Quelle est la finalité d’une formation professionnelle continue, dispensée aux collaborateurs d’une entreprise ? Répondre aux besoins de développement de compétences de l’apprenant, tout en alignant ses apprentissages avec les objectifs stratégiques de l’entreprise. Cette synergie entre besoins individuels et aspirations organisationnelles participe au développement, à la croissance et, in fine, à la pérennité de l’entreprise.

Et concrètement ? Former efficacement implique d’engager l’apprenant et de maintenir son intérêt tout au long du parcours de formation. Sans motivation ou engagement, la formation devient une fastidieuse obligation qui ne permettra pas d’atteindre les objectifs. La finalité de toute formation est d’amener l’apprenant à mobiliser les savoirs, savoir-faire et savoir-être acquis en formation, dans le cadre de ses missions quotidiennes afin d’améliorer ou de transformer ses pratiques.

Dès lors, la scénarisation et la conception des ressources pédagogiques doivent être tournées vers l’opérationnalité et le développement de compétences directement applicables dans le quotidien professionnel. Or en formation professionnelle à distance et asynchrone ou très partiellement synchrone, l’apprenant n’aura que peu ou pas accès à l’expert.

Dans ce contexte, l’implication active des experts métier dans le processus de conception pédagogique est cruciale. La collaboration entre l’expert métier et les concepteurs pédagogiques crée un pont entre la théorie et la pratique, entre l’apprentissage et son application sur le terrain. Cette synergie rend la formation non seulement plus engageante, mais surtout, directement transposable en situation de travail, répondant ainsi au but de toute démarche de formation continue : doter les professionnels des outils nécessaires pour évoluer et performer dans leur métier.

Mais travailler avec des experts métier ne s’improvise pas. De la sélection du ou des profils d’experts à la définition des périmètres d’intervention, au cadrage des objectifs ou à l’extraction d’expertise et à l’adaptation de la production, la relation experts-équipe pédagogique relève d’une orchestration millimétrée. Et pour éviter toute cacophonie, l’équipe pédagogique doit tenir sa place de chef d’orchestre, tout en valorisant l’interprétation de l’expert. Cela signifie que le concepteur pédagogique doit rester flexible, ouvert aux idées des experts métier, tout en maintenant la cohérence pédagogique et en veillant à ce que chaque élément de la formation contribue à l’objectif d’apprentissage global.

Une alternative à l’expert métier choisi spécifiquement pour un parcours de formation donné, l’UGC (ou User Generated Content) ou faire concevoir les contenus de formation par les collaborateurs dans un process plus informel, en leur laissant la liberté de partager leur savoirs et savoir-faire avec leur pair. Nous ne traiterons ici que de l’expert métier encadré par l’équipe pédagogique et non de l’UGC.

1. Pourquoi concevoir avec des experts métiers ?

Le rôle des experts métier transcende largement la simple transmission de savoirs spécifiques à un domaine. Leur contribution permet d’articuler les trois types de connaissances identifiées par la psychologie cognitive : connaissances déclaratives, connaissances procédurales, et connaissances conditionnelles.

Par leur expérience et leur maîtrise, les experts jouent un rôle fondamental dans la conceptualisation et la mise en œuvre de formations qui ne se contentent pas de transmettre des notions, mais qui préparent véritablement les apprenants à opérer dans le monde réel.

Connaissances déclaratives : le savoir

Les connaissances déclaratives représentent le « quoi ».

Socle des savoirs théoriques, elles englobent les faits, les concepts, et les principes que l’on peut exprimer verbalement. Ces connaissances sont cruciales pour construire une compréhension de base dans n’importe quel domaine d’expertise et disposer des clés d’entrer dans une thématique, une pratique, un processus…. Elles constituent le soubassement sur lequel les compétences plus complexes peuvent être développées. Elles sont également essentielles pour le raisonnement et la prise de décision, fournissant le cadre nécessaire pour évaluer et utiliser les connaissances procédurales et conditionnelles. Elles sont le royaume du pédagogue plus que de l’expert métier mais ce dernier joue un rôle dans l’adéquation du niveau de savoir dispensé, au regard des objectifs opérationnels de la formation.

Connaissances procédurales : le savoir-faire

Les connaissances procédurales traitent du « comment ».

