Pourquoi vous n’échapperez pas au phénomène ?
Le père Noël existe ! Mais il ne ressemble pas à ce vieux bonhomme en rouge qui a bercé notre enfance. Autres temps, autres mœurs, à Noël 2016, il se faisait appeler Alexa…
Noël 2016, Brooke, 6 ans, rêve d’une maison de poupée et de cookies. Alexa, petit boîtier connecté d’Amazon est posé sur la table du salon. Il clignote. Brooke s’approche. Elle lui confie son souhait : recevoir une maison de poupée d’une marque précise et des cookies. Alexa s’assure, en une question que c’est bien de cette maison de poupée et de cookies, que rêve la petite fille. Brooke confirme. C’est parti !
En quelques mots et pour la modique somme de 162 $, les parents de la petite américaine ont vite découvert le fonctionnement d’Alexa, le robot conversationnel d’Amazon et la réorientation lucrative des activités du Père Noël 3.0. La leçon méritait-elle un fromage (enfin des cookies, puisque l’histoire est américaine) ?
Entre Big Brother et la mélodie du bonheur, l’intelligence artificielle (IA en français et AI en anglais) débarque dans nos vies connectées. Encore très imparfaite, elle constitue un enjeu majeur pour les économies modernes. Parmi ses formes les plus anciennes, on connaissait déjà les chatbots (agents conversationnels) notamment par l’intermédiaire de SIRI, l’assistant vocal d’Apple. Aujourd’hui, le peuple des chatbots a une croissance exponentielle : présents dans nos messageries, sur nos sites, ils nous guident dans notre parcours clients et répondent à nos questions avec plus ou moins de pertinence. Et ce n’est que le début.
En éducation, les premiers tuteurs virtuels apparaissent. Encore timides, leurs réponses relèvent pour l’heure moins de la pédagogie que de Wikipédia mais ils apprennent vite ! Dans ce contexte, quelle place la formation peut-elle leur réserver dans les années qui viennent ?
Deux épisodes sinon rien !
Une fois n’est pas coutume, nous vous proposons un éclairage sur les chatbots en deux épisodes. Après avoir planté le décor et analyser les raisons de l’émergence et du développement rapide des robots conversationnels dans ce premier épisode, nous plongerons au cœur de l’usage possible des chatbots en formation dans l’épisode suivant.
1.
S’il te plait DESSINE MOI un CHATBOT
Avant de savoir quelle place leur réserver dans nos vies, nos usages de consommation voire dans nos apprentissages, faisons connaissance !
« On regroupe habituellement sous le terme d’« intelligence artificielle » un ensemble de notions s’inspirant de la cognition humaine ou du cerveau biologique, et destinés à assister ou suppléer l’individu dans le traitement des informations massives » Rapport France IA 2017 – Ministère de l’Économie (https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2017/Rapport_synthese_France_IA_.pdf)
Au-delà de la définition académique, à quoi ressemble la réalité ? Un chatbot est un programme informatique multiplateformes (web, appli, messagerie) et multi-devices (ordinateur ou smartphone) qui se présente souvent sous la forme d’un avatar ou d’un prénom dans votre fil de conversation sur le mobile et qui a pour ambition de converser de la façon la plus naturelle possible.
Certains passent par des conversations écrites, d’autres par la voix. Dans les faits, s’ils savent tous ou presque répondre à des interrogations basiques (la météo demain sur Paris, le restaurant chinois le plus proche de notre localisation…), ils sont peu diserts lorsque nos questions deviennent plus subtiles ou syntaxiquement complexes : tenter la double négation avec un chatbot vous révélera immédiatement ses limites langagières.
Dis moi comment tu causes, je te dirai qui tu es
En 1950, le mathématicien Alan Turing, précurseur des recherches sur l’intelligence artificielle, met au point un test mondialement connu : « le test de Turing ». Basé sur une épreuve consistant à faire dialoguer une machine avec un être humain (sans que ce dernier ne soit informé qu’il converse avec un programme informatique), le test est considéré comme réussi si la machine a réussi à dialoguer comme un humain (autrement dit sans que sa condition de machine ne soit découverte) durant au moins 30 % du temps sur un échange d’au moins 5 minutes.
