1.
De l’aéronautique à la rédaction web : le double effet KISS cool

2.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

3.
Lisibilité visuelle : ayez l’oeil

4.
Lisibilité cognitive : « ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement… »

5.
Les principes de Mayer

Commençons par enfoncer une porte ouverte : apprendre sur écran n’est pas apprendre sur papier. Des siècles d’étude et de lecture sur support imprimé ont forgé nos habitudes et façonné nos stratégies d’appréhension, de mémorisation et de digestion de l’information. Transporter le savoir sur un écran, quel que soit sa taille, modifie les mécanismes visuels et cognitifs de traitement de l’information.

On ne lit plus, on scanne. On ne tourne plus des pages, on navigue. On n’écrit plus, on clique, on copie et on colle. Conséquence : vitesse de lecture ralentie, repères spatiaux perturbés, fatigue visuelle accrue, autant de phénomènes qui amènent le concepteur pédagogique à adapter sa production à la lecture sur écran et à la navigation dans un parcours. Mais le tableau n’est pas noir pour autant… Efficacité, adaptabilité, accessibilité, interactivité, le digital a ouvert nos horizons, diversifié nos sources de connaissances et multiplié nos occasions d’apprendre.

Dans ce contexte, pour maximiser l’efficacité des ressources pédagogiques, quelques précautions s’imposent. Clarté, accessibilité, lisibilité, confort, pertinence par rapport à l’objectif… En un mot, simplicité !

Quelques pistes pour faire simple, sans faire simpliste.

1.
De l’aéronautique à la rédaction web : le double effet KISS cool

Dans les années 60, Kelly Johnson, ingénieur chez Lockheed, entreprise de conception de matériels militaires, a une révélation. Les matériels conçus doivent être suffisamment simples pour être réparés par un soldat sur un champ de bataille, qui maîtriserait uniquement les bases de la mécanique. Le principe KISS est né.

« Keep It Simple, Stupid » ou KISS. Loin d’être désormais cantonné à l’aéronautique ou à l’informatique, le concept fait désormais partie des mantras du Design et a en outre infiltré largement la communication digitale et le marketing web.

Mais attention, simple ne signifie pas simpliste. Les sujets les plus ardus peuvent être abordés simplement. Les métaphores peuvent y aider pour raccrocher l’explication à une notion, une expérience, une anecdote connue de l’apprenant. Un propos simple permet à quiconque de comprendre. A l’inverse, le propos simpliste va induire en erreur, omettre des éléments fondamentaux et induire des biais dans le jugement de l’apprenant.

La simplicité sous-entend d’adapter son vocabulaire, son raisonnement et le rythme de sa progression pédagogique à l’apprenant. Découvre-t-il la notion ou lui est-elle déjà familière ? Quel est l’objectif visé ? Analyser et connaître sa cible est fondamental pour adapter son niveau de langage et son raisonnement dans le but d’être compris. En digital learning, les contraintes et effets de l’apprentissage sur écran doivent également être pris en compte. Le contexte numérique renforce le besoin de simplicité, de concision et in fine de lisibilité. C’est d’autant plus vrai avec le développement et le succès du mobile learning qui impose une rédaction courte, simple et très granularisée pour obtenir une compréhension et une mémorisation efficace.

La méthode KISS appliquée à la rédaction sur écran préconise donc la simplicité du texte mais également de la conception générale de la ressource et du parcours au regard des modifications qu’engendre l’écran sur notre rapport à l’appréhension de l’information.

2.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

La première différence entre un écran et le papier tient à la luminosité. Les écrans rétro-éclairés provoquent une fatigue visuelle. Vision plus floue, sécheresse de l’œil voire migraines sont les symptômes les plus fréquents que supporte la quasi-totalité des personnes qui passent plus de 3 heures par jour sur un écran. Ces symptômes ont été analysés et caractérisent un syndrome baptisé CVS – Comptuer Vision Syndrome. D’où la nécessité d’un travail sur la lisibilité visuelle de l’information.