Elles concernent la capacité à exécuter des actions, des tâches, ou des procédures, souvent de manière automatique ou inconsciente. Cette forme de connaissance est acquise par la pratique et l’expérience. Contrairement aux connaissances déclaratives, qui sont relativement statiques, les connaissances procédurales sont dynamiques et souvent difficiles à verbaliser. Le développement de connaissances procédurales permet non seulement une exécution plus efficace des tâches mais aussi une meilleure adaptation aux nouvelles situations, grâce à la capacité de transférer et d’adapter des compétences acquises à de nouveaux contextes. C’est dans ce domaine que l’expert révèle toute sa valeur. Sa capacité à transformer le savoir en savoir-faire, permet à l’équipe pédagogique de concevoir et de proposer des ressources et des activités formatives opérationnelles, guidant les apprenants à travers le processus souvent complexe de l’application pratique des principes théoriques.

Connaissances conditionnelles : le pouvoir faire

Les connaissances conditionnelles sont stratégiques et représentent le « quand » et le « pourquoi » utiliser les savoirs et savoir-faire.

Elles impliquent la compréhension des conditions dans lesquelles certaines règles, principes, ou procédures s’appliquent. Elles sont essentielles pour l’application effective des connaissances déclaratives et procédurales dans des contextes variés, permettant aux individus de prendre des décisions éclairées et d’agir de manière appropriée selon les circonstances. En situation de travail, les connaissances conditionnelles permettent aux individus de naviguer dans des environnements de travail en évolution rapide, en choisissant les stratégies et les actions les plus adaptées aux objectifs et aux contraintes spécifiques de chaque situation.

Les connaissances conditionnelles soulignent l’importance du jugement et du raisonnement contextuel dans l’apprentissage et l’exécution des tâches. Par exemple, dans le domaine médical, un professionnel de santé utilise ses connaissances conditionnelles pour déterminer le meilleur traitement pour un patient en considérant à la fois les symptômes décrits et constatés et le contexte personnel du patient (comme son historique médical, ses conditions de vie…). Dans ce contexte, l’expérience de l’expert métier permet de contextualiser les exemples et les cas pratiques et d’individualiser les parcours en fonction des missions, des secteurs, des impératifs des apprenants.

Interconnexion des trois types de connaissances

Les recherches en psychologie cognitive et en éducation mettent en évidence l’importance de l’interconnexion de ces trois types de connaissances pour favoriser un apprentissage profond et durable. Les pédagogies actives, comme l’apprentissage par projet, les serious games, et les simulations, sont particulièrement efficaces pour cela. Elles engagent les apprenants dans des situations crédibles où ils doivent appliquer leurs connaissances déclaratives et procédurales tout en réalisant des choix stratégiques basés sur des connaissances conditionnelles.

Pour les experts métier et les concepteurs pédagogiques, reconnaître l’importance de ces trois types de connaissances conduit à des approches pédagogiques plus nuancées et efficaces. Cela implique de créer des environnements d’apprentissage qui non seulement transmettent des savoirs (connaissances déclaratives) mais qui facilitent également l’acquisition de compétences (connaissances procédurales) et permettent le transfert en situation de travail spécifique (connaissances conditionnelles).

3. Sélectionner un expert métier : une alchimie complexe

Le processus de sélection d’un expert métier pour un projet de formation va bien au-delà de la simple évaluation d’une expertise technique. C’est un délicat équilibre entre compétences techniques et qualités humaines.
Cette sélection implique de disposer en, amont d’une définition claire des objectifs de la formation et du public cible, d’apprécier la capacité de l’expert à séparer le fondamental, l’important et l’accessoire dans sa pratique professionnelle, et à porter une attention particulière à sa disponibilité et à la bienveillance dont il saura faire preuve face au béotien (le concepteur pédagogique).

Avec une approche méthodique et des critères de sélection bien définis, les équipes formation peuvent s’assurer de choisir un expert qui non seulement possède les compétences nécessaires mais se révèle également capable de les transmettre efficacement, garantissant ainsi le succès de la formation.

Pour autant, trouver l’expert métier (en interne pour du sur-mesure ou en externe pour du sur-étagère) qui saura apporter tout son savoir, son savoir-faire et son savoir-être au développement du parcours de formation ne veut pas dire chercher un mouton à cinq pattes. Pour éviter de se perdre dans des exigences irréalistes, voici quelques éléments de profil à prendre en compte.