Turing considérait qu’il faudrait environ 50 ans après la mise en place de son test pour qu’un programme d’IA soit capable de le réussir. C’est en fait 64 ans qu’il aura fallu patienter pour qu’Eugène Goostman, un programme imitant un adolescent ukrainien de 13 ans, réussisse à passer le test. A noter que cette réussite reste aujourd’hui controversée.
Chacun sa voix
Textuel ou vocaux, 2 grands canaux d’expression sont possibles dans les chatbots.
Les premiers interagissent en répondant par écrit aux questions posées par écrit par l’utilisateur. Ils sont en principe intégrés dans une application de messagerie de type Whatsapp, Slack ou Messenger.
Les seconds fonctionnent à la voix. Ce sont les Siri d’Apple ou notre fameuse Alexa d’Amazon intégrée dans un objet connecté. Ils analysent le discours, pratiquent la reconnaissance vocale et répondent à l’oral. Cette seconde solution, ne permet pas de conserver un fil de conversation est d’y revenir. Seule la mémoire de l’utilisateur fait foi. Quand à la mémoire du bot, elle varie selon l’algorithme qui le sous-tend et sa capacité à apprendre de façon autonome.
On est encore très loin de la compagne virtuelle du héro du film « Her », mais les freins technologiques se lèvent un peu plus chaque jour. Les agents conversationnels affinent leur langage, intégrant peu à peu des émotions dans leurs réponses. Apprendre à parler est une entreprise de longue haleine, qui demande des années à un enfant pour saisir toutes les finesses du langage, les doubles sens, les sous-entendus, les non-dits qui s’expriment dans le ton, le choix des termes et le contexte. Des études sont en cours pour intégrer ces dimensions et nourrir au mieux les chatbots. Car il s’agit bien de les nourrir de mots, de phrases et de contexte, puis de leur apprendre à apprendre.
2.
NOURRIR un CHATBOT : de quoi alimenter le DÉBAT
Il en est des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) comme des nouveaux parents : bien nourrir son bébé fait partie des questions existentielles. Les géants du web développent des chatbots depuis des années déjà. Aussi n’en sont-ils plus à l’aliment unique constitué de phrases toutes faites destinées à répondre à des questions précises et sémantiquement circonscrites. La phase de la diversification a démarré.
Pour l’un de ces projets de recherche, Google a misé sur les romans à « l’eau de rose » pour développer les fonctions langagières de certains de ces robots. En déversant, dans les bases de données sémantiques et syntaxiques, des milliers de ces romans dont la trame est commune et le sujet identique, Google espère introduire plus de naturel, de variété de ton et d’émotion dans le phrasé de ses chatbots. Cette stratégie permet pour le même sujet, d’implémenter des milliers de tournures de phrases différentes et de synonymes.
D’autres acteurs du secteur perfusent leurs derniers-nés de scripts de séries télé. Le principe est identique à ceci près qu’ils optent alors pour un langage parlé plus proche de la réalité quotidienne.
Ces voies d’apprentissage via la « culture » ont été théorisées par les chercheurs Mark O. Riedl et Brent Harrison. Aux termes d’une de leurs publications « Using Stories to Teach Human Values to Artificial Agents », ils expliquent qu’il est possible d’inculquer les valeurs sociales et morales généralement adoptées par les sociétés humaines au travers de corpus choisis d’œuvres littéraires et artistiques réalisées à travers le monde dans les différentes cultures.
