Avant de se demander en quoi la gamification peut aider votre organisation, il est utile de comprendre le pouvoir des jeux sur notre société.
Les jeux ont toujours fait partie de l’humanité.
Hérodote, philosophe grec (484-420 avant J.-C.) est souvent considéré comme le premier des historiens. Il nous nous raconte, dans les Histoires, comment les Lydiens (habitants de l’actuelle Turquie) se forcèrent à jouer de nombreuses heures chaque jour afin de détourner leur attention de la famine qui les frappait. Ils inventèrent à l’époque les dés et le jeu des osselets que certains d’entre nous ont connus.
Aujourd’hui les jeux vidéo prennent des formes plus variées mais ils restent fondamentalement cohérents avec ce que les générations ‘’pré ordinateur’’ ont connu.
Certains faisaient des courses de vélo, ils conduisent virtuellement aujourd’hui les plus belles voitures du monde. D’autres jouaient aux gendarmes et aux voleurs, ils se tirent dessus par le biais de « first person shooter ». Enfin certains jouaient aux Lego aux échecs, à la poupée, aujourd’hui ils s’expriment dans des jeux de construction, de puzzle ou de stratégie.
Le joueur n’est plus un adolescent boutonneux assis sur les bancs du collège ou de la fac
Avec un âge moyen de 38 ans et 49% de femmes en 2013, le joueur de jeux vidéo fait désormais partie intégrante de notre société, de nos entreprises. Le syndicat des éditeurs de jeux vidéo (SELL) estime que plus de 50% de la population française joue au moins 2 fois par semaine.
Que peut ont dire de l’industrie du jeu vidéo ?
Qu’en à peine 30 ans d’existence elle a atteint la même taille que celle du cinéma (95 milliards de dollars US annuels).
Que les chiffres d’affaires des plus gros jeux dépassent largement les chiffres du box-office des films les plus connus. La franchise de jeu la plus lucrative aurait dépassé les 12 milliards de dollars US de revenus à comparer avec 5.4 milliards de dollars US pour l’ensemble des films Star Wars.
Que les plateformes reines des années 80 et 90 (le PC et les consoles) sont aujourd’hui complétées par les smartphones, les tablettes et plus que tout Internet. Selon la « US software association » le nombre de joueurs augmentera de 17% par an dans le monde jusqu’en 2020.
Qu’à une époque où les investissements se chiffrent en dizaines de millions de dollars par jeu, les entreprise leaders du marché se basent sur des techniques éprouvées de design et de production afin de maximiser leurs probabilités de succès. Le jeu est devenu une industrie professionnelle aux enjeux financiers colossaux.
Comment expliquer une telle croissance ?
Impressionnant n’est-ce pas ? Nous sommes loin de l’image d’une industrie d’adolescents retardés et asociaux. Mais qu’est ce qui explique cette croissance exponentielle qui touche toutes les couches de notre population ?
Je vois 3 causes principales :
La capacité des jeux à capturer et à maintenir, pour une durée longue, l’attention de l’utilisateur:
Les jeux ont cette dimension unique qui consiste à savoir s’adapter à un utilisateur qui progresse avec le temps, à lui proposer des challenges suffisamment durs pour éviter l’ennui mais suffisamment atteignables pour éviter une frustration trop forte et un abandon. Les jeux en ligne manient avec succès la nécessité de s’associer avec des personnes aux compétences complémentaires pour réaliser certaines missions, permettent la création d’un réseau de liens sociaux qui perdurent dans le temps et offrent de multiples opportunités aux individus de s’établir socialement au sein de l’activité. Nous pouvons apprendre beaucoup de ces techniques et méthodes qui, pour bon nombre d’entre elles, sont transposables dans un monde professionnel.
La capacité des jeux à activer des motivations diverses au sein de la même expérience.
Le concepteur de jeu sait que le joueur n’est pas une entité monolithique. Que chaque joueur cherche des choses différentes dans son expérience ludique et que même au sein de la même personne des motivations variées peuvent cohabiter. Richard Bartle fut le premier à conceptualiser les typologies de joueurs dans les années 80. Sa proposition de 4 catégories (ceux qui cherchent à atteindre leurs objectifs, ceux qui veulent dominer les autres, ceux qui cherchent à s’établir socialement, ceux qui sont motivés par l’exploration et la découverte) reste d’actualité et a donné lieu à de nombreuses variantes. Un bon jeu offre des activités à chacune de ces 4 catégories et permet à des personnes très différentes d’y trouver plaisir et motivation. Ne pourrions-nous pas nous inspirer de cette approche dans la construction de nos modèles managériaux et de nos outils professionnels ?
La capacité des jeux à transformer le stress en élément positif.
Ne vous y trompez pas, jouer à un jeu n’est pas une activité facile et gratuite. Comme le travail, elle est le fruit de règles, de contraintes, de challenges. Tout comme le travail elle est génératrice de stress. Mais qu’est ce qui fait que ce stress est considéré comme acceptable par le joueur ? Pourquoi envisage-t-il de se « battre » pour progresser quand il serait tellement facile d’arrêter et de passer à autre chose ? Le droit à l’erreur, un retour d’information en temps réel et une gestion intelligente des récompenses et des encouragements sont des explications de premier niveau. Mais plus que tout le joueur a le sentiment d’être acteur, d’être au centre de l’expérience, d’être en capacité de vaincre les challenges qui lui sont proposés. Réfléchir à des mécanismes de feedback plus temps réel, à une mise en capacité de nos collaborateurs, à la gestion de leur progression, à des types de récompenses plus variées, plus adaptées aux motivations profondes et diverses, sont des pistes applicables dans un univers professionnel.
Peut-on utiliser ce pouvoir dans notre univers professionnel ?
Que recherchaient les Lydiens durant ces heures de jeu ? Jane McGonical dans son livre ‘’Reality is broken’’ explique que le jeu leur permettait certes d’échapper à la réalité durant quelques heures, mais que, de façon plus importante, il leur permettait de redévelopper un sentiment de structure et de contrôle à un moment où leur vie se désagrégeait sans qu’ils puissent intervenir. Le jeu rendait la vie plus acceptable, leur redonnait un rôle d’acteur.
Ne nous trompons pas. A une époque où l’institut Gallup nous dit que 70% des salariés se déclarent en manque d’engagement vis-à-vis de leur entreprise, nos cadres, employés, ouvriers restent professionnellement affamés.
Affamés d’un manque de challenge, d’un manque de reconnaissance, d’un manque de sentiment d’appartenance, de capacité à se réaliser, à progresser et à contribuer de façon plus grande à l’œuvre collective.
La gamification propose de transposer la capacité des jeux à générer et maintenir de l’engagement dans le monde professionnel. Attention il ne s’agit en aucun cas de faire jouer vos salariés ou de simplement leur distribuer des points et des badges superficiels.
La gamification peut se définir ainsi : <<Un ensemble de techniques issues du game design et de la psychologie de la motivation visant une modification des comportements afin d’aboutir aux objectifs court et long terme de votre organisation.>>