Une expertise reconnue et une volonté de partager

Au-delà d’une maîtrise approfondie de son domaine, son métier, ses missions, l’expert se distingue par sa volonté de partager son savoir et son savoir-faire et de contribuer au développement des compétences de ses pairs. Intervenir comme expert métier en conception pédagogique est un acte volontaire qui nécessite du temps et de l’énergie. Une mission imposée par l’entreprise et subie par l’expert ou son manager conduit inexorablement à l’échec.
C’est aussi un test d’ego ou de lâcher prise pour accepter de voir ses propos, ses exemples, ses démonstrations, transformés et adaptés avec un vocabulaire moins technique, une structure différente, un format non imaginé au départ…

Quelques exemples de questions à poser à l’expert lors du premier échange :

  • Racontez-moi deux situations où vous avez partagé votre expertise avec des collègues, un nouvel embauché, votre manager…
  • Avez-vous déjà rencontré des résistances ou des difficultés en partageant votre expertise ? Comment les avez-vous surmontées ?
  • Qu’est-ce qui vous motive à vouloir partager votre expertise avec d’autres ?
  • Comment vous assurez-vous de rester à jour avec les dernières évolutions dans votre spécialité ?

Imaginons un projet de formation sur le management interculturel. L’équipe pédagogique doit choisir entre Sarah et Tom. Sarah a animé plusieurs ateliers sur le management interculturel avec de très bons retours, utilisant des méthodes interactives et des études de cas pour engager ses participants. Tom, quant à lui, a une expérience de terrain bien plus avérée que Sarah. Il a travaillé dans divers pays et cultures. En revanche, il n’a jamais formé d’autres personnes.

L’équipe a organisé une session de présentation où Sarah et Tom ont chacun eu l’opportunité de présenter un sujet de leur choix à un petit groupe. Sarah a choisi de simuler une négociation entre des partenaires commerciaux de cultures différentes, engageant activement son public dans le processus. Tom a partagé une anecdote personnelle sur un défi interculturel qu’il avait rencontré, mais sans interaction ou structure pédagogique claire.

Qui choisir et pourquoi ? Devant la capacité de Sarah à engager son public et à lui faire passer les bons messages, l’équipe décide de l’intégrer au projet. Pour maximiser son impact, l’équipe propose également à Tom de contribuer en tant que consultant, partageant ses expériences et anecdotes pour enrichir le contenu de la formation. Cette approche permet de combiner l’expertise technique pointue de Tom avec les compétences pédagogiques de Sarah, créant un contenu riche et diversifié.

Une capacité à formaliser son expertise

L’expert doit être en mesure d’analyser ses pratiques professionnelles pour formaliser et structurer ses connaissances et ses actions quotidiennes, de donner des exemples, d’illustrer ses propos. Cette compétence est cruciale pour transmettre son expertise de manière opérationnelle et accessible à l’ensemble du public cible de la formation.

Quelques exemples de questions à poser à l’expert lors du premier échange :

  • Avez-vous déjà eu à concevoir ou à animer une formation ? Pouvez-vous nous décrire cette expérience ?
  • Comment adaptez-vous votre discours technique pour le rendre accessible à un auditoire non expert ?
  • Expliquez-moi en trois phrases/ trois minutes, la notion de… : choisir un sujet lié à la formation et demander à l’expert de l’expliquer pour évaluer sa capacité à transmettre en termes simples et adaptés

La disponibilité : un critère qui ne devrait pas faire débat

Un expert sur-sollicité, malgré son expertise et sa bonne volonté, risque de ne pas être en mesure de s’investir pleinement dans le projet de formation. Cette limitation peut compromettre la qualité et la cohérence du contenu développé, entraînant une « dépriorisation » nuisible de cette mission pour lui accessoire. Il est donc essentiel de s’assurer de la disponibilité de l’expert et de son engagement envers le projet dès les premières phases de sélection.

D’autant que la conception d’un parcours de formation s’appréhende plus comme un marathon que comme un sprint. En effet, le délai de production d’un parcours de formation peut s’étendre sur plusieurs semaines ou mois, période durant laquelle l’expert métier doit rester pleinement engagé et efficace. Cet aspect souligne l’importance de choisir un professionnel qui non seulement accepte, mais aussi embrasse cette perspective, prêt à s’investir sur le long terme sans céder à la lassitude ou perdre en productivité. Ce point est particulièrement délicat à évaluer de prime abord avec un expert métier que l’on sollicite pour la première fois.

