Coaching, le mot fourre-tout de la novlangue pédagogique ?

L’accompagnement en formation s’est progressivement transformé vers plus d’individualisation pour passer progressivement d’un tutorat destiné à lutter contre la distance et l’isolement et à maintenir l’engagement de l’apprenant à un accompagnement vers la conscientisation des apprentissages, l’opérationnalisation des compétences acquises et le transfert en situation de travail.

Si le tuteur n’a pas disparu du paysage du digital learning, son rôle subit depuis quelques années une dévalorisation au profit de celui des coachs qui envahissent les différentes sphères de notre vie. Dans nos organisations professionnelles, après le coaching de dirigeants, le manager se doit désormais d’être le coach de son équipe, le RH devient coach des carrières et évolutions dans l’entreprise.

Introduit en France il y a près de 40 ans, l’activité de coaching a connu une véritable accélération ces 10 dernières années avec un croissance du nombre de coach estimée à +34% entre 2015 et 2019 dans le monde. Nul doute que cette progression s’est encore renforcée en sortie de crise sanitaire.

Cette entrée du coach dans la sphère du digital learning est multifactorielle et relève sans doute pour partie de l’effet de mode mais elle résulte également du constat de faible impact de la formation sur la montée en compétences opérationnelle des apprenants à la suite d’un parcours de formation. Le transfert des acquis en situation réelle de travail représente un enjeu majeur pour les services formation, particulièrement avec des budgets contraints dans les organisations.

De nombreuses études ont montré que la manière de transmettre et d’accompagner impacte directement le niveau d’acquisition et de transfert chez l’apprenant. Le processus d’apprentissage est donc au moins aussi important que le contenu de l’apprentissage.
L’heure est donc au coaching, un terme derrière lequel on retrouve une démarche et des pratiques hétérogènes et in fine qui rassemble le pire comme le meilleur.

1.
« Surveiller, Veiller sur, Éveiller »

« Veiller », une racine commune pour trois actions, 3 postures distinctes d’accompagnement et 3 objectifs de développement de l’apprenant complémentaires.

Tous les acteurs de l’accompagnement en formation sont (ou du moins devraient-ils être) mus par une volonté commune de veiller sur le développement de nouvelles compétences opérationnelles chez l’apprenant. Concernant le transfert des compétences en situation de travail, leurs modes d’intervention et leur objectif principal diffèrent.

Cette distinction dans l’accompagnement entre Surveiller, Veiller sur et Éveiller a été mise en évidence il y a une dizaine d’années par Sybille Persson, Docteur en Sciences de Gestion de l’Université de Lorraine et Franck Barès, professeur d’entrepreneuriat à HEC Montréal. Aux termes de leurs recherches, ils distinguent clairement coach, tuteur et mentor en ce sens que :

  • le coach Éveille en accompagnant le cheminement individuel et contextualisé de l’apprenant ;
  • le mentor protège et éduque (et par extension Veille sur…) en transmettant ses gestes, ses postures, ses méthodes  ;
  • et le tuteur facilite, engage et discipline (et par extension Sur…veille).

Surveillance rapprochée : le tuteur en première ligne

Surveiller : Observer avec une attention soutenue, de manière à exercer un contrôle, à éviter un danger (Source : Le Robert)

L’action de « Surveiller », premier niveau indispensable d’accompagnement s’exprime au sein du parcours de formation et revient au tuteur. Sa mission et le déroulement de ses interventions et interactions sont planifiés à l’avance, contrairement au coach qui s’adapte aux problématiques spécifiques de l’apprenant et ne peut scénariser à l’avance le déroulement des séances. Au cœur de la pédagogie et du savoir, le tuteur agit à la fois sur le collectif et sur l’individuel pour :

  • donner du sens en facilitant la bonne appropriation de la plateforme par l’apprenant, situant le parcours de formation dans son contexte et en créant des ponts entre la scénarisation du parcours, les ressources et les objectifs pédagogiques (risque de désintérêt) ;
  • optimiser l’assimilation des savoirs, savoir-faire et savoir-être en levant les freins d’organisation (risque de décrochage) et de compréhension (risque de démotivation et d’inefficience du parcours et contrôle des acquis) que pourraient rencontrer l’apprenant et en participant à l’évaluation des acquis et à la mesure de la progression de l’apprenant ;
  • créer du lien en favorisant la collaboration et les échanges entre pairs (risque d’isolement et de désengagement).