Autre différence majeure, le repérage spatial de l’information sur un écran est déstabilisant pour l’œil humain. Lire sur papier revient à mémoriser la place des mots clés, des schémas pertinent sur un espace strictement délimité : celui de la feuille de papier. La lecture sur écran entraîne souvent une perte des repères spatiaux et une désorientation cognitive due à la profondeur de la navigation et/ou au scrolling. Une page imprimée comportent rarement plus de deux niveaux de lecture : le texte et les encadrés ou les images. En revanche un écran peut contenir, grâce à l’hypertexte (images, textes, sons, vidéos) et les liens cliquables, de nombreux niveaux de lecture. En l’absence de vision globale de la construction du contenu, l’apprenant peut vite se retrouver perdu en navigant. Retenons que l’œil voit d’abord l’ensemble avant de voir les parties constitutives de cet ensemble.

Dans ce contexte, la mémorisation peut s’en trouver altérer avec une sur-mobilisation de la mémoire à court terme (qui, rappelons-le, peut difficilement appréhender plus de 7 items). Dans ce cas, l’information ne pourra pas passer de la mémoire à court terme, à la mémoire de travail puis à la mémoire à long terme.

Pour éviter cette saturation de la mémoire à court terme, la construction des pages doit permettre à l’œil de regrouper et associer les notions en blocs présentant une cohérence de sens et rester dans les limites humaines d’absorption mnésique. Ainsi sommes-nous capables de retenir un numéro de téléphone qui compte plus de 7 chiffres en associant les chiffres par bloc de 2 (le nombre d’items à retenir est ainsi inférieur à 7).

La structure de l’information est identifiée par l’œil dès la fixation de l’écran. Ce travail d’appréhension globale de la page permet à chacun d’élaborer une stratégie de lecture ordonnée qui va lui permettre de comprendre ce qu’il lit.

Ces quelques phénomènes induits par l’écran (il en existent d’autres) entraînent un ralentissement de la lecture sur écran par rapport à la lecture sur papier. On estime que la lecture sur écran est 25 % plus lente que la lecture sur papier. L’organisation de la page doit donc être évidente et le texte présenter un simplicité et une concision propres à éviter un engorgement de la mémoire à court terme. On estime que, pour prendre en compte le ralentissement de 25 % de la vitesse de lecture sur écran, il faut réduire son texte d’environ 50 % par rapport à ce que l’on aurait rédigéer pour un support imprimé.

Tout ce qui peut simplifier la lecture sur écran est donc à privilégier. Il s’agit donc de travailler la lisibilité des ressources présentées à l’apprenant. La lisibilité est généralement définie comme la faculté d’un texte à être décrypté et lu rapidement, à être compris sans recours à un aide extérieure et à être mémorisé.

Au vu de cette définition, la lisibilité peut ainsi être appréhendée au travers de deux dimensions :

  • la lisibilité visuelle (présentation graphique et typographique du contenu) ;
  • et la lisibilité cognitive (intelligibilité du contenu).

3.
Lisibilité visuelle : ayez l’oeil

Faire simple, c’est d’abord assurer à l’œil la meilleure perception de l’environnement et du design du parcours. Graphisme de l’interface, choix des caractères et des couleurs, enrichissements… Il est difficile de définir des règles scientifiques en matières de présentation visuelle des informations, tant la lisibilité est un ensemble de paramètres cohérents et d’habitudes et de préférences de l’apprenant. Quelques pistes de réflexion…

Police : papier ou sans papier ?

Au niveau du contenu, le choix de la typo et des couleurs doit assurer un confort et une accessibilité optimale. Sur papier, les polices avec empattements (Times, Georgia…) dites polices «  serif » sont considérées comme plus lisibles que les polices sans empattement, dites « sans serif » (Arial, Helvética…). Sur écran la controverse fait rage… Les polices « serif » peuvent avoir tendance à « baver » sur des écrans de résolution moyenne. En effet, les pixels sont carrés, ce qui signifie que les polices à empattements, qui possèdent plus de courbes, peuvent avoir un rendu moins propre. Mais ces polices « sans serif » sont tout de même privilégiées.

La taille des caractères doit rendre le texte lisible au premier regard. La lisibilité et le confort oculaire dépendent à la fois de la taille des caractères, de la taille de l’écran et de la distance œil-écran. A vos calculette !

De façon plus générale, le corps 10 semble un minimum.

Les enrichissements (gras, italique) sont à manier avec précaution. Le gras reste le plus évident et le plus lisible pour mettre en valeur un élément dans un texte. L’italique est plus difficile à lire.