Les questions à poser à l’expert lors du premier échange :

  • Comment envisagez-vous de concilier vos missions quotidiennes avec votre implication dans ce projet de formation ?
  • Votre manager est-il au courant de votre potentielle participation dans ce projet ? Avez-vous pu échanger avec lui sur une adaptation de votre charge et de vos objectifs, le cas échéant ?
  • Qu’est-ce qui vous motive particulièrement dans ce projet ?
  • Comment envisagez-vous de vous intégrer et de rester engagé dans ce projet de formation sur plusieurs semaines ou mois ?

Emma est une experte en développement durable, retenue pour collaborer à un projet de formation sur le sujet. Pour s’assurer de son engagement continu, l’équipe projet a mis en place des réunions hebdomadaires de suivi où Emma peut partager ses avancées, ses idées mais aussi ses doutes et ses hésitations et recevoir des retours constructifs. Lors d’une de ces réunions, Emma a exprimé sa frustration concernant la simplification excessive de certains de ses contenus, craignant que cela ne nuise à la précision des informations transmises.

Action Concrète : L’équipe pédagogique a immédiatement organisé un atelier collaboratif avec Emma pour trouver le bon équilibre entre précision technique et accessibilité. Ensemble, ils ont développé des activités interactives qui permettaient d’explorer les concepts en profondeur tout en restant engageantes pour les apprenants. De plus, l’équipe a mis en place un « coin de l’expert » dans le module de formation, où Emma pouvait partager des éléments supplémentaires et des études de cas avancées pour les apprenants désireux d’approfondir leurs connaissances. Cette approche a non seulement résolu les préoccupations d’Emma mais a également enrichi l’expérience d’apprentissage pour les participants.

Le dilemme central réside souvent dans la balance entre l’excellence technique et la compétence pédagogique. Faut-il privilégier le savant dont la réputation dans son domaine est incontestée mais qui peine à transmettre son savoir ? Ou opter pour un expert certes moins éminent, mais dont l’aptitude à expliquer, à vulgariser et à engager est avérée ? La réponse n’est pas simple et dépend en grande partie des objectifs spécifiques de la formation. Un programme visant à inculquer des connaissances de pointe à un public déjà très spécialisé pourrait nécessiter le premier profil, tandis qu’une formation axée sur l’application pratique et l’intégration de nouvelles compétences par des novices bénéficierait davantage du second. De façon générale et dans le doute, il vaut souvent mieux privilégier le second profil.

3. Que faire avec un expert peu coopératif ?

Choisir son expert métier, prendre le temps d’en consulter plusieurs constituent une situation idéale à laquelle aspirent toutes les équipes pédagogiques. Force est de constater que la réalité de l’entreprise est souvent plus délicate, soit que l’expert soit imposé et peu engagé, soit que le choix se révèle en-dessous des attentes. Il peut arriver que l’on doivent composer avec un expert :

  • qui n’a pas le temps: souvent surchargé, cet expert peine à trouver du temps pour contribuer efficacement au projet de formation. La solution réside dans le travail du concepteur pédagogique pour formaliser le contenu et le soumettre à l’expert pour validation ;
  • qui n’a aucune appétence pour le projet : l’expert s’est vu imposer sa participation au projet et se montre réticent à partager son savoir. Ici, le concepteur doit user de tact et de stratégies spécifiques pour extraire les connaissances et compétences nécessaires, parfois en posant des questions très ciblées, parfois en valorisant son expertise plus fortement qu’à l’accoutumée, parfois en allant discuter avec le manager de l’expert pour identifier des leviers de motivation supplémentaires ;
  • qui ne parvient pas à formaliser son expertise : certains experts excellent dans leur domaine mais trouvent difficile de théoriser ou de formaliser leur savoir et leur savoir-faire. Le concepteur doit alors aider à structurer le savoir de l’expert, souvent en préparant un cadre ou un storyboard préliminaire pour faciliter la contribution de l’expert, par exemple ou en le filmant à son poste de travail pour procéder lui-même à la structuration de l’information.

Pour chaque type d’expert, des stratégies spécifiques peuvent être mises en œuvre :

  • Pour l’expert qui n’a pas le temps, planifier des sessions courtes mais fréquentes peut aider à intégrer la contribution de l’expert dans son emploi du temps chargé.
  • Pour l’expert qui n’a pas d’appétence pour le projet, établir une relation de confiance et montrer la valeur ajoutée de sa contribution pour la communauté d’apprenants peut encourager la collaboration.
  • Pour l’expert qui ne parvient pas à formaliser son expertise, utiliser des outils visuels comme les storyboards ou les schémas peut aider à structurer et à visualiser le contenu de manière plus accessible.

