, cette capacité d’hybridation des contenus sur-étagère dits “standard adaptables” par adjonction de ressources ou spécificités “maison”.
L’équilibriste
Opter pour le développement de contenus sur-mesure ou intégrer des contenus sur étagère est une question d’équilibre et de définition fine du besoin, de la cible et des objectifs pédagogiques mais également de formation. Quelques pistes de réflexion :
- prioriser : identifier les domaines où la personnalisation apportera le plus de valeur et concentrer les efforts sur ces domaines. Cela peut impliquer de personnaliser des formations pour des rôles clés ou des compétences critiques pour l’entreprise ;
- miser sur l’UGC (user generated content) : encourager le développement de contenus en interne par les experts de l’entreprise peut réduire les coûts tout en garantissant une personnalisation et une pertinence dans le contexte de l’organisation. Attention toutefois à ne pas négliger le temps nécessaire aux experts mais également, pour garantir la qualité de la formation, la nécessité de créer un véritable workflow de création et de validation des ressources produites dans ce cadre ;
- définir des KPIs : avant de lancer un projet sur-mesure, il est intéressant de définir les indicateurs clés de performance de la formation afin d’objectiver l’investissement en amont et de mesurer le ROE (return on expectations ou retour sur les attentes) en post formation ;
- créer des parcours hybrides : combiner contenus sur étagère pour les savoirs et savoir-faire fondamentaux et enrichir le parcours de mises en situation ou de simulations contextualisées à l’entreprise peut constituer une piste.
2. Faut-il vraiment choisir ?
Une approche hybride, combinant sur-mesure et sur étagère dans un parcours de formation, peut permettre de tirer parti des avantages des deux typologies de contenus tout en minimisant leurs inconvénients. L’ingénierie pédagogique visera à équilibrer la pertinence spécifique des contenus sur-mesure avec la richesse et la diversité des contenus sur étagère, tout en maintenant l’intérêt et la motivation des apprenants.
Avant de concevoir le parcours, une évaluation précise des besoins permettra d’identifier les moments clés d’introduction de contextualisation sur-mesure ainsi que les savoirs, savoir-faire ou savoir-être qui nécessitent une personnalisation au contexte professionnel et organisationnel de l’apprenant, dans le but d’optimiser l’opérationnalité de la formation.
Développement
Les contenus sur étagère constituent un socle de formation avec des ressources dédiées aux compétences fondamentales, aux bonnes pratiques générales, aux problématiques communes… Les contenus sur-mesure ont vocation à adresser les connaissances et compétences directement liés aux activités, process, outils, culture, spécifiques à l’entreprise (logiciels spécifiques, processus internes, stratégies commerciales, offres…).
Dans les contenus sur-mesure, le ton, les exemples, les formats sont de véritables éléments d’engagement de l’apprenant et d’opérationnalité de la montée en compétences. Il est primordial de bien définir sa cible, le nombre de personnes à former et les objectifs pour les déterminer avec précision. Intégrer le manager de ou des équipe(s) à former dans cette réflexion constitue un gage d’adéquation et d’atteinte des objectifs.
Pour assurer la cohérence du parcours, les contenus sur-mesure et sur étagère doivent être homogènes et éditorialement cohérents (identité de ton, de niveau de langage, identité graphique…) pour éviter les ruptures, généralement perturbantes pour l’apprenant.
Séquençage et ingénierie pédagogique
L’articulation contenus sur étagère et contenus sur-mesure est fondamentale et découle des partis-pris pédagogiques qui doivent avoir été préalablement définis et assumés :
- le service formation souhaite-t-il partir d’exemples ou de situations professionnelles réels rencontrés dans l’entreprise, pour poser et contextualiser la problématique, auquel cas les contenus sur-mesure seront placés en amont des contenus sur étagère ?
- ou inversement partir d’éléments plus généraux puis illustrer le propos à l’aide de situations réelles de l’entreprise, auquel cas les contenus sur-mesure seront placés en aval des contenus sur étagère ?
De la même façon, les contenus sont-ils 100% asynchrones ou le parcours mixte-t-il synchrone et asynchrone auquel cas, les contenus sur-mesure seront de préférence délivrés en synchrone pour maximiser la projection en situation réelle et l’opérationnalité de la formation ?
Dans tous les cas et quels que soient le parti-pris et le dosage entre sur-mesure et sur étagère, le parcours sera progressif en termes de niveau de difficulté.
Côté évaluations formative et sommative, il est important d’articuler des quiz de connaissances liés aux contenus sur étagère pour mesurer la mémorisation et la compréhension des concepts fondamentaux, avec des mises en situation sur-mesure, tirées de retour d’expérience et de cas concrets rencontrés par les collaborateurs.
Les questionnaires d’évaluation à chaud et à froid permettront d’ajuster, le cas échéant, le séquençage et la part de chaque type de contenus. Certaines questions doivent être libellées dans cet objectif.
Enfin, l’introduction de chatbots basés sur des IA génératives permet aujourd’hui d’envisager différemment la segmentation et l’ingénierie des parcours constitués de sur-mesure et de sur étagère.