En dehors des moyens colossaux des GAFAM, nourrir un chatbot nécessite d’avoir au préalable clairement identifié l’objectif du robot et sa cible pour identifier le bon ton, le bon registre de langue et le niveau de langage. Il convient de circonscrire le périmètre de la base de données des connaissances qui vont être injectées. Il est indispensable d’analyser les interrogations de sa cible, ses commentaires sur les forums, les questions reçues au service clients ou au service avant-vente pour identifier les principales interrogations et leurs différentes formulations ainsi que les réponses correspondantes. Le tout étant implémenté dans la base de connaissances du robot. Une fois les connaissances implémentées, le chatbot doit être pourvu d’arbres de décision pour parvenir à naviguer dans sa base de connaissances et à identifier la réponse pertinente à apporter à l’utilisateur. La base de connaissances nécessite une maintenance régulière pour enrichir les réponses possibles ou actualiser le discours du robot.
Étape suivante qui nécessite des moyens techniques et financiers bien supérieur : le machine learning (« apprentissage automatique » en français) ! Basé sur les recherches en intelligence artificielle, cette technologie permet au robot de s’auto-alimenter et d’apprendre en permanence. En s’appuyant sur le machine-learning, les chatbots sont ainsi capables d’apprendre des interactions avec les humains et d’enrichir leur vocabulaire, la contextualisation et la pertinence de leurs réponses pour s’approcher du langage naturel. Le langage naturel représente ainsi une problématique majeure et un véritable enjeu en intelligence artificielle.
Dans tous les cas, une fois ses limites de compréhension atteintes, il est préférable que le chatbot renvoie vers un interlocuteur humain afin d’éviter les réponses incongrues et totalement hors sujet, frustrantes pour l’utilisateur.
Alimenter un chatbot est donc une étape incontournable qui lui permet de cerner un sujet et d’apprendre en permanence jusqu’à pouvoir aller piocher, dans sa base de données, les réponses idoines.
Avec quelques ratés retentissants quand même dans les derniers mois, notamment en raison des capacités de machine-learning. En témoigne le badbuzz dont Tay, le chatbot de Microsoft a fait les frais. Le robot conversationnel, doté d’une IA enrichissait son vocabulaire et ses réactions au fil de ses échanges avec les internautes. Ces derniers ont réussi, en quelques heures seulement, en lui faisant répéter des phrases racistes et antisémites, a lui faire twitter des propos de cette nature. Quand le monde des chatbots découvre celui de l’homme grâce au machine learning…
3.
Le phénomène chatbots en CHIFFRES et en IMAGES
C’est incontestablement le mot du moment. Il y a un an Facebook annonçait l’ouverture de Messenger aux chatbots. Depuis, la colonisation des applis mobiles par les bots bat son plein.
En témoigne, l’évolution des recherches sur Google sur le sujet en général (courbe jaune) et sur les mots clés : chatbot (courbe bleue) et chabots (courbe rouge).
A noter, 2 pics de recherche : le premier en juin 2014 et le second en avril 2016 suite à l’annonce par Facebook de l’ouverture de Messenger aux développements de chatbots de marques tierces.
Depuis, le trend ascendant confirme l’intérêt, tout comme le nombre de bots désormais présents dans la messagerie instantanée de Facebook, soit 33 000 « individus » virtuels prêts à dialoguer.
Un peu d’histoire…
Plus d’un demi-siècle nous sépare de l’apparition des premiers chatbots. Pour la petite histoire, Eliza, premier agent conversationnel créé au milieu des années 60, entendait incarner un psychothérapeute. Il reformulait les propos du patient sous forme de questions qu’il lui adressait.
Eliza en action et en image :
Il aura fallu une révolution technologique et surtout l’acculturation de nos sociétés à l’univers des algorithmes et des avatars pour assister au développement du phénomène et commencer à lever les craintes d’une conversation avec un robot.
En image (source : www.quora.com), l’évolution des moyens de communication depuis les années 60…
…pour arriver aujourd’hui à une suprématie du sms et du chat sur l’e-mail (source : Admithub) :
Vous y avez échappé jusque là ? Ça ne va pas durer !
Il n’en reste pas moins que les chatbots ne sont pas encore passés dans les habitudes quotidiennes des Français.