Chaque expert a ses spécificités, sa charge de travail et des objectifs propres totalement indépendants du projet de formation dont l’équipe pédagogique doit tenir compte. En comprenant les défis spécifiques de chaque expert, les concepteurs pédagogiques peuvent surmonter les obstacles à la collaboration et transformer efficacement l’expertise en contenu pédagogique enrichissant et pertinent.

4. Concevoir avec des experts métier : cadrer les objectifs

La transformation de l’expertise en parcours et en contenus pédagogiques engageants et efficaces est un processus complexe qui nécessite une approche méthodique.

Bénéfice : Assurer l’alignement de l’expertise avec les objectifs de formation évite de s’égarer dans des informations superflues, concentrant l’effort sur ce qui apporte la plus grande valeur ajoutée.

Une définition claire et partagée des objectifs renforce l’engagement de l’expert et du concepteur et assure une plus grande pertinence et efficacité de la formation.

Piège à éviter : Manquer de clarté dans les objectifs peut mener à un questionnement trop généraliste ou hors sujet. Ne pas sous-estimer l’importance de cette phase de préparation. Un manque de clarté ou de consensus sur les objectifs peut conduire à des désalignements futurs et à une perte de temps et de ressources.

Attentes de l’expert en début de collaboration :

  • Comprendre son rôle : Comprendre comment il contribue à l’objectif global de la formation
  • Clarifier sa contribution : Comprendre précisément ce qui est attendu de lui en termes de création de contenu et d’implication dans le processus de conception.
  • Visualiser les résultats : circonscrire les compétences et connaissances que les apprenants devront acquérir grâce à son expertise.

Attentes du Concepteur Pédagogique

  • Extraction efficace de l’expertise : Identifier les éléments clés de l’expertise qui seront les plus utiles pour la formation.
  • Définir les objectifs pédagogiques : Établir des buts clairs que la formation vise à atteindre, en tenant compte des limites temporelles, des ressources disponibles et du niveau des apprenants.
  • Alignement avec les besoins de l’entreprise : S’assurer que la formation répond aux exigences stratégiques et opérationnelles de l’organisation.

Comment définir les objectifs de la collaboration ?

  1. Workshop Initial : Organiser un atelier réunissant experts métiers et concepteurs pédagogiques pour une session de brainstorming. L’objectif est de partager vision et attentes, et d’initier une réflexion commune sur les objectifs de la formation.
  2. Utilisation de modèles de formalisation d’objectifs : A l’aide d’un modèle SMART (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste, Temporellement défini) par exemple, guider la définition des objectifs de la mission et du planning de la collaboration. Cela aidera à rendre les discussions concrètes et à structurer les idées.
  3. Mapping des compétences : Créer ensemble une cartographie des compétences ciblées par la formation. Cela implique de lister les compétences actuelles des apprenants et celles qu’ils doivent acquérir ou développer. Cette étape définit le niveau de départ des apprenants et les pré-requis, facilite la visualisation des écarts de compétences et aide à prioriser les objectifs.
  4. Définition des objectifs pédagogiques : À partir de cette cartographie de compétences, définir précisément ce que l’apprenant doit être capable de réaliser au terme de la formation. Chaque objectif doit être associé à une action concrète et mesurable, en employant des verbes d’action clairs.
  5. Validation croisée : Une fois les objectifs formulés, procéder à une validation croisée entre experts et concepteurs pour s’assurer de leur pertinence et de leur faisabilité. C’est aussi le moment de s’assurer que ces objectifs sont parfaitement alignés avec les attentes de l’entreprise.
  6. Documentation projet : Formaliser les objectifs dans un document partagé, qui servira de référence tout au long du processus de conception de la formation. Ce document initial est essentiel pour maintenir l’alignement et la motivation de tous les acteurs impliqués.

Cette première phase permet de poser des fondations solides à la collaboration entre experts métiers et concepteurs pédagogiques. Elle engage les deux parties dans un processus créatif et constructif, essentiel à la conception de formations impactantes et alignées avec les besoins réels des apprenants et de l’entreprise.