Les majuscules sont également à utiliser avec parcimonie. Le texte en majuscule a une lisibilité diminuée. En effet les minuscules ont une forme plus marquée car les contours sont plus irréguliers et accrochent l’œil plus facilement. La majuscule peut donc relever soit de l’enrichissement pour mettre un mot en valeur, soit différencier les titres ou intertitres.

Contraste : évitez d’en voir de toutes les couleurs

Le plus confortable au niveau de la lecture d’un texte reste un contraste fort entre le texte et le fond. Le texte en noir sur fond blanc, très classique, est également celui qui fait consensus. Il se révèle moins fatigant et atténue les reflets.

Ce qui ne signifie pas que les couleurs soient à proscrire. Elles doivent être utilisées à bon escient et de façon harmonieuse, pour appuyer un mot clé, faire ressortir la structure de l’information, identifier un lien hypertexte… Elles auront souvent une signifiance pour l’apprenant qui cherchera à en faire un repère de lecture. Il est en général déconseillé d’utiliser plus de 3 couleurs différentes de celle du fonds.

A la ligne

L’œil ne lit pas les mots de façon linéaire de la même façon qu’il ne lit pas l’intégralité des mots mais uniquement les premières lettres. Le reste du mot est déduit en fonction de la phrase et du contexte. Il en résulte des allers-retours permanents et inconscients pour reconstituer un mot en cas d’ambiguïté. Les lignes de texte (on par le ici de la longueur des lignes et non des phrases) ne doivent donc être ni trop longues ni trop courtes. On estime, selon l’habiletél’habilité du lecteur, qu’une ligne doit être comprise entre 55 et 95 caractères, sans doute un peu moins selon la taille de l’écran et le device.

En repérage

Contrairement à la page d’un livre, l’absence de linéarité du contenu, la navigation hypertexte, le scrolling engendrent une perte de repères spatiaux. Ces repères sont fondamentaux pour pouvoir retrouver une information dans la page et mobiliser une mémoire spatiale qui serait directement liée à la capacité d’attention visuelle.

La charte graphique, la structuration en paragraphes courts et mis en valeur par des titres signifiants, l’ajout d’images constituent autant de point de repères sur la page. Il en va de même de l’alignement du texte à gauche (contrairement au texte justifié qui prévaut sur un support imprimé) qui créent des décrochés dans le texte et jouent le rôle de points d’accroche de l’oeil. Ces éléments sont autant de marqueurs visuels capables d’augmenter le niveau d’attention visuelle.

Mais la lisibilité d’un contenu ne se limite pas à sa présentation. L’intelligibilité du texte, donc sa compréhension, passe également par les partis pris éditoriaux et la structuration du contenu dans le parcours.

4.
Lisibilité cognitive : « ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement… »

Lire sur un écran va amener l’apprenant à effectuer des choix de navigation. Cette absence de linéarité est source d’engagement de l’apprenant dans ses apprentissages. Elle renforce l’interactivité. Elle oblige l’apprenant à relier les savoirs et les différentes ressources entre eux. En revanche, elle induit une plus grande charge cognitive liée au séquencement et à la navigation non linéaire. La structuration du parcours et de l’information doit donc être suffisamment signifiante et évidente pour l’apprenant. Cela facilitera ces opérations supplémentaires qu’impose un parcours digital par rapport au papier ou à une formation délivrée en salle par un formateur.

Outre la structuration, les choix sémantiques et l’adoption d’un vocabulaire simple et adapté aux profils de la communauté apprenante vont faciliter la compréhension et la mémorisation. C’est ici que l’expert va devoir réprimer son inclinaison naturelle à vouloir tout dire ou à « jargonner ».

Que l’on se souvienne de la ritournelle des nos professeurs de collège…

Là encore, pas de règles strictes, si ce n’est celle de se mettre à la place de l’apprenant qui découvre un contenu et quelques principes de base pour atteindre la simplicité et l’intelligibilité du contenu.

Donner un but à l’apprenant

Chaque ressource pédagogique porte une intention, un objectif qui préside à sa construction et à sa structuration. Rappeler l’intérêt de chaque ressource à l’apprenant lui permet de se projeter dans l’apprentissage. L’objectif pédagogique offre un but à l’apprenant et lui permet de relier connaissance proposée et compétence visée.

En résumé, donnez du sens à votre contenu.