Au terme d’une étude réalisée en novembre 2016 par le groupe Eptica, sur un panel de 662 consommateurs français, 54 % n’ont jamais entendu parler de chatbots (44 % pour la tranche 18-34 ans). Parmi les « affranchis » qui ont entendu parler du phénomène, seuls 19 % en connaissent réellement la définition et la finalité.
Pour 57 % des sondés, le principal avantage de agents conversationnels réside dans l’immédiateté. Obtenir une réponse en temps réel fait partie des principales attentes.
Pour 40 %, la technologie des bots reste encore mal maîtrisée et 46 % n’imaginent pas, du moins à court terme, que le chatbot puisse se substituer au contact humain. En revanche, 32 % des sondés y voient un réel avantage dans la gestion de la relation client.
4.
CHATBOT vs APPLI MOBILE : la bataille a commencé
Un chiffre intéressant dans l’extrait de l’infographie d’Eptica que nous venons de découvrir, même s’il reste encore modeste : 10 % des sondés déclarent voir dans le chatbot une alternative au téléchargement d’applications mobiles.
Notre quotidien est devenu mobile avec plus de 2H par jour passées sur notre petit écran tactile. Le smartphone est gros consommateur d’applications : il en existe plus de 4 millions sur les différents stores. Mais que l’on ne s’y trompe pas : sur les 36 applis installées en moyenne par tout un chacun, 59 % ne sont utilisées qu’une seule fois et 25 % ne sont jamais utilisées (Source : étude Sociomantic – avril 2016).
Au total, on n’utilise réellement que 5 ou 6 applications, en tête desquelles les applications de messagerie instantanée (Messenger, Whatsapp, Snapchat, Slack…). Les autres sont vouées à être désinstallées à plus ou moins brève échéance, la mémoire de nos téléphones n’étant pas infinie et les photos et vidéos que nous réalisons ayant leurs exigences en terme de place !
Le chatbot a l’avantage de se loger directement dans une application (de messagerie instantanée donc le plus souvent), sans besoin de téléchargement, ni de mise à jour, sans utiliser d’espace mémoire supplémentaire. Simplicité, rapidité, réduction de coût, le chatbot a beaucoup d’atouts à faire valoir. Cela ne signifie pas pour autant la mort de l’application. Nombre d’entre elles sont trop complexes pour devenir de simples chatbots : les jeux en sont une des meilleures illustrations.
Transformer ces applications de messagerie en « méta-hub conversationnel et marchand » où l’on pourra converser avec ses amis, tout en réservant un restaurant, en achetant la dernière paire de baskets en vogue ou en sollicitant le service-client d’une entreprise est le cheval de bataille de Microsoft. Le géant américain a laissé à Apple et Google le champ libre sur le terrain de la commercialisation et de la diffusion des applications mobiles. Conscient qu’il ne pourra pas rattraper son retard sur le terrain de la commercialisation d’applis, il entend prendre un train d’avance pour arriver le premier sur le terrain des robots conversationnels.
5.
Dans le PROCHAIN ÉPISODE…
Après les chatbots « vie quotidienne » qui nous donnent le nom du restaurant le plus proche ou la météo à 10 jours, les agents conversationnels deviennent des services à valeur ajoutée.
Le service clients est pionner en la matière. Les marques développent des bots conversationnels pour une meilleure gestion de la relation clients et une proximité 24/24 H. Aller à la rencontre de ses clients directement dans sa sphère privée d’échanges constitue visiblement un atout.
Autre service de l’entreprise qui prend possession du terrain des agents conversationnels : les RH. La gestion des congés, la diffusion des informations relatives au CPF, au télétravail via un chatbot se développe.
Et demain, pourquoi pas obtenir une réponse à une problématique en just-in-time par un coach pédagogique virtuel ?
Pour y voir plus clair, rendez-vous au prochain épisode de notre tour d’horizon du phénomène chatbot !