5. Concevoir avec des experts métier : l’extraction d’expertise

L’extraction d’expertise est la quintessence du travail du concepteur avec l’expert métier. Il se traduit par un processus méthodique au terme duquel les connaissances spécialisées, les compétences et les expériences de l’expert sont identifiées, clarifiées, et transposées en une forme structurée et accessible. Cette démarche vise à rendre l’expertise, souvent intériorisée et difficile à verbaliser par l’expert, en ressources pédagogiques explicitement accessibles et compréhensibles par l’apprenant.

On peut la décomposer en deux phases essentielles : l’exploration initiale et le questionnement ciblé, qui forment un continuum méthodologique visant à maximiser l’extraction d’expertise tout en minimisant les risques d’erreurs et de malentendus. Ces phases se concluent par une validation de la bonne compréhension par le concepteur.

Phase d’exploration

Objectif : Développer un terrain d’entente et de confiance entre le concepteur pédagogique et l’expert, permettant une compréhension globale du domaine d’expertise.

Méthodologie :

  • Rencontres préliminaires : organiser des sessions d’échange où l’expert métier présente son domaine, son parcours, et ses principaux axes de travail. Cela peut prendre la forme d’interviews informelles ou de discussions ouvertes ;
  • Observation directe : si possible, observer l’expert « en action » dans son environnement de travail. Cela permet de saisir la diversité de ses tâches au quotidien et d’appréhender les compétences mobilisées en situation de travail ;
  • Revue de documents : examiner les publications, les rapports, ou tout autre matériel produit par l’expert pour se familiariser avec son travail et son langage spécifique mais aussi avec sa capacité à structurer, formaliser et produire du contenu.

Bénéfice : Cette immersion dans l’univers de l’expert bâtit une base de compréhension mutuelle et soulève des interrogations, tout en évitant l’écueil de la surinformation en restant focalisé sur les objectifs pédagogiques à définir ensemble.

Phase de questionnement

Objectif : Approfondir et structurer la connaissance acquise lors de l’exploration initiale pour identifier des informations précises et exploitables pédagogiquement.

Méthodologie :

  • Préparation : sur la base de l’exploration initiale, préparer un guide d’entretien comprenant des questions ouvertes, fermées, et exploratoires, conçu pour explorer en profondeur les domaines d’expertise identifiés comme pertinents ;
  • Interviews structurées : mener des entretiens suivant le guide préparé, en veillant à laisser l’expert exprimer librement ses idées tout en orientant la conversation vers les objectifs pédagogiques. A défaut de disponibilité de l’expert pour des interviews synchrones, il est possible de préparer des briefs précis des questions et d’opérer en asynchrone. Attention ! L’expert métier n’est pas forcément à l’aise avec la rédaction. Suivant son profil il peut être préférable de lui demander de répondre avec des audios qui se révèleront souvent plus riches et de transcrire les audios avec des applis de speech to text. Cette méthode implique souvent pus d’itération.
  • Validation : Revenir sur les points saillants pour clarification et validation par l’expert, assurant ainsi l’exactitude et la pertinence des informations recueillies.

Bénéfice : Cette approche permet de canaliser l’exploration vers des résultats tangibles et directement applicables à la conception pédagogique, évitant ainsi le piège de questions trop larges qui pourraient mener à des discussions hors sujet.

En employant une démarche structurée et adaptative, les concepteurs pédagogiques et les ingénieurs pédagogiques peuvent maximiser l’intégration de l’expertise métier dans le développement de parcours d’apprentissage enrichissants et alignés sur les objectifs stratégiques de formation.

Cette approche, en établissant un dialogue constructif et en profondeur avec les experts, non seulement enrichit le contenu pédagogique mais renforce également les liens entre les experts et l’équipe de formation, assurant ainsi une collaboration fructueuse et continue.

Piège à éviter : se noyer dans le volume de contenus produit par l’expert et vouloir en conserver l’intégralité. Même si l’expert est prolixe et que l’ensemble de ses dires ou de ses écrits est intéressant, il est important de trier, découper, hiérarchiser, structurer toutes les informations. Il est également crucial de ne pas systématiquement utiliser tout le contenu produit. L’arbitrage est réalisé en analysant finement et à nouveau les objectifs pédagogiques, l’ingénierie pédagogique, la cible et son niveau. Le mieux est l’ennemi du bien !

Validation et clarification

Bénéfice : S’assurer que l’information recueillie est correcte, complète, et compréhensible implique de revenir sur certains points pour demander des précisions ou des exemples concrets.