Le tuteur est guidé dans sa mission par les objectifs pédagogiques mis en musique par le parcours de formation, lorsque le coach est focalisé sur les objectifs individuels de l’apprenant définis par ce dernier au regard de son contexte et de ses enjeux professionnels et le mentor par les objectifs de l’organisation.

En veille : place au mentor

Veiller sur : Porter ses soins attentifs sur quelque chose, quelqu’un pour les protéger (…). Synonymes : prendre soin – s’occuper. (Source : Larousse)

La posture de protection de l’apprenant en situation de travail ne se conçoit que dans l’exercice d’une transmission des savoirs, savoir-faire et savoir-être exercée par un collaborateur plus expérimenté. Le succès de la mission de mentor s’articule autour de la construction d’une relation de confiance avec le mentoré et d’une capacité du mentor à le guider dans l’organisation et à le protéger des pièges que lui-même aura rencontrés au cours de son évolution professionnelle dans l’entreprise.

C’est la spécificité du mentor, généralement choisi au sein de l’organisation, sans relation hiérarchique directe, pour transmettre mais également guider et conseiller le mentoré et l’aider à construire sa légitimité et à trouver sa place au sein de l’organisation. Moins formalisée que la mission tutorale et plus opérationnelle que la mission de coaching, le mentorat suppose un vécu partagé pour articuler transmission et protection et conduire l’apprenant vers l’autonomie et la réussite. La pratique du mentorat est individuelle quand tutorat et coaching peuvent se concevoir sur un collectif. La dimension de conseil du mentor le différencie nettement du coach qui n’a pas vocation à conseiller, pas plus qu’à enseigner.

Éveiller les consciences : tous coachés ?

Éveiller : Susciter, provoquer la manifestation, l’apparition d’un sentiment, d’une aptitude (chez quelqu’un), les faire naître (Source : Larousse)

La mission du coach se distingue nettement des deux figures d’accompagnement précédentes. En effet, le coach n’a pas vocation à transmettre des connaissances ou développer des compétences techniques. Son rôle, caractérisé par l’éveil de l’apprenant, se focalise sur les objectifs individuels du coachés définis de concert par les deux parties en début de collaboration. Le coach a un objectif le développement de la performance de l’apprenant qu’il accompagne. Les séances de coaching ont donc vocation à faciliter la prise de conscience par l’apprenant de ses capacités et de ses leviers de motivation pour atteindre l’objectif de mobilité professionnelle, de réorientation, de prise de poste…

Le coach intervient sur les freins comportementaux individuels qui perturbent la progression et peut orienter l’apprenant vers le tuteur pour lever les freins de compréhension ou d’usage des outils de formation à distance. Il travaille en priorité sur les savoir-être.

Ses interventions peuvent prendre fin avant même l’achèvement de la formation. En général, le rôle de coach est précisément borné dans le temps. En effet, dans le coaching adossé à un parcours de formation, la durée est préalablement déterminée à l’avance et le coach aura un enjeu à adapter le plan d’action à cette durée.

De façon plus concrète, le coaching comprend plusieurs étapes successives ou concomitantes :

  • évaluation de l’environnement professionnel du coaché ;
  • appui à la définition des objectifs individuels et à l’élaboration d’un plan d’action puis au découpage de ce plan d’action en postures, comportements clés, méthodes à adopter et à appliquer au quotidien ;
  • évaluation régulière des progrès de l’apprenant.

Ces règles fixées entre coach et coaché dès le départ permettent de mesurer la pertinence de l’accompagnement par le coach. La relation coach-coaché est fonctionnelle plus que personnelle. Contrairement à la relation mentor-mentoré, le coaché ne s’identifie pas au coach et à son parcours. Le coach ne possède en principe pas les compétences techniques utiles à l’accomplissement de la mission du coaché.