Structuration du parcours et de l’information

La structure et l’arborescence du parcours doivent être évidentes et appréhendées immédiatement par l’apprenant. Elles doivent également rester accessibles tout au long du parcours pour que l’apprenant puisse situer sa progression et se repérer tout au long de sa formation.

Les informations fondamentales doivent être abordées en termes clairs et intelligibles en début de séquence selon la méthode de la pyramide inversée. Cette méthode consiste aller droit au but en délivrant les notions clés au début pour capter l’attention de l’apprenant et l’inciter à poursuivre. Elle s’apparente au chapeau en rédaction journalistique.

Granularisez votre contenu et privilégiez une idée ou une notion par grain pour favoriserz la mémorisation. Établissez des liens entre les différents grains de contenus.

Si la formation a pour objet un changement (de process, de réglementation, de technologie…), mettez en regard l’avant et l’après pour souligner la nouveauté et les changements de pratique qu’elle induit.

Mutlimodalité

Variez les formats pour maintenir l’attention et donner du rythme à la formation : un texte court, une vidéos d’illustration, un quiz, une fiche de synthèse sous forme de carte heuristique…

Linguistique

Préférez les phrases courtes : sujet, verbe, complément. Éliminez les mots superflus qui n’apportent rien à l’éclairage de votre propos. Employez des mots simples en excluant le jargon (sauf formation d’experts rompus à un jargon métier incontournable). Si le jargon est inévitable, expliquez le.

Évitez la voie active et, si le contexte le permet, adressez- vous directement à l’apprenant. Si vous avez le choix, adoptez la forme affirmative plutôt que la forme négative.

5.
Les principes de Mayer

Pour résumer cette idée de simplicité au service de la lisibilité des ressources et plus globalement de l’apprentissage digital, on peut reprendre les principes développés par Richard E. Mayer, spécialiste en psychologie de l’éducation pour maximiser l’apprentissage multimédia.

Principe de cohérence

Faites simple et concis ! Supprimez les informations qui ne sont pas essentielles à l’apprentissage, les mots superflus, les sons qui n’apportent aucune valeur ajoutée à la démonstration. Les contenus les plus efficaces sont ceux qui se concentrent sur une seule notion précise. Cette frugalité permet d’éviter une surcharge cognitive.

Principe de signalisation

Les informations mises en relief (gras, couleur, picto…) sont retenues plus facilement par l’apprenant. Les éléments visuels ou auditifs de mise en valeur d’une information guident l’attention de l’apprenant.

Principe de redondance

Présenter les mêmes informations selon deux modalités distinctes simultanément est peu mémorisable : produire un audio qui lit un texte affiché, par exemple. Mieux vaut afficher une image avec un audio d’accompagnement, quitte à rajouter sur l’image quelques mots clés, affichés au fur et à mesure du discours oral.

Principe de contiguïtés spatiale et temporelle

La proximité physique des informations de même nature (un texte et un schéma explicatif du texte) est plus efficace.

La synchronisation des images avec les audios ou les textes explicatifs associés maximise la mémorisation.

Principe de segmentation

Un découpage et une granularisation fine du contenu aide à la compréhension et à la rétention de l’information. Préférez 3 fois 5 minutes de vidéo qu’une fois 15 minutes. Cela évite la baisse de l’attention et la surcharge de la mémoire à court terme.

Principe de pré-entraînement

Mieux vaut introduire le vocabulaire de base et les notions clés dans une séquence introductive avant de présenter la séquence principale de formation. Lors de la séquence centrale, l’apprenant aura ainsi déjà les clés d’accès au contenu et la compréhension en sera meilleure.

Principe de modalité

Dans le cadre d’une séquence comportant une image commentée, mieux vaut utiliser un audio que du texte pour éviter la surcharge visuelle. Ce principe et très proche du principe de redondance.

Principe de la prévalence du multimédia

Les textes illustrés d’images, de schéma, de cartes heuristiques… seront assimilés plus facilement. La mixité des formats permet de jouer sur plusieurs l’association mots/images.

Principe de personnalisation

En matière de partis pris rédactionnels, préférez le style conversationnel direct plutôt qu’un style de discours formel. Cela concourtconcoure à la personnalisation de la ressource et participe à une meilleure rétention de l’information en engageant l’apprenant.

Alors ? Prêts à embrasser la simplicité ?