Piège à éviter : Attention, expertise ne signifie pas infaillibilité. Accepter les explications, les exemples, les cas pratiques fournis par l’expert sans les remettre en question, ou ne pas chercher à clarifier les points ambigus est une erreur.

Une fois les éléments d’expertise recueillis et validés, la phase de conception des ressources peut commencer. Nous ne détaillerons pas ici toute la méthodologie de conception pédagogique. Néanmoins, un incontournable : au terme de la production des ressources pédagogiques de formats variés, une phase de recette par l’expert est indispensable pour s’assurer de l’absence de contre sens ou d’erreurs. Cette validation a en outre l’avantage de maintenir l’engagement de l’expert dans le projet et de valoriser son expertise.

6. En résumé

Une part significative du succès d’un programme de formation repose sur la synergie entre les concepteurs pédagogiques et les experts du domaine concerné. Ces derniers jouent un rôle essentiel dans l’élaboration des ressources pédagogiques. Cependant, le partenariat entre ces deux acteurs peut s’avérer complexe.

Les experts détiennent la maîtrise des compétences à développer chez l’apprenant (le « quoi »), tandis que les concepteurs pédagogiques excellent dans la méthode de transmission de ce contenu (le « comment »). L’expert du domaine contribue durant la phase de conception, fournissant le matériel documentaire nécessaire et les ressources éducatives. Le rôle du concepteur pédagogique consiste alors à guider l’expert tout au long du processus pour délivrer un contenu de formation qui soit à la fois exhaustif et aligné avec les objectifs d’apprentissage.

La check list avant d’entamer une collaboration avec un expert métier :

  • Le profil type : définir clairement les qualités attendues chez l’expert. Sélectionner l’expert approprié implique de déterminer précisément les critères relatifs à l’expertise recherchée, à l’expérience, à l’influence, à l’intérêt et à la disponibilité. Il est possible de faire appel à plusieurs experts ayant des contributions variées ; cette réflexion doit alors être menée pour chacun d’entre eux.
  • L’engagement temps : estimer avec précision et réalisme le temps nécessaire à la contribution de l’expert. Il est important de spécifier les tâches attribuées à l’expert et d’évaluer, aussi précisément que possible, leur durée de réalisation. Cela inclut la définition des différentes étapes du processus, la planification des réunions, et le temps nécessaire entre celles-ci pour la recherche, la révision et les retours. L’emploi du temps des experts est souvent surchargé, sous-estimer leur charge de travail est une erreur qui peut compromettre le bon déroulement de la conception.
  • Délimiter les périmètres : clarifier les rôles et responsabilités et impliquer l’expert dès le début. Le concepteur pédagogique doit établir tôt dans le processus son périmètre d’action, ainsi que celui de l’expert du domaine, qu’il s’agisse de la fourniture de contenu, de la révision ou de l’approbation. Cela permet d’établir et de communiquer le plan de projet en intégrant la contribution de toutes les parties prenantes. L’intégration précoce de l’expert aide à définir les objectifs d’apprentissage et les compétences que les apprenants doivent développer.
  • Pratiquer la plongée : le concepteur pédagogique doit se familiariser avec la thématique et les problématiques métier afférentes pour préparer efficacement l’entrevue avec l’expert. En effet, il est impossible d’obtenir des réponses satisfaisantes si l’on ne pose pas les bonnes questions. Une préparation sérieuse initie solidement la collaboration et établit la crédibilité du concepteur auprès de l’expert.
  • Prévoir un plan B : anticiper les risques et envisager des solutions de rechange. Si l’expert doit s’absenter, cela peut affecter le calendrier ou la qualité du projet. Il est important d’anticiper, autant que faire se peut, les indisponibilités de l’expert et d’imaginer avec lui des solutions.
  • Rester focus : les experts sont souvent passionnés et peuvent digresser ou surestimer l’importance de certains contenus. Le concepteur doit rester aligné avec les objectifs pédagogiques et aider l’expert à distinguer l’essentiel de l’accessoire. La capacité à synthétiser est fondamentale pour le concepteur, qui doit également sensibiliser l’expert aux implications de ses décisions vis-à-vis des délais et des coûts.
  • Valoriser l’expert : les experts consacrent du temps au projet en dehors de leurs obligations habituelles. La reconnaissance de leur investissement par une écoute active et des feedback réguliers est indispensable. De même, intégrer l’expert dans l’équipe et le tenir informé de l’évolution du projet est essentiel pour son engagement.