3. IA plus qu’à…
L’avènement des technologies IA génératives modifie la nature et la segmentation des contenus de formation. Désormais, l’IA déconstruit les modèles, rendant les frontières entre sur-mesure et sur étagère de plus en plus floues et poreuses.
Les IA génératives offrent une personnalisation « automatisable et reproductible » (notamment en développant des modèles d’IA génératives contextualisés à un secteur voire à une entreprise ou en élaborant des prompts dont le formatage et la structure transforment le moteur en un agent entraîné à personnaliser certains types de contenus) qui pourrait bien, de fait, remettre en cause la pertinence de la distinction entre contenus sur-mesure et contenus sur étagère.
Les IA génératives, tels que les modèles de traitement du langage naturel ou de création d’images ou de vidéos, peuvent transformer la production de contenus de formation et générer rapidement des matériaux de formation personnalisés, d’adapter les contenus existants à des contextes spécifiques, ou même de créer des scénarios de formation séquencés, personnalisés voire individualisés et donc plus engageants.
Il en va de même pour la création d’évaluations personnalisées, par exemple en fonction de l’ancienneté du collaborateur dans l’entreprise, ou selon son parcours professionnel, pour mesurer la montée en compétences sur les seuls éléments nouveaux ou non maîtrisés. Les IA génératives peuvent prendre en compte non seulement les objectifs et le contexte de l’entreprise mais également les préférences, les objectifs personnels et les spécificités du profil de chaque apprenant. Ainsi selon les préférences de l’apprenant et le thème des contenus, les IA génératives peuvent-elles présenter un même contenu sur étagère sous des formats différents (texte, audio, vidéo, animation…) et favoriser l’accessibilité et l’inclusion de tous les apprenants. Le passage du sur étagère au sur-mesure total ou partiel est largement facilité.
Quelques précautions d’emploi
Cette capacité de personnalisation des contenus pédagogiques est source de rationalisation des coûts du sur-mesure asynchrone. Toutefois, si l’utilisation de ChatGPT ou consorts (en dehors de tout développement d’un moteur d’IA générative dédié) reste abordable financièrement, il ne faut pas sous-estimer le temps d’appropriation et de maîtrise du prompt pour obtenir un rendu aligné avec les objectifs et les besoins en termes de contenus pédagogiques.
Enfin, les IA génératives posent de nombreuses questions éthiques et de fiabilité qui doivent exclure tout angélisme de l’équipe formation :
- côté qualité et malgré les progrès constants des IA génératives, la question de la fiabilité et de l’exactitude des informations reste cruciale et d’actualité, tant il est vrai que l’IA est capable d’halluciner et de fournir des informations ou des sources parfaitement fausses. En effet, les erreurs ou les biais dans les données d’entraînement peuvent se refléter dans le contenu généré ;
- côté éthique, l’utilisation des IA dans la production de contenus soulève des questions de droits d’auteur et d’authenticité. Qui est le véritable « auteur » d’un contenu généré par IA ? Comment assurer que le contenu respecte les normes éthiques et légales, surtout en matière de plagiat ou de contrefaçon ? Les éditeurs pourraient devoir adapter leurs stratégies pour garantir que leurs contenus restent pertinents et conformes aux réglementations en vigueur.
Dans le contexte actuel marqué par les avancées des IA génératives, la distinction classique entre contenus personnalisés et standards perd de sa pertinence. Ces technologies ouvrent la voie à une hybridation des atouts de la personnalisation et de la standardisation, engendrant des méthodes de formation plus souples, adaptatives et axées sur l’apprenant. Les professionnels du domaine doivent saisir cette transformation, exploitant les IA pour concevoir des parcours d’apprentissage enrichissants et ciblés, répondant aux défis et opportunités de l’environnement professionnel d’aujourd’hui.
4. Quelques questions à l’heure du choix
Chaque typologie de contenus, chaque mode de production (sur-mesure, sur étagère, via IA) présente bien évidemment des atouts et des freins.
Si l’on devait retenir quelques critères fondamentaux pour choisir (ou ne pas choisir d’ailleurs) entre contenus sur-mesure et sur étagère, on pourrait citer :
- la spécificité des besoins : plus les besoins sont spécifiques à l’entreprise, aux produits, ou aux processus, plus les contenus sur-mesure sont pertinents ;
- le budget et les ressources : les contenus sur étagères sont souvent plus abordables et nécessitent moins de temps et de ressources lors des phases de déploiement ;
- la qualité et l’expertise : évaluer l’adéquation aux objectifs de l’entreprise, la qualité et l’expertise derrière les contenus sur étagères est essentiel ;
- le délai de déploiement : les contenus sur étagères sont disponibles immédiatement. Ce point est crucial si la formation doit être déployée rapidement.
Pour nourrir vos réflexions et vous guider dans vos choix nous vous proposons, dans ce dossier, le point de vue de différents acteurs du marché, avec lesquels nous collaborons régulièrement pour renforcer nos convictions. N’hésitez pas à les interroger !