Dans le coaching, la relation de confiance est essentielle pour amener l’apprenant à réfléchir sur ses modes d’actions possibles et privilégiés et livrer ses réflexions à son coach. Or, il existe ici une véritable différence entre le coaching de dirigeants pour lequel le coaché choisit son coach et le coaching de l’apprenant dans lequel le coach est imposé et intervient auprès de chaque individu inscrit sur le parcours.

La règle de 3

La difficulté dans le positionnement de chaque profil d’intervenant réside dans l’interconnexion des missions et les recoupements entre chacune d’entre elles. Pour résumer et imager les positions de chacun des 3 rôles :

  • si « Surveiller » constitue l’essence du tutorat, « Conduire » peut illustrer la posture du tuteur et le place au-dessus ou en arrière de l’apprenant ;
  • si « Veiller sur » constitue l’essence du mentorat, « Escorter » matérialise la place du mentor, à côté de l’apprenant pour baliser le terrain d’apprentissage ;
  • si « Éveiller » constitue l’essence du coaching, « Guider » illustre le rôle du coach en avant ou aux cotés de l’apprenant pour identifier le parcours de progression idéal.

Si l’un des principaux enjeux de la formation aujourd’hui est l’opérationnalité de la formation et le transfert des acquis en situation de travail, le mentorat et le coaching y tiennent une place centrale. Réduire ce que Holton et Baldwin appellent la « distance de transfert » nécessite de considérer 6 étapes clés pour minimiser l’écart entre le parcours de formation et l’application des savoirs, savoir-faire et savoir-être dans l’environnement professionnel spécifique à chaque apprenant.

2.
Réduire la distance de transfert

Baldwin définissait le transfert des acquis comme la généralisation en situation de travail des acquis en situation de formation et la pérennité des réflexes, outils, méthodes, démarches mis en place.

Il a défini 6 étapes découpées en 2 grandes phases pour passer d’une montée en compétences dans le cadre d’un parcours de formation à une application pérenne des acquis en contexte professionnel.

  • Phase 1 : Les apprentissages
    • Etape 1 : l’acquisition de connaissances
      • Exemple en formation commerciale sur une cible de débutants : les enjeux de l’entretien de découverte dans un entretien commercial. L’accompagnement tutoral va ici permettre de lever les freins de compréhension et rappeler, à l’occasion des sollicitations, les enjeux d’un entretien de découverte dans le métier de commercial pour donner du sens à l’apprentissage. Le tuteur pourra également, au travers des questions et échanges, évaluer le degré de compréhension et les acquis de façon moins formelle qu’au travers d’une évaluation sommative.
    • Etape 2 : l’acquisition de procédures de mobilisation des connaissances acquises
      • Exemple en formation : les étapes clés du déroulement d’un entretien de découverte avec un accompagnement tutoral identique à celui de la phase précédente.
    • Étape 3 : La projection par la mise en situation
      • Exemple en formation : simulations d’appels clients réalisées en sous-groupes par binôme d’apprenants accompagnés et évalués par l’expert formateur.
  • Phase 2 : les processus de travail
        • Étape 4 : Application des acquis en situation de travail en sortie de formation
          • Exemple post formation : pendant 2 semaines, réalisation d’appels supervisés par un mentor avec écoute de l’appel, feedback et mise en évidence des axes d’amélioration par le mentor avec évaluation périodique des progrès réalisés. A défaut de Mentor, un coach peut alors venir déterminer avec l’apprenant son besoin contextuel à court et moyen terme et définir avec lui un plan d’action pour dépasser les peurs et devenir efficace en entretien commercial.
        • Étape 5 : Ancrage des réflexes et bonnes pratiques (contexte de transfert rapproché dans la mesure où la situation de travail est proche des mises en situations abordées et les compétences acquises directement applicables)
          • Exemple post formation : durant les 4 à 5 semaines suivantes, poursuivre les appels clients pour développer la maîtrise de l’entretien de découverte et dans le cadre d’un coaching, dérouler les phases du plan d’action et en mesurer les effets et dans un second temps superviser les appels de commerciaux plus juniors pour une plus grande réflexivité sur ses propres pratiques.
        • Étape 6 : Amorcer un transfert plus large (contexte de transfert éloigné dans la mesure où les situations de travail sont éloignées des simulations réalisées et des situations d’ancrage en situation jusqu’alors rencontrées)
          • Exemple dans le cadre d’une évolution de poste : travailler avec un coach sur les techniques d’entretiens de découverte utilisables dans le cadre de la gestion des réclamations clients.

Les rôles d’accompagnement sont complémentaires. Ils peuvent être successifs mais également parallélisés selon l’objectif de l’entreprise. Le tuteur est généralement proactif dans le suivi de la progression de l’apprenant mais se doit d’être réactif en cas de difficultés d’ordre pédagogique, technique ou organisationnel identifiées chez un apprenant.

Le coach intervient sur des périodes fixées à l’avance puis plus ou moins ajustées au besoin du coaché. Quant au mentor, sa proximité avec l’apprenant et son appartenance à l’entreprise laisse plus de place à la flexibilité.

En revanche, confier tous les rôles à un tuteur (on peut le rencontrer dans certaines formations) est généralement contre-productif dans la mesure où les compétences requises ne sont pas identiques et où le tuteur risque de s’éparpiller et de n’avoir plus le temps nécessaire à un bon accompagnement techno-pédagogique ou à une optimisation de l’organisation de l’apprenant. De même, le coach n’a pas vocation à transmettre des savoirs ou savoir-faire mais plutôt à aider à la conscientisation des apprentissages pour un meilleur transfert en situation de travail.

Cette dimension humaine du digital learning est un ingrédient essentiel pour maintenir l’engagement, maximiser l’ancrage et le transfert en situation de travail. Mais l’accompagnement humain constitue par ailleurs l’un des postes les plus onéreux de la formation à distance. Pour rationaliser les coûts et industrialiser l’accompagnement en digital learning, des coachs virtuels font leur apparition, de même que des dispositifs digitaux d’accompagnement au transfert, baptisés e-doing ou micro-doing.

3.
En résumé

Partager l’accompagnement du collaborateur entre plusieurs profils d’accompagnants dans un but de montée en compétences, d’agilité face aux mutations économiques, techniques, managériales ou plus largement sociétales ne signifie pas pour autant mettre en place des frontières imperméables entre les missions de chacun.

Toutefois cette répartition des rôles permet à chacun d’interpréter sa partition en fonction d’un objectif bien précis :

  • plutôt axé sur les savoirs et savoir-faire et le développement de la communauté apprenante pour le tuteur en digital learning ;
  • dédié à un apprentissage pratique et l’acquisition d’une légitimité dans la fonction visée pour les actions de mentorat ;
  • dédié au développement personnel et à la performance individuelle côté coach.

Tuteur, coach, mentor partagent ainsi un objectif commun : l’accompagnement du collaborateur vers l’autonomie. Chacun suscite, par son action, une prise de recul de l’apprenant face à ses apprentissages, ses leviers de motivation et le contexte dans lequel s’inscrit sa démarche de montée en compétences. Le tuteur se concentrera plutôt sur l’autonomie pédagogique alors que coach et mentor se focaliseront plutôt sur l’autonomie professionnelle.

Ils partagent généralement :

  • une bienveillance naturelle qui détermine la qualité de l’accompagnement ;
  • la capacité à créer un climat de confiance, gage de la qualité de la relation individuelle ;
  • et une disponibilité intellectuelle qui soutient la qualité de la relation et de l’accompagnement.

4.
Et demain, tous coachés par une IA ?

Si vous avez testé les intelligences artificielles qui commencent à envahir notre terrain de jeu professionnel, vous aurez sans doute été bluffés par les productions d’un Chat GPT ou les images d’un Midjourney. L’intelligence artificielle devient chaque semaine plus pertinente avec une règle plus importante avec un cerveau de silicone : pour obtenir une réponse pertinente, il est important de savoir poser la bonne question.

En formation, des applications d’accompagnement au transfert (micro-doing ou e-doing) mais également les premiers coachs virtuels font leur apparition. Loin pour l’heure d’égaler leurs homologues humains et de présenter une véritable plus-value en matière de métacognition ou de transfert, ils n’en sont pas moins prometteurs, beaucoup moins chers et disponibles